S’entraîner à voir comme les indigènes

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L’anthropologue américaine Edith Turner s’attaque à l’incapacité de sa discipline de prendre les relations de manifestations d’esprits au sérieux. Elle estime que quitter la vision du monde académique et voir les esprits de la manière que ses informateurs indigènes les voient lui permet d’avoir une approche meilleure et plus éthique du phénomène.

Quelles manifestations d’esprits se sont produites au cour de mes propres expériences? L’une d’entre elles s’est déroulée comme suit. C’était en 1985, j’étais censée me rendre en Zambie. Avant de partir, je m’étais décidée à m’approcher davantage de l’expérience propre des Africains, quelle qu’elle soit — sans savoir vraiment à quoi m’attendre. C’est effectivement ce qui s’est produit: j’ai pu faire le pas. Ma recherche s’est donc centrée sur l’étude d’un rituel de guérison, répété à deux reprises, et qui a culminé, lors de la deuxième séance, par ma vision d’un esprit. Dans l’article intitulé “Témoignage d’une manifestation d’esprit en Zambie”, je décris exactement comment se rituel a atteint son apogée, ainsi que la façon dont je m’y étais personnellement impliquée; comment, au son ds tambours et des chants, le guérisseur s’est penché pour extraire l’esprit malfaisant et comment j’ai vu de mes propres yeux une grosse masse de plasma informe émerger du dos de la malade.

C’est alors que j’ai compris que les Africains avaient raison: S’entrainer à voir comme les indigènes

La maladie spirituelle existe bien et ne relève ni de la métaphore, ni du symbole, ni même de la psychologie. C’est alors, aussi, que j’ai commencé à prendre conscience de la manière dont les anthropologues n’ont pas cessé de déprécier les nombreux phénomènes d’esprits auxquels ils ont participé — participé sous un aimable prétexte. Quoi que ayant recueilli du matériel de valeur, ils n’ont cessé d’opérer sous un faux paradigme, celui du déni positiviste.

Si l’on veut atteindre une expérience culminante au cours d’un rituel, il faut alors réellement se laisser complètement submerger. Ainsi, pour moi, le “devenir indigène” m’a permis de déboucher sur une vision du monde tout à fait différente, étrangère au monde académique, qui allait me permettre d’engranger un matériel qui n’aurait jamais pu être pris en compte autrement. (…)

Les membres de nombreuses sociétés, y compris la nôtre, nous disent qu’ils ont eu l’occasion de voir ou d’entendre des esprits. Il nous faut donc examiner de plus près la manière dont l’anthropologie a appréhendé cette question par le passé. Les anthropologues classiques se sont appliqués à ignorer le thème central de ce genre d’information — central aux yeux des intéressés —, se limitant à utiliser le matériel comme s’il s’agissait d’une métaphore ou d’un symbole, et non de la réalité, commentant que telle ou telle “métaphore” est en accord avec la fonction, la structure ou la psychologie de la société. (…)

On se demande alors quelle éthique préside à ce genre d’analyse, à cette dissection? Avons-nous le droit, à cette époque de multiples pouvoirs et cultures, de pénétrer une société étrangère, quand bien même poliment, de la mesurer avec nos propres critères, puis de rentrer à la maison pour la disséquer d’une manière totalement étrangère au génie des personnes intéressées? (…)

Il nous faut donc nous résoudre à attaquer de front cette question pour nous demander: “Qu’est-ce qu’un esprit?” Il me faut également poser la question épineuse suivante: “Quels différents types d’interprétations existe-t-il à ce propos dans le monde? Comment un étudiant anthropologue de la conscience travaillant sur le terrain doit-il appréhender les systèmes d’esprits divergents de différentes cultures? Cette diversité ne renferme-t-elle pas un manque de logique fatal?” Et voilà qu’un vieux doute revient nous assaillir: “Ce genre de sujet est-il logique, au fond?” Enfin, il faut nous demander: “Avons-nous le droit de forcer à entrer dans des schémas logiques?” De plus, un désaccord existe quant aux termes utilisés: la plupart des cultures se réfèrent aux “esprits”, tandis que les indigènes d’Amérique parlent de “pouvoir”. Le ki ou le chi — autrement dit “l’énergie” —, connu au Japon et en Chine, est devenu populaire parmi les guérisseurs occidentaux. Cependant, le terme d'”énergie” ne s’applique pas à la masse informe qui est sortie du dos de la femme Ndembu; il s’agissait plutôt d’un objet misérable, purement mauvais, totalement dénué d’énergie, et qui s’apparentait davantage aux fantômes misérables des suicidés. On associe l’énergie à quelque chose qui n’a pas de forme. Pourtant lorsque je vois des organes internes, ces organes ne sont pas de l’énergie, ils ont une forme et une définition. De même lorsque au cours d’un rêve éveillé, j’ai vu en masque le visage de Tigluk, mon ami esquimau, et qu’ensuite j’ai par hasard rencontré ce même Tigluk quelques minutes plus tard, le masque en question n’était pas de l'”énergie”, qui riait là, sous mes yeux: il n’avait absolument rien d’abstrait. Ainsi l’ancien terme de “manifestation d’esprit” reflète bien mieux la réalité, puisqu’il s’agit d’apparitions délibérées de formes discernables qui ont consciemment l’intention de communiquer, de revendiquer leur importance dans nos vies. d’un autre côté, j’ai effectivement aussi senti de l’énergie, très semblable à un courant électrique, lorsque je me suis soumise aux passes de femmes spirites guérisseuses lors d’une séance de groupe au Brésil. (…)

Ainsi, des rituels spirituels continuent inlassablement de se dérouler, au cours desquels les exégètes indigènes tentent, encore et encore, d’expliquer que les esprits sont présents, et que leurs rituels représentent l’évènement central de leur société, tandis que l’anthropologue s’entête à les interpréter différemment. Il semble donc qu’un champ de force isole l’anthropologue de son objet d’étude, l’empêchant de s’en approcher, une sorte de frigidité religieuse. Il faut donc que nous, anthropologues, nous entrainions à voir ce que voient les indigènes.

Edith Turner – 1992 – Anthologie du chamanisme – Jeremy Narby – Francis Huxley – Albin Michel

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