La vie de l’anthropologue Carlos Castaneda est nimbée de mystère. Il existe peu de photos de lui et on ne connait pas exactement ses origines, même si, selon certains indices, on pense qu’il est né au Pérou. Castaneda affirme avoir été l’apprenti d’un sorcier Yaqui nommé don Juan. Son travail semble avoir été bel et bien basé sur de véritables recherches anthropologiques, du moins au départ. Mais certains anthropologues ont émis de sérieux doutes sur l’intégrité ethnographique de ses écrits. La part de fiction injectée par Castaneda dans ses récits demeure une énigme irrésolue. Il utilise des astuces littéraires pour captiver ses lecteurs et estomper leurs doutes. S’il ne présentent par don juan comme un chamane, ses écrits n’en ont pas moins suscité un engouement sans précédent pour le chamanisme. Dans ce passage tiré de son premier livre, Castaneda semble avoir mis le doigt sur l’essence de la démarche du chamane. Les “ennemis d’un homme de savoir” énumérés par Don Juan font écho à de nombreuses autres descriptions de défis dans la pratique chamanique.

“Dimanche 8 Avril 1962

Dans nos conversations, don Juan utilisait constamment l’expression “homme de savoir”, sans jamais expliquer ce qu’il entendait par là. Je le lui ai demandé.

“Un homme de savoir, c’est quelqu’un qui a suivi fidèlement les épreuves de l’étude. Un homme qui, sans hâte et sans hésitations, est allé aussi loin qu’il l’a pu dans la recherche des secrets de la puissance et du savoir

— N’importe qui peut-il devenir un homme de savoir?

— Non pas n’importe qui.

— Alors que faut-il faire pour devenir un homme de savoir?

— Il faut affronter et vaincre quatre ennemi naturels.

— On sera un homme de savoir après avoir vaincu ces quatre ennemis?

— Oui. On ne saurait prétendre être un homme de savoir sans être capable de les vaincre tou les quatre.

— Alors tout ceux qui ont vaincu ces quatre ennemis sont des hommes de savoir?

— Celui qui les a vaincus devient un homme de savoir.

— Mais existe t’il des conditions particulières à remplir avant d’affronter ces ennemis?

— Non. Tout le monde peut essayer de devenir un homme de savoir. Peu y parviennent, ce qui est bien naturel. Les ennemis que l’on rencontre en chemin sur la route du savoir sont véritablement formidables. La plupart y succombent.

— De quels ennemis s’agit-il, don Juan?

Il a refusé de me nommer ces ennemis. Il a dit que ce serait très long avant que le sujet ait un sens pour moi. (…)

“Être un homme de savoir, cela n’a pas de permanence. On n’est jamais un home de savoir, vraiment. On ne le devient que pour un bref instant, après avoir vaincu les quatre ennemis naturels.

— Vous devez me dire, don Juan qui ils sont.”

Il ne m’a pas répondu. J’ai encore insisté, mais il a abandonné ce sujet et il a commencé à parler d’autre chose.

Dimanche 15 Avril 1962

Je m’apprêtais à partir , et j’ai décidé de lui demander encore une fois de me parler des ennemis d’un homme de savoir. Mon argument, c’était que je ne pourrais pas revenir le voir avant pas mal de temps, et que ce serait peut-être une bonne idée de noter ce qu’il avait à me dire à ce sujet pour pouvoir y réfléchir tout le temps de mon absence.

Il a hésité un moment, puis s’est mis à parler.

” Lorsqu’un homme commence à apprendre, ses objectifs ne sont jamais clairs. Son dessein est vague, ses intentions imparfaites. Il espère en tirer un bénéfice qui ne se matérialisera jamais, dans son ignorance des difficultés de l’étude. Il commence ensuite lentement à apprendre — par petits fragments d’abord, puis par vastes pans. Bientôt ses pensées se heurtent, ce qu’il apprend n’est pas ce qu’il avait imaginé, cela n’a pas l’aspect qu’il attendait, il prend peur. Le savoir est toujours inattendu. Chaque étape soulève une nouvelle difficulté, et la peur commence à envahir l’homme, impitoyable, opiniâtre. Il devient comme un champ de bataille. Il vient ainsi de buter contre le premier de ses ennemis naturel: la peur. C’est un ennemi terrible — traitre, difficile à surmonter, toujours caché au détour du chemin, à vous guetter. Et si, terrifié par sa présence, il se sauve, son ennemi aura mis un terme à sa recherche.

— Et qu’arrive-t-il à l’homme qui s’enfuit sous l’effet de la peur?

— Rien d’autre, sauf de ne plus jamais rien apprendre. Jamais il ne deviendra un homme de savoir. Ce sera peut-être un bravache, ou un couard inoffensif; de toute façon, un vaincu. Son premier ennemi aura mis un terme à ses ambitions.

— Et que faire pour surmonter cette peur?

— La réponse est simple. Ne pas se sauver. Défier sa peur, et malgré elle, avancer dans le savoir pas à pas. On peut être profondément effrayé, sans pour autant s’arrêter. Voilà la règle. Puis le moment viendra quand le premier ennemi reculera. L’homme commencera à se sentir sur de lui. Son dessein deviendra plus délibéré. L’étude ne sera plus pour lui une tâche insurmontable. À ce moment, on peut prétendre à juste titre avoir vaincu le premier ennemi naturel.

— Mais don juan, cela arrive-t-il d’un seul coup, ou petit à petit?

— Petit à petit, cependant, la peur est vaincu d’un seul coup, vite.

— L’homme n’aura t-il pas peur à nouveau, si quelque chose d’autre lui arrive?

— Non. Lorsqu’un homme a vaincu la peur, il en est quitte pour le reste de ses jours, car la clarté a remplacé la peur. Mais alors un homme connait ses désirs, il sait comment les satisfaire. Il peut s’imaginer les nouvelles étapes du savoir, tout se trouve baigné d’une clarté violente. Il sent que plus rien n’est caché. Il vient de rencontrer son deuxième ennemi, la clarté. Cette clarté d’esprit, si difficile à atteindre, si elle dissipe la peur, aveugle également. Elle pousse l’homme à ne jamais douter de lui-même. Elle lui donne l’assurance de pouvoir faire tout ce qu’il veut, car il semble voir clairement au fond des choses. Il est courageux parce qu’il est clair, rien ne l’arrête pour la même raison. Or tout cela n’est qu’une erreur. C’est comme une chose incomplète. Si l’on cède à cette puissance apparente, on est devenu le jouet du deuxième ennemi, et l’apprentissage s’en trouvera faussé. La précipitation remplacera la patience, ou le contraire. Et conséquence de ces erreurs, il lui deviendra impossible de rien apprendre.

— Que devient l’homme ainsi vaincu, don Juan? Est-ce la mort le résultat?

— Non il ne meurt pas. Son deuxième ennemi l’a brutalement empêché de devenir un homme de savoir. Au lieu de cela, il deviendra peut-être un guerrier plein de vaillance, à moins que ce ne soit un pitre. Mais cette clarté qu’il a chèrement acquise ne se changera jamais en peut ou en obscurité à nouveau. Et cela pendant toute sa vie, mais il n’apprendra plus jamais rien. Il n’en aurait d’ailleurs nulle envie.

— Et que convient-il de faire pour éviter une telle défaite?

— Faire comme lorsqu’on était en proie à la peur. Défier cette clarté, et ne l’utiliser que pour voir, attendre avec patience avant de faire un autre pas que l’on aura soigneusement préparé. Surtout, ne pas oublier que la clarté constitue presque une erreur. Le moment viendra où l’on comprendra que cette clarté n’était en somme qu’un point devant le regard; C’est ainsi que le deuxième ennemi aura été surmonté, et que l’on parviendra à l’endroit où plus rien de mal ne peut arriver. IL ne s’agira plus d’une erreur, ni d’un simple point devant les yeux. Ce sera la vraie puissance. L’homme saura alors que la puissance qu’il poursuit depuis si longtemps lui appartient enfin. Il en fera ce qu’il voudra. Il a son allié à ses ordres. Ses désirs font loi. Il voit tout ce qui l’entoure. C’est ici qu’il rencontre son troisième ennemi, le pouvoir. C’est le plus puissant de tout ses ennemis. Le plus facile, naturellement, est d’y céder. Après tout, l’homme est vraiment invincible. Il commande. Il commence par prendre des risques calculés, il finit par dicter les règles, puisqu’il est le maitre. À ce stade, on remarque à peine le troisième ennemi qui s’approche. Et soudain sans qu’on s’en aperçoive, la bataille est perdue. L’ennemi a fait de lui un homme capricieux et cruel.

— Perdra-t-il sa puissance?

— Non, il ne perdra ni sa clarté ni son pouvoir.

— Qu’est-ce qui le distinguera alors d’un homme de savoir?

— L’homme vaincu par sa puissance meurt sans avoir vraiment appris à s’en servir. Cela n’aura été qu’un fardeau pesant sur sa destinée. Cet homme n’aura pas su se dominer, il ignore quand et comment se servir de cette puissance.

— La défaite aux mains de ces ennemi est-elle définitive?

— Naturellement. Si l’un de ces ennemis maitrise l’homme, il ne lui en reste rien à faire.

— Est-ce possible, par exemple, que vaincu par sa puissance, l’homme s’en rendez compte et s’amende?

— Non. Une fois que l’on a succombé, c’est fini.

— Et si il n’est que temporairement aveuglé?

— Cela signifie alors que le combat continue, et qu’il s’efforce encore de devenir un homme de savoir. L’homme n’est vaincu que lorsqu’il ne fait plus d’efforts, et qu’il s’y abandonne.

— Alors, Don Juan, un homme peut-il se laisser aller à la peur pendant des années, avant de finalement la conquérir?

— Non. S’il s’est abandonné à la peur, jamais plus il ne la vaincra. Il n’osera plus jamais apprendre. Mais si pendant des années, en proie à la peur, il a continué à apprendre, il en viendra finalement à bout, parce qu’en fait il ne s’y est jamais abandonné.

— Comment peut-il vaincre son troisième ennemi, don Juan?

— Il lui faut le défier délibérément. Il doit comprendre que cette puissance qu’il lui a semblé conquérir ne sera en fait jamais à lui. Il doit se dominer à chaque instant, manier avec précaution et fidélité tout ce qu’il a appris. S’il voit que la clarté et la puissance, sans la raison, sont encore pires que l’erreur, alors il atteindra le point où tout est sous son contrôle. Il saura alors où et comment exercer ce pouvoir, et c’est alors qu’il aura vaincu son troisième ennemi. L’homme sera alors au terme de ce voyage à travers le savoir, quand presque sans prévenir surgira le dernier de ses ennemis, la vieillesse. C’est le plus cruel de tous, le seul qu’il ne pourra pas vaincre complètement, mais seulement tenir en respect. On n’éprouve plus alors de peur, la clarté d’esprit ne provoque plus d’impatience — et la puissance est maitrisée, mais on est pris aussi du désir opiniâtre de se reposer. Si l’on s’y abandonne totalement, si l’on se couche et qu’on oublie, la fatigue venant comme un apaisement, la dernière bataille sera perdue, son ennemi l’abattra comme une créature âgée et sans défense. Son désir de retraite obscurcira clarté, puissance et savoir. Si l’homme cependant surmonte sa fatigue et accomplit son destin, on pourra vraiment l’appeler homme de savoir, même s’il n’a pu qu’un bref moment repousser son dernier ennemi invisible. Ce moment de clarté, de puissance et de savoir aura suffi.”

Anthologie du chamanisme — Jeremy Narby – Francis Huxley –

Au XXe siècle la réputation de Ajahn Buddhadasa Bhikkhu (serviteur du bouddha) et de sa pratique se répandirent au point que l’on dit qu’il fut l’un des évènements les plus marquants de l’histoire du bouddhisme thaïlandais. Il basait son travail sur une recherche approfondie des texte palis (le canon pali et les commentaires) et en particulier sur les discours du Bouddha (le Sutta Pittaka) en s’appuyant toujours sur sa propre expérience et sa pratique de ces enseignements.

LA MALADIE SPIRITUELLE

Dans un texte des commentaires, on appelle le bouddha le “docteur spirituel”. En suivant le sens de certains enseignements de Bouddha, est apparu un principe qui identifiait deux types de maladies: la maladie physique et la maladie mentale. Dans le texte , on utilise les mots “maladie mentale” mais ils n’ont pas le sens qu’on leur donne aujourd’hui. À l’époque du Bouddha, ces mots désignaient une vision erronée des choses ou bien le désir. Par contre, de nos jours, ils désignent de réelles maladies mentales basées sur le corps et donc liées à un problème physique. Pour éviter toutes confusion, je vais ajouter un troisième terme: Nous considérons que les maladies physiques et mentales sont toutes deux physiques et nous emploierons le terme “maladie spirituelle” pour désigner ce que le Bouddha considérait comme une maladie de l’esprit. Le mot “esprit” se réfère aux aspects subtils du mental qui sont malades, sous l’emprise de parasites mentaux, en particulier à cause de l’ignorance et d’une vision erronée des choses.

L’esprit habité par l’ignorance ou la vision erronée souffre d’une “maladie spirituelle”: son regard sur les choses est faux. Voyant faux, il pense faux, parle faux et agit faux et c’est précisément là que se cache la maladie: dans la pensée fausse, la parole fausse et l’action fausse.

Tout le monde souffre de la maladie spirituelle et tout le mon de doit la soigner spirituellement. Le Dhamma est le remède, cette “simple poignée” d’enseignements bouddhiques qui doivent être pleinement réalisés, utilisés et digérés pour guérir la maladie. Notez bien que, de nos jours, les êtres humains ne s’intéressent absolument pas à la maladie spirituelle, de sorte qu’elle ne cesse d’empirer, et pas seulement au niveau de l’individu, car quand chacun est atteint de la maladie spirituelle, le monde entier en est atteint. Le monde est malade, aussi bien mentalement que spirituellement et de ce fait, au lieu d’avoir une paix durable, nous sommes ne crise permanente. C’est perdre son temps que de parler d’une paix durable car toutes les parties concernées sont atteintes de la maladie spirituelle, toutes disent qu’elles ont raison et que les autres ont tort. Toutes les parties sont malades spirituellement et ne font que donc que créer toujours plus de dukkha, pour elles mêmes comme pour les autres.

LE GERME DE LA MALADIE SPIRITUELLE

Le germe de la maladie spirituelle se situe dans le sentiment de “moi” et de “mien” qui, sous l’action de l’égocentrisme, devient avidité, haine et vision erronée des choses, ce qui crée des perturbations aussi bien pour soi que pour les autres. Tels sont les symptômes de la maladie spirituelle tapie en nous. Nous pouvons aussi l’appeler “la maladie du moi et du mien”. Tout le monde est atteint de cette maladie et nous continuons à absorber toujours plus de ce germe à chaque fois que nous voyons une forme, sentons une odeur, touchons un objet, goûtons une saveur ou pensons en ignorants — autrement dit, avec chaque contact sensoriel.

Nous devons prendre conscience du fait que le germe de la maladie spirituelle est l’attachement et qu’il a deux aspects: l’attachement au moi, et l’attachement au mien. Être attaché au moi, c’est sentir que le “je” est une entité, que “je suis” comme ceci ou comme cela, que “je suis” égal, inférieur ou supérieur aux autres ect. Toutes ces attitudes expriment un moi. Quant au mien, c’est considérer que cela m’appartient: c’est “mon” goût, c’est “mon” opinion. Même les choses que nous détestons, nous les considérons comme “nos” ennemis. Voilà ce qu’on appelle mien.

Toutes les branches de la philosophie de l’époque du Bouddha essayaient de venir à bout de cette maladie; elles avaient toutes le même but: éliminer le moi et le mien. La différence est que, quand elles parvenaient à éliminer ces sentiments, elles appelaient ce qui restait le Vrai soi, le pur Atman, le Désiré. Le Bouddha quant à lui, refusa d’utiliser ces termes pour ne pas donner naissance à une autre façon de s’attacher à un soi ou à des choses appartenant à un soi. Selon le Bouddha, quand le moi et le mien sont vus pour ce qu’ils sont, il ne reste qu’une parfaite vacuité que l’on appelle Nibbāna est la fin de la maladie spirituelle.

Cette question de moi et de mien est très difficile à percer. Sans une profonde concentration, on ne peut pas comprendre que c’est précisément là que se cache la souffrance, que c’est le germe qui cause la maladie spirituelle.

Ce que l’on appelle attā ou “soi” correspond au lot latin ego. On peut dire que l’égo est naturel aux êtres vivants et même qu’il est leur centre. Traduit en français ce mot peut être interprété comme “une âme”, mot d’origine grecque, kentricon, qui signifie “centre”. L’attā peut donc être considéré comme le centre des êtres vivants, leur noyau indispensable et, par conséquent, ce serait une chose dont les gens ne pourraient pas se débarrasser et qu’ils ne pourraient pas s’empêcher de ressentir. Il s’ensuit que toute personne non éveillée est obligatoirement constamment animée par l’ego. Il est vrai que cela ne s’exprime pas ouvertement tout le temps mais seulement quand il y a un contact sensoriel, c’est-à-dire quand on voit une forme, on entend un son, on sent une odeur, on goûte une saveur, on touche un objet ou bien quand une pensée apparait dans l’esprit.

Quand, au moment du contact sensoriel, le sentiment de moi et de mien apparait, la maladie est présente dans toute son ampleur et l’égocentrisme se réveille.

Cet égocentrisme devient rapidement égoïsme et mène la personne sur une voie erronée, la voie de la bassesse; elle ne pensera plus qu’à elle-même et n’aura plus de considération pour les autres. À ce moment-là, la personne est complètement régie par l’avidité, l’aversion et l’ignorance de la réalité — et cette maladie va faire du mal à soi comme aux autres. C’est le plus grand danger au monde. Si le monde est si troublé et dans un tel chaos, c’est pour la simple raison que tout le monde est égoïste. Les gens se battent les uns contre les autres, non parce qu’ils n’ont aucun contrôle sur cette force qui les anime. Si le monde a absorbé le germe qui est la cause de la maladie, c’est parce-que personne ne connait ou n’applique ce qui peut résister à la maladie: le cœur des enseignements du Bouddha.

LE CŒUR DES ENSEIGNEMENTS DU BOUDDHA

Si on demande à une assemblée: “Quel est le coeur des enseignements du bouddha?”, on obtient toutes sortes de réponses contradictoires. Les gens répondent en fonction de ce qu’ils ont lu ou entendu, ou de ce qu’il ont déduit par eux-mêmes. Certains diront: “Les Quatre Nobles Vérités”, d’autres diront: “Les Trois Caractéristiques” (impermanence, souffrance et non-soi), et d’autres encore citeront ces paroles: “Ne pas faire de mal, ne faire que le bien et purifier l’esprit”.

Tout cela est correct mais seulement partiellement correct parce que les gens récitent ces choses par coeur au lieu de les avoir sincèrement vérifiées par l’expérience personnelle. Pour ce qui est du coeur des enseignements, je voudrais suggérer cette simple phrase du Bouddha: ” On ne doit s’attarder absolument à rien.” On peut lire , dans les Écritures, qu’un jour quelqu’un s’est approché du Bouddha et lui a demandé s’il pouvait résumer ses enseignements à une phrase. Le Bouddha a répondu: “On ne doit s’attacher absolument à rien.” Et puis il a insisté sur ce point en ajoutant que quiconque entendait ces mots essentiels entendait tous les enseignements, et que celui qui reçoit les fruits de cette pratique reçoit tous les fruits des enseignements du Bouddha.

Si une personne réalise pleinement la vérité de ces paroles, cela signifie qu’elle est libérée du germe qui cause la maladie de l’avidité, l’aversion et l’ignorance, la maladie de toute action erronée, que ce soit par le corps, la parole ou l’esprit. Ainsi, à chaque fois qu’une forme, un son, une odeur, une saveur, un toucher ou un phénomène mental apparait, l’anticorps “On ne doit s’attacher absolument à rien” résistera fermement à la maladie. Le germe ne pénètrera pas ou, si on lui permet d’entrer, ce ne sera que pour mieux l’anéantir. Le germe ne se répandra pas et ne causera pas de maladie car l’anticorps continuera à le détruire. Il y aura une immunité absolue et perpétuelle. Voilà le coeur des enseignements, de tout le Dhamma: on doit s’attacher absolument à rien.

Vous avez maintenant compris le sens de l’expression “maladie spirituelle” et quel est le médecin qui la guérit. Mais ce n’est que quand nous constatons nous-même que nous en sommes atteints que nous souhaitons sérieusement nous guérir et utiliser le remède qui convient. Avant cela, nous nous contentons de jouir de la vie comme il nous plait. C’est comme quelqu’un atteint de tuberculose ou d’un cancer qui ne ferait que chercher à s’amuser sans se préoccuper de trouver un traitement jusqu’à ce qu’il soit trop tard, et puis finirait par mourir de sa maladie.

Ne soyons pas aussi légers! Suivons les instructions du Bouddha: “Ne soyez pas négligents. Soyez toujours pleinement attentifs.” État des personnes attentives, nous devons considérer la façon dont nous souffrons de la maladie spirituelle et examiner le germe qui en est la cause. Si vous le faites correctement et assidûment, vous ne manquerez pas de recevoir, dans cette vie, le meilleur de ce que peut recevoir un être humain.

Ajahn Buddhadasa Bhikkhu — Traduction Jeanne Shut.

Les Lacandons, qui vivent en petit nombre dans les forêts humides de la frontière mexico-guatémaltèque, ont conservé leur religion originale, n’ayant jamais subit l’influence des missions. Ces indiens représentent les derniers vestiges de la puissante civilisation maya. Lorsque la population des grandes villes comme Yaxchilán, Piedras Negras, etc., émigra, vers le VIIe siècle de notre ère, il est probable que les paysans-chasseurs qui menaient une vie primitive dans la jungle, en marge des cités, demeurèrent sur place. Telle est sans doute l’origine des Lacandons , qui d’ailleurs semblent avoir été influencés ensuite par des peuples contre américains. Parlant maya, rendant un culte à des dieux qui rappellent souvent ceux des Mayas du Yucatán, ils sont témoins, encore aujourd’hui, de cette civilisation disparues.

Les dieux. — Selon les régions, le panthéon lacandon n’est pas toujours le même. Chez les Lacandons du nord-ouest, les dieux sont nombreux, avec des attributions assez bien définies, formant des familles dont les indigènes énumèrent complaisamment les relations et la généalogie; chez ceux du sud-est, une simplification considérable semble s’être produite: le dieu qui concentre sur lui toute l’attention des indiens est le soleil, les autres perdent presque toute importance. Les Lacandons se figurent les dieux sous forme d’hommes et de femmes analogues à eux mêmes, qui vivent, se nourrissent, se fatiguent, se marient, comme les indiens.

Mais ils sont munis de pouvoir surnaturels et ne meurent pas; la plupart du d’entre eux sont bienveillants, quoique prompts à se fâcher et à déchainer des cataclysmes; certains sont mal disposés envers l’humanité. Les Lacandons se divisent en clans totémiques et fratries; selon eux, la société des dieux se conforme à la même règle, chaque dieu appartenant à une fratrie déterminée. Notons en passant que le totémisme lacandon n’intervient dans la religion proprement dite que sous cet aspect; les animaux totémiques ne sont l’objet d’aucun culte, ni même d’aucun interdit.

Enfin il est rare qu’on n’attribue pas à chaque divinité une résidence précise. Certes les dieux, en général, sont censés demeurer dans les cieux et sont présents réellement dans les temples sous l’apparence des petites idoles que décrirons plus loin. Mais cela n’empêche nullement de considérer que telle localité constitue la demeure particulière de tel dieu. C’est d’ordinaire dans les cavernes, au bord des lacs, que l’on situe les “maisons” des dieux, quelquefois les ruines mayas de la région.

À Yaxchilán, dans les ruines des temples, est censé vivre Atchakyum ( ou Nohotchakyum), qui parait être le plus grand dieu des Lacandons occidentaux. On lui attribue la construction de la cité et des pouvoirs d’ensemble très vastes. C’est également à Yaxhilán que vivent Tchakampat, chef d’une des fratries, Atchbilam, autre divinité très puissante, etc. Signalons encore, dans le “groupe de Yachilán, le dieu Kitchoktchop, qui n’est autre que le Chichacchob des anciens Mayas, divinité à laquelle on rendait un culte spécial dans les années désignées par le caractère Cauac.

Il existe, à l’extrémité nord-ouest du territoire lacandon, un vaste lac que les Indiens appellent Pethá Metsabok, “lac de Metsabok”. Il est entouré de hautes falaises, dans les parois desquelles sont creusées des cavernes. Ces cavernes servent de demeure et de sanctuaire au dieu Metsabok, dieu de la pluie, à Tsibana, son frère, au dieu du feu K’ak’, et enfin à un dieu-serpent aux fonctions indéterminées, K’imbor. Il n’est pas étonnant que le dieu de la pluie et celui du feu soient associés là, car ils le sont dans l’esprit des Indiens. En effet, un peu avant la saison des pluies, ceux-ci mettent le feu à la forêt pour défricher et préparer les semailles. Ils comptent sur le feu pour détruire la brousse, sur la pluie, pour venir à temps faire germer les graines de maïs. Les deux divinités interviennent donc dans l’opération annuelle dont dépend l’existence même des Lacandons.

Au sud-est de ce lac, en pleine jungle, s’élèvent des rochers creusés eux aussi de cavernes. C’est là le “palais” de Kanank’ach (littéralement: “qui protège la forêt”), dieu des arbres et des bois. Dans un périmètre assez considérable autour de ce point, il est interdit de couper la moindre branche, de peur d’irriter le dieu.

Une des falaises du lac Pethá est censée abriter le dieu Itsanok’u, dont le pouvoir s’étend sur tout le lac, mais particulièrement sur la partie à l’entrée de laquelle se trouve sa falaise, et où les indigènes ne s’aventurent pas sans crainte. On peut se demander s’il n’y aurait pas un rapport entre cette divinité et le dieu maya Itzamna; il semble en effet que le nom d’itsanok’u soit une contraction du mot Itsananohk’u, qui était encore employé il y a quelques dizaines d’années, comme l’a constaté l’ethnologue américain Tozzer.

Dans le monde souterrain, vivent deux dieux rivaux. L’un, frère ainé d’Atchakyum, est appelé pour cette raison Usukun ou Usukunkyum, “son frère ainé”. L’autre s’appelle Kisin; il est le beau-frère d’Usukunkyum. Kisin est un dieu malveillant et redoutable. C’est lui qui cause les tremblements de terre en secouant les piliers sur lesquels repose le sol; il provoque aussi les épidémies en perçant les hommes de flèches invisibles. Non content de combattre les mauvais desseins de kisin, Usukunkyum joue un rôle extrêmement important. Lorsque le soleil, K’in, descend à l’ouest et entre sous terre, Usukunyum le prend sur ses épaules pour lui faire parcourir, en sens inverse, sous le sous sol, le chemin qu’il a décrit dans le ciel.

Au milieu de la nuit, le soleil se réconforte en absorbant la nourriture préparée par la femme du dieu souterrain, puis, toujours porté par celui-ci, reprend sa route, afin de reparaître au matin par la porte de l’est. Le soleil est un homme au teint clair, dont la tête rayonne de clarté; il a pour femme la lune, Na ou Okna.

Ce nom d’Okna désigne aussi une déesse mère, appelée également Ichtchel (c’est le nom de l’ancienne divinité maya Ixchel). Ces deux divinités n’en feraient-elles qu’une? Il est difficile de l’affirmer.

On a déjà signalé que le soleil jouait un rôle plus important chez les Lacandons du sud est que chez les autres. Là, il porte le nom de K’in ou de Kiyum (peut-être K’in-Yum, “dieu soleil”?); c’est à lui qu’on fait les plus fréquentes offrandes, de peur qu’il ne reparaisse plus, laissant le monde plongé dans les ténèbres. On pense qu’il passe la nuit sous terre, mais sans être aidé par un autre dieu.

Rites, cérémonies. — Les temples sont des cases oblongues, dont le toit de feuilles s’abaisse jusqu’à toucher le sol, de façon à en dissimuler l’intérieur; ils contiennent les différents ustensiles ou ingrédients du culte (tambours, cuillers à offrandes, feuilles de palmes employées pour la divination, conques etc.) et surtout les idoles-encensoirs. Chaque dieu est représenté par une coupe en terre cuite au bord de laquelle est fixée une tête modelée; les traits de cette tête, la disposition des traits ou points de couleur qui y sont tracés, ainsi que sur la coupe, permettent de déterminer le nom de la divinité dont il s’agit. Ces encensoirs sont alignés face à l’est, chez les Lacandons occidentaux, face au midi chez les Lacandons orientaux.

Les cérémonies consistent essentiellement en offrandes de copal (encens végétal), de maïs, de viande, et quelquefois de tabac. On fait bruler du copal (ou parfois de la sève de liane de caoutchouc) dans les encensoirs, et en même temps on y jette des grains de maïs, ou l’on dépose de la nourriture sur les lèvres des figurines. Chez les Lacandons orientaux, on offre aux idoles encensoirs, qui représentent presque toutes le soleil, des calebasses contenant une bouillie de maïs préparée par des femmes spécialement chargées de cette fonction.

Les grandes cérémonies s’accompagnent d’abondantes libations rituelles. Certains hommes renommés pour leur savoir théologique fabriquent une boisson qui a pour base du jus de canne à sucre , du maïs et une écorce sacrée, le baltché, dont le contact est interdit aux femmes. On croit que si une femme touchait un morceau de cette écorce, elle mourrait immédiatement. La boisson de baltché est offerte aux dieux dans des calebasses, puis les officiants se la partagent et s’enivrent totalement. Très sobres en temps ordinaire, ces indiens ne boivent d’alcool qu’en de telles occasions.

Rites funéraires. — Les Lacandons se représentent l’autre monde comme très analogue à celui-ci mais sans les maux et les difficultés d’ici-bas. Les morts y mènent une existence exempte de soucis, car jamais la végétation luxuriante de la brousse n’y étouffe les cultures. Il n’y a pas non plus de bêtes sauvages. Il est très difficile de savoir où les Indiens situent le monde des morts. Certains semblent le localiser sous la terre, d’autres dans le ciel. Il est possible aussi que les Lacandons, comme les anciens Mexicains, distinguent plusieurs séjours des morts; certains morts, selon les lacandons orientaux, accompagnent le soleil dans sa course.

Les défunts sont enterrés sous un tertre, au-dessus duquel on édifie un abri, composé d’un toit de feuilles porté sur des piquets. On plante dans le tertre plusieurs rangées de bâtonnets, supportant des mèches de fibres végétales imprégnées de cire, auxquelles on met le feu.

Ensuite on dispose sur le sol, ou l’on pend au toit, de la nourriture, notamment une gourde contenant de la bouillie de maïs. Si le mort était un homme, on place sur sa tombe son arc et ses flèches, ainsi que de petits animaux (chevreuils) en vannerie. De cette façon, pendant son voyage jusqu’à l’autre monde, le mort pourra se nourrir et chasser.

Comme c’est le cas chez beaucoup d’ethnies indigènes, les Lacadons considèrent la mort comme véritablement contagieuse. Ils attribuent à la terre même la propriété de rendre fécondes non seulement les plantations, mais aussi les femmes, ou au contraire de les frapper de stériliser et de provoquer les maladies et la mort. Aussi, lorsqu’une mort a eu lieu dans un campement, les indiens ne tardent-ils pas à l’abandonner, à la recherche de la “terre sans mal”, où les cultures sont toujours vigoureuses, les femmes toujours fécondes, et où l’on ne meurt jamais. En somme, les Lacandons se représentent le monde comme comporsé de zones juxtaposées et hétérogènes, douées de propriétés différentes. Les unes sont favorables, d’autres néfastes, d’autres encore constituent le domaine de tel ou tel dieu, et l’on n’y doit pénétrer qu’avec certaines précautions.

La nature ne se distingue pas, pour eux, du surnaturel; aucun lieu du monde qu’ils connaissent ne leur apparait comme quelconque, mais comme teinté d’une certaine nuance affective et mystique.

Sorts, enchantements, maléfices, vénéfices (actions dues à des substances toxiques), envoûtements, charges, charmes, sortilèges, évocations, invocations, formes pensées, autant de termes qui fascinent ou ensorcellent… Le public, comme le praticien débutant, ou naïf!

Cette fascination parfois trouble, voir franchement morbide, ne peut laisser indifférent. C’est que la notion même d’envoûtement implique immanquablement la domination d’un être par un autre être sans que celui-ci, la victime, ne puisse échapper à la toile subtile qui l’enserre. Cette image frise le cliché, le mauvais feuilleton, car si la réalité est parfois différente, elle peut quelquefois être plus noire que vous ne pensez…

Si la pratique de l’envoûtement est déplorable, ce n’est pas la technique qui est en cause, mais l’âme du praticien dont la transparence est plus que douteuse; L’outil n’est de rien dans l’affaire, de même qu’un couteau de cuisine peut être utilisé pour le bien, comme pour le mal, couper du pain est bénéfique, alors que le même couteau peut être utilisé pour tuer son prochain.

Le terme d’envoûtement désigne une action à distance, c’est une pratique très répandue existant depuis la préhistoire de l’humanité. De tout temps les hommes ont éprouvé le besoin d’agir sur leur environnement. L’homme est un prédateur et l’envoûtement est né de la chasse. Les premiers sorciers exerçaient leurs talent sur le gibier afin de faciliter le rôle de chasseurs, par la suite ils “épaulèrent” l’action des guerriers dans les combats, la diversité technique de l’envoûtement était née. Cependant, la mise en place d’une procédure d’envoûtement impliquait une préparation relativement longue, c’est ainsi que naquirent des procédures accélérées, voir instantanée: les sorts. Il convient donc de distinguer deux grandes catégories d’action, l’une impliquant une préparation rituelle assez complexe, c’est la catégorie des envoûtements traditionnels, l’autre instantanée, destiné à une opération ponctuelle d’une durée limitée dans le temps.

  1. Les sorts

La notion de sort est l’une des plus anciennes opérations des arts magiques. Le sort est une action qui vise à produire un résultat à très court terme, voir instantané. La panoplie dessorts est très étendue, à vrai dire elle ne semble connaitre aucune limite que celles de l’imagination du praticien. Le résultat de cette action peut être élémentaire, ou parfois produire une séquence d’évènements désagréables très sophistiqués. Le sort désigne une opération magique ne faisant appel à aucun rituel, c’est un acte magique isolé, individuel, dont la qualité de réalisation dépend de l’entrainement et des capacités du sorcier. Bien qu’un grand nombre de sorts soient négatifs, dans leur effets, à l’origine la plupart avait pour but l’obtention de résultats bénéfiques. La nature humaine est ainsi faite qu’elle ne retient le plus souvent que l’aspect maléfique des actes magiques.

Parmi les sorts bénéfiques citons, les bénédictions de lieux, les sorts agricoles pour fortifier les plantations les sorts en grille pour attirer la clientèle dans un commerce, les enchantements de filets pour la pêche, les sorts de protection pour éloigner les animaux nuisibles, ceux de protection pour les habitations, les étables, les écuries…

Les sorts de nuisance sont paradoxalement plus populaires, ainsi le fameux nouage d’aiguillette (sort d’impuissance), qui poursuit une carrière ininterrompue depuis plusieurs millénaires dans la population des maris volages et des jeunes mariés, les enclouages, les chevillages et autres sorts de ligature forment une longue liste de de sorts d’empêchement particulièrement redoutables.

Les sorts d’égarement sont aussi très populaires , sorts pour perdre les voyageurs, les visiteurs, ou simplement détourner une clientèle, etc… IL y a aussi les sorts d’accidents, les sorts pour empêcher de dormir, les charmes pour rendre un homme “attentif” à d’autres femmes que la sienne, les sorts de persuasion, ceux d’inattention, ceux pour couper la faim, etc. Un livre de la taille d’un annuaire de téléphone serait insuffisant pour énumérer cette longue théorie de charmes en tout genre.

La particularité du sort est sa fugacité, le but une fois atteint il s’évanouit sans laisser de trace. Il convient donc de le renouveler inlassablement si l’effet doit persister. La plupart de ces actions, à de rares exceptions, sont comparables à des flèches qui, ayant atteint leur but deviennent inutilisables.

Le sort pour être “lancé” requière la présence d’un sorcier (ou opérateur) sur les lieux de l’action, ou de la victime si l’objectif est une nuisance physique ou physiologique, l’imagination sorcière n’ayant que peu de limites, certains sorciers pour palier à cet inconvénient, procèdent par charges ou grilles, ce qui permet de préparer un support qui peut être transporté par une tierce personne, voire par la victime quelquefois à son insu. C’est le cas de sort fixé sur des fruits ou des objets comestibles (coco, bananes, citrons, pâtisseries, etc.)

Heureusement ce procédé n’est pas toujours applicable, ce qui en limite un usage abusif. À l’opposé des jeteurs de sorts, se trouvent des opérateurs (les traiteurs) capables de “lever” le sort, c’est à dire théoriquement de faire un dégagement. L’opération est généralement rapide et efficace quand on a affaire à un véritable spécialiste ce qui est de plus en plus rare.

2) Les envoûtement traditionnels.

L’envoûtement est sans conteste l’opération la plus populaire de la sorcellerie, c’est aussi la plus mystérieuse et la plus décriée. La littérature magique pourtant prolifique n’aborde presque jamais cet aspect particulier de la magie pratique. les quelques ouvrages que l’on trouve sur le sujet se contentent d’en développer l’aspect historique, et les texte dits techniques sont incomplets et totalement impraticables. Cela tient souvent au fait que l’envoûtement appartient plus à la tradition orale qu’aux méthodes de la magie cérémonielle dérivée des magies astrologiques et des techniques d’exorcismes des différentes religions.

L’envoûtement possède une origine plus sorcière que magique, il est assez différent des méthodes purement égrégoriques (c’est à dire nécessitant l’aide d’une entité) qui constituent l’apanage des rituels complexes des magies symboliques et religieuses. Quoiqu’en pensent certains praticiens, l’envoûtement est très éloigné des manipulations de la démonologie, ce qui explique la quasi totalité des échecs des opérations utilisant les techniques appartenant à la religion (exorcisme), totalement inadapté dans ce cas. Bien que dans plusieurs méthodes d’envoûtement les techniques évocatoires d’entités soient utilisées, le mode opératoire est beaucoup plus complexe qu’un simple appel à une entité dont l’existence et la bonne volonté sont souvent problématiques.

L’envoûtement est essentiellement une pratique reposant sur la qualité de l’entrainement spécial d’un sorcier ou opérateur.

L’envoûtement a très mauvaise réputation, il est même synonyme de maléfice, en tout cas d’actions particulièrement noires et peu édifiantes. Là encore il s’agit d’une perversion spécifique de l’esprit humain, qui ne retient que l’aspect sulfureux d’une action neutre en soi! L’envoûtement désigne une technique d’action à distance sur un être humain, des animaux ou des plantes. L’envoûtement agit sur la vie. Son action peut être très violente et rapide, mais cette influence peut être modulée selon plusieurs critères et ne désigne pas obligatoirement une action négative, il faut même admettre que la plupart des actions types de l’envoûtement sont des actions bénéfiques, mais ce sont malheureusement les moins utilisées!

Parmi les envoûtements bénéfiques on trouve: des envoûtement de guérison, des envoûtement de compensation de comportements névrotiques, ou plus simplement gênants: timidité, bégaiement, émotivité, etc. Des envoûtement d’aide psychique ou psychologique (particulièrement délicats) pour aider une personne en dépression, l’empêcher de s’adonner à la drogue, etc. Pour redonner à quelqu’un une certaine joie de vivre, lui faire oublier une expérience traumatisante ou difficile à surmonter.

Les envoûtement maléfiques sont plus inquiétants. Envoûtement de haine, envoûtement de destruction, provoquant des ruptures affectives ou amicales, envoûtement pour provoquer un suicide, ou une programmation d’échec, envoûtement bloquant une carrière, causant des difficultés dans l’existence. La liste est aussi longue que celle des envoûtement positifs, en fait elle n’est limitée que par l’imagination, et en ce domaine, il semble que la morbidité et la méchanceté l’emporte sur le sens de la vie et de l’amour.

Il existe des envoûtement difficile à cataloguer, ils peuvent être, selon le cas ou l’éthique personnelle , rangés dans les catégories positives ou négatives, parmi eux citons l’un des plus connus: Le retour d’affection ou envoûtement d’amour. C’est un envoûtement complexe à réaliser.

Les méthodes d’envoûtement sont particulièrement nombreuses, j’ai pour ma part recensé plus de 195 formes ou rituélies différentes. Il n’est pas dans mes intentions de les décrire toutes, car la plupart ont une structure commune, et les variantes ne sont que des parties de rituels combinées entre elles. La technique de l’envoûtement est donc un puzzle que l’habileté du technicien assemble en un tout harmonieux.

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Aussi étonnant que cela puisse paraitre, la mise en oeuvre d’un envoûtement est relativement simple (infiniment plus que la mise en oeuvre de l’opération inverse) et les procédures peuvent être appliquées même quand l’opérateur ou le sorcier ne connait pas le sujet cible. Une des conditions impérative implique que le demandeur soit présent lors d’une , et généralement lors de plusieurs séances, ce qui permet de “personnaliser” l’action et d’inclure le potentiel émotionnel indispensable à la réussite. Il convient de préciser qu’il en est de même dans un contexte de désenvoûtement et à et a fortiori, dans une procédure de contre-envoûtement où la victime à dégager doit être impérativement présente sous peine de nullité de l’action. Ce qui n’est pas le cas lors d’action de nuisance basée sur la technique des sorts, ou le traiteur peut agir seul.

Dans certains cas, envoûtement d’amour ou de destruction par exemple, le demandeur doit être étroitement impliqué dans le contexte rituel, ce qui donne lieu parfois à des cérémonies douteuses, voir franchement orgiaques (pratiques sexuelles).

Un des aspects les plus importants, d’une pratique opérative d’influence efficace est constitué par l’utilisation de témoins et éléments corporels.

TÉMOINS CORPORELS.

L’élaboration d’un envoûtement implique de posséder un témoin du sujet, généralement il s’agit d’un élément corporel, aussi infime soit-il. Les éléments les plus usuels sont: Les cheveux, les ongles, les poils, des traces de sang sur un support neutre, de salive, de sperme (mouchoir, linge intime, filtre de cigarette, timbre poste, enveloppe, etc.). Dans la plupart des cas ces “éléments” sont intégrés dans une dagyde, petite statuette de cire d’abeille pure ou d’argile, symbolisant le sujet cible. La dagyde doit être confectionnée par l’opérateur avec une cire d’abeille de bonne qualité , les pseudo statuettes bougies que l’on trouve dans le commerce sont impropres à l’usage pour plusieurs raisons: la présence d’une mèche est une absurdité, car aucun rituel sérieux ne préconise de faire brûler la statuette de cette manière, cette “mode” provient de l’habitude des catholiques d’effectuer des neuvaines en utilisant un cierge! Ce syncrétisme est du plus haut comique, quand on sait que ces statuettes sont destinées à des rituels d’influence, lesquels sont assez éloignés de l’éthique chrétienne… Ces bougies sont de plus confectionnées avec de la stéarine, un produit issu du pétrole et ne possédant aucune des caractéristiques de la cire d’abeille, laquelle est une substance accumulatrice possédant des propriétés particulières.

Dernier point, ces statuettes sont fabriquées en grande série et non selon les prescriptions rituelles lesquelles sont assez rigoureuses. Les opérateurs qualifiés utilisent des dagydes quelques peu différentes en ce sens qu’ils ajoutent à la statuette de base un composé nommé condensateur. Ce condensateur est un produit préparé par l’opérateur selon des prescriptions rigoureuses. Il s’agit d’un mélange d’huile sainte, dans laquelle sont mêlés des oligo-éléments, des complexes d’essence de plantes et éléments métalliques en relation avec la typologie planétaire du sujet. Ce condensateur à la propriété de correspondre à la nature astrologique du sujet et d’accumuler rapidement (et de la conserver) les charges énergétiques et émotionnelles produites lors du rituel.

Les dagydes à condensateurs, apanage d’opérateurs compétents, améliorent considérablement les performances des rituélies, et en général de toutes les opérations occultes, puisque ces condensateurs sont utilisés dans les Pantacles, certaines protections, les charges d’envoûtement, les charges à cristaux, etc. La présence d’un condensateur dans une dagyde de dégagement, de transfert ou de contre envoûtement, augmente la rapidité du dégagement et permet d’obtenir une meilleure qualité du transfert, ainsi que nous le verrons un peu plus loin dans le texte.

Plusieurs opérateurs et sorciers, notamment au Brésil (Les brujos Brésiliens), utilisent pour leur part des boulettes de cire ou d’argile dans la quasi-totalité de leurs rituels. Et l’on sait quelle est la “qualité” des travaux de ces praticiens qui sont avec les sorciers malgaches parmi les plus dangereux de la planète. La forme du support n’ayant en réalité aucune importance, seuls comptent la qualité des éléments actifs et l’entrainement du sorcier.

Dans plusieurs rituels, la présence de la dagyde n’est pas requise, son rôle est assumé par un médium qui s’identifie au sujet cible. Cette technique très spéciale nécessite un entrainement exceptionnel (pour l’opérateur et pour le médium), ce médium étant, dans certains cas très rares, l’opérateur lui-même. Ce type de rituel particulièrement sophistiqué est l’apanage de techniques de haut niveau (magie de puissance: magie eggrégorique, ou magie sexuelle) sortant du cadre du présent ouvrage. Il est important de préciser que très rares sont les opérateurs qui travail avec un médium, généralement une heune fille qui leur sert d’apprentie. Encore faut-il que le sorcier connaisse le véritable rituel, ce qui est encore plus rare.

Certain sorciers utilisent fréquemment des photos comme support, il convient de souligner que la photographie ne constitue pas un support réellement valide d’envoûtement. Cet accessoire est surtout utilisé dans le cadre préparatoire (visualisation) ou dans certain rituels procédant par identification ce qui facilite le travail du médium. Dans la pratique du dégagement ou du contre-envoûtement, la photographie est par contre un support de qualité pour effectuer les tests comme aide au diagnostic.

Durée d’un travail d’envoûtement

En général la durée d’un travail ( terme usité pour désigner une pratique de ce genre) est de 28 jours; Cette durée traditionnelle est déterminée par la longueur du cycle lunaire complet (nouvelle Lune, premier quartier, pleine Lune, dernier quartier et retour à la nouvelle Lune — marée noire). On sait le rôle important de ce cycle dans la plupart des phénomènes biologiques et psychiques, ainsi que le rôle qu’il joue en agriculture, son action sur les marées et dans les cycles de reproduction. Notre satellite règle avec précision tous les travaux d’influence et de dégagement. On commence généralement une opération d’envoûtement trois jours après la nouvelle Lune, afin de bénéficier des potentialités de la Lune montante, laquelle renforce les énergies. La clôture s’achevant au retour du cycle fermant ainsi le travail par un cycle complet.

Dans le cadre d’un contre-envoûtement le praticien se base également sur le cycle lunaire, à cette seule différence, c’est que l’opération peut débuter à n’importe quelle période du cycle. Comme il s’agit de transfert celui-ci s’effectue avec plus ou moins de rapidité, l’opération se terminant à la même période du cycle avec des temps forts et des temps faibles en fonction de la phase lunaire.

Dans le cadre d’un travail d’influence une fois la phase rituelle terminée, le processus d’action va suivre son cours, l’influence va commencer dès la première cérémonie, mais ne sera perceptible qu’après un certain laps de temps. Cette inertie est due principalement au mode d’action particulier de ce genre de travail; Les résultats peuvent se manifester lors du cycle lunaire suivant ou quelques mois plus tard: il n’existe aucune règle absolues. Le même rituel appliqué à des individus différents donne des résultats nuancés et des temps de réaction également très variés.

Autopsie d’une action d’influence

Quelle que soit la procédure rituelle employée, l’action obéit à des règles précises dépendant des structures psychologiques propres à l’espèce humaine.

La spécificité d’un rituel d’influence quel qu’il soit est basée sur une constante, mise en oeuvre selon différentes procédures dont le choix appartient à l’opérateur. Dans tous les cas le demandeur représente le potentiel émotionnel, somme de passions, de désirs enchevêtrés, de pulsions plus ou moins exprimées, malstrom où se mêlent des sentiments confus, fétides, sublimes, le plus souvent un composé. Cet ensemble nauséeux appartenant à l’intimité d’un individu est inopérant et reste prisonnier de cette âme déchirée par les passions. Le rôle de l’opérateur va consister à “mettre en forme” ainsi qu’un programme informatique, le message spécifique résultant de cette demande. Ce message est d’une absolue simplicité, sous peine d’être intraduisible et inopérant. Il s’agit d’induire une émotion et non d’envoyer un dictionnaire.

Le choix du rituel sera décisif par sa forme, il permettra déjà de préciser la nature de l’influence. On n’utilise pas la même structure pour influer les décisions d’un conseil d’administration, pour modifier le comportement d’un inspecteur des impôts, provoquer un accident ou la ruine d’un individu, que celle qui fera revenir l’être aimé, ou qui créera le désordre dans un couple. Ceci étant acquis, l’opérateur mettra en oeuvre le rite auquel devra participer le demandeur.

Pour simplifier, disons que le demandeur exprimera son désir comme une bouffée émotionnelle, mise en scène et exaltée par contexte rituel, et que par sa neutralité et l’absence de passion, l’opérateur fournira le vecteur acheminant cette passion selon un schéma (le programme) correspondant au résultat souhaité.

Au niveau du sujet cible, l’induction atteindra le niveau inconscient. S’appuyant sur des résidus passionnels, des faisceaux d’affects, des émotions, refoulées des désirs inconscients. Le message trouvera un écho dans cet enfer privé que constitue le subconscient de la plupart d’entre nous. C’est au niveau des tensions internes, des refoulements, des passions et des désirs, des complexes et des culpabilités que l’induction émotionnelle se produira.

L’impact émotionnel, pulsion de désir ou de destruction, s’ancrera sur une de ces aspérités secrètes, s’installera puis se développera en se ramifiant comme un cancer de l’âme qu’elle investira pour mieux l’étouffer. Tel est le processus de l’envoûtement qui trouvera sa pâture dans les passions intérieures conscientes, non exprimées ou refoulées. On comprend que ce processus n’a rien à faire avec la volonté de la victime, car l’induction exacerbera des désirs entretenus par la continuité du rite.

La tension interne, devenant plus forte, passe du niveau inconscient au niveau du conscient, et la victime aura l’impression que cette passion soudaine, ou cette émergence d’un désir vient d’elle. Si l’individu possède une volonté forte, capable de résister à des suggestions extérieures, cette aptitude ne lui sera d’aucun secours, au contraire, car persuadé que le désir naissant ou l’inspiration qui lui vient est l’expression de ce qu’il pense, sa volonté sera mise au service de cette suggestion. L’entreprise a réussi.

Dans le cas d’envoûtement de destruction, le processus est un peu différent, mais les résultats sont comparables. La programmation négative engendrée par l’envoûtement provoquera une somatisation ayant pour résultat une maladie, ou un état dépressif pouvant aboutir à une autodestruction.

Pour obtenir de tels résultats à coup sur, ce qui heureusement est fort rare, il faut que l’opérateur soit d’une grande intelligence et possède une parfaite maitrise de son art. Mais il est bien rare qu’un individu réellement intelligent se livre à ce genre de pratique, à moins que celui-ci soit névropathe. La plupart des opérateurs pratiquant l’envoûtement sont: soit des novices animés par la curiosité, soit des individus complexés, poussés par une volonté de puissance ( ce qui est une forme de névrose). La plupart sont des êtres frustres incapables d’atteindre une maitrise de ces mécanismes subtils et ayant une “heureuse” tendance à mélanger les traditions, à utiliser des grimoires (dont ils ne comprennent pas la symbolique cachée/ Il ne faut pas oublier que grimoire vient de grimé, qui signifie déguiser!), ce qui diminue l’efficacité de leurs nuisances. Il n’en reste pas moins vrai, que les résultats, même insignifiants, obtenus par ces individus véritables “déchets” de la spiritualité, sont amplement suffisants pour provoquer d’importants dégâts, compte tenu de la fragilité émotionnelle de la plupart de nos contemporains.

En effet si les résultats obtenus ne correspondent que rarement à ceux escomptés, il n’en demeure pas moins que les perturbations physiques, psychiques, familiales ou sociales, puissent être gravissimes et certains cas durables, voire définitives. D’où l’immense intérêt de techniques de protection ou de dégagement efficace.

Pour résumer d’une manière plus triviale, on peut affirmer que: L’envoûtement est un composé d’émotion, provoquant une pulsion, un coup de tête, de coeur ou de “cul”!

Il ne peut s’agir d’un programme détaillé, porteur de nuances, c’est un message abrupt, un choc non analysable. Ceux qui prétendent le contraire sont des niais ou des escrocs, à moins qu’ils ne possèdent aucune culture dans ce domaine (ce qui ne leur laisse pas beaucoup de chance). Cet aspect émotionnel du procédé explique la difficulté de réussir certaines spécialité, comme les envoûtement d’amour, appelés retour d’affection, à moins d’utiliser de l’émotionnel à l’état pur en faisant appel à des rites orgiaques qui tiennent plus des “transports en commun” que de l’idylle de Paul et de Virginie.

L’envoûtement agit comme une programmation sauvage, produite par une intense émotion dont le rituel n’est que le fil conducteur, le demandeur l’inspirateur et la source énergétique (amour, haine et passion). Cette bouffée émotionnelle éveille les désirs diffus du subconscient de la victime produisant un phénomène obsessionnel, une programmation et une exacerbation des tensions préexistantes, qui ne s’apaise que par l’assouvissement ou la destruction;

Provoquer une action négative est d’une relative simplicité (sauf dans les actions très élaborées impliquant de nombreux facteurs), ce genre d’action est malheureusement à la portée de n’importe qui possédant une puissance de haine suffisante. Il est facile de blesser ou de tuer quelqu’un, un bâton, une pierre ou un couteau sont amplement suffisants et cet acte est à la portée de n’importe quel imbécile. Par contre il faut être un très bon médecin ou chirurgien pour soigner une victime. Ve qui explique les échecs des “traiteurs” qui le plus souvent sont incapables de réellement maitriser la situation pour “guérir leurs patients.

Le propre de l’envoûtement est d’investir l’inconscient . Dès que se manifeste l’influence, celle-ci semble provenir naturellement d’une pensée ou d’une réflexion personnelle. Cette émergence est interprétée comme “venant de soi”, si bien que l’attention de la victime n’est à aucun moment mise en alerte. Le danger des influences de ce type, est très pernicieux, car leurs manifestations prennent toujours un aspect naturel. Il convient donc d’être particulièrement attentif.

Il convient de souligner que l’envoûtement n’atteint pas certaines personnes, est-ce à dire que certains êtres sont réfractaires à ce genre de manipulation ou du moins n’en sont que très faiblement affectés, ou n’en souffrent qu’un très court moment. Ces êtres n’ont rien d’exceptionnel, et ce phénomène n’a aucun rapport avec la volonté ainsi que nous l’avons vu un peu plus avant dans le texte. Ce phénomène tient au fait que ces personnes ont effectués, la plupart du temps consciemment, un travail de progression spirituelle efficace. Le résultat étant une diminution des tensions intérieures, une maitrise des passions et une dissolution plus ou moins effective des désirs. Un mystique, ou un être très évolué spirituellement, aura résolu ses tensions intérieures, ses blocages, culpabilité et interdits seront diminués ou absents.

Un tel individu se connaitra, se trouvant sur une voie de progression, il aura maitrisé son égo, réalisé une certaine unité de son être/ L’aiguillon des passions et les inductions émotionnelles n’auront plus prise sur cet inconscient éclairé. Ce “noble voyageur” ressentira peut être les attaques, mais il en restera l’observateur indifférent ou amusé. Cet état très particulier de “décréation” est l’apanage de quelques individus effectuant une démarche de progression spirituelle, qui ne doit pas être confondue avec une démarche religieuse avec laquelle n’a que peu de points communs.

La religion est certes une démarche menant à ce genre de prise de conscience, mais elle ne reste (à de très rares exceptions) qu’une béquille émotionnelle pour les infirmes de la spiritualité. Ce qui explique la vogue du culte des saints, des anges et autre entités exotiques, qui procède de la même démarche que celui des cultes démoniaques et luciféro-extravagants auxquels s’adonnent les amputés du sacré. La faute en revient aux religions totalitaires qui laissent entendre à leurs ouailles, qu’en dehors d’elles, il n’existe point de salut, alors que les religions les plus anciennes comme l’hindouisme et le bouddhisme incitent au dépassement et à l’autonomie spirituelle.

Le message des évangiles et pourtant clair, de même que ceux de Bouddha ou de Krishna, mais les hommes ont peur de leur désert intérieur et de sa réalité! Car c’est dans le désert qu’on rencontre Dieu.

D’Hawaï à la Nouvelle Zélande, de Gilbert à l’île de Pâques, les quelques centaines d’îles volcaniques ou coralliennes qui, au centre du pacifique , constituent la Polynésie, offrent un aspect culturel assez particulier. Malgré les distances énormes qui séparent les îles, leurs populations ont toutes, avec une identité fondamentale de langage, un fond somatique commun. Les insulaires, sous les traits desquels on devine de lointaines ascendances caucasiennes, mongoliques et africaines, vivent dans une civilisation néolithique caractérisée par la pirogue à balancier, le four à pierres, les étoffes de tapa, les danses de pied ferme et, négativement, par l’absence de tout métal et de la poterie, l’ignorance de la roue, du gouvernail, du tissage, de l’écriture et de l’arc de guerre.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Cook, le rassembleur des terres océaniennes, en trois voyages resté fameux dans l’histoire des découvertes maritimes, révéla au grand public l’existence des Polynésiens. Et, à sa suite, à la suite de Bougainville, l’Océanie fit son introduction dans la littérature européenne et les préoccupations des missionnaires et des commerçants. Ceux-ci, très vie, s’intéressèrent aux indigènes au milieu desquels ils s’installaient, et nous devons à W. Ellis, à Mariner, à Tunrer, aux Pères Mathias Gracia et Laval, au consul Moerenhout, pour ne citer que les noms les plus notables, une série d’ouvrages qui sont, en certaines de leurs parties, d’excellents documents d’ethnographie religieuse.

Dès 1855, Sir George Grey, qui était gouverneur de la Nouvelle-Zélande, publiait une mythologie Polynésienne devenue classique. J.White nous donnait six volumes de son Ancient History of the Maori. Les instituts proprement scientifiques s’organisèrent bientôt. A Honolulu, le Bernice P Bishop Museum commençait de récolter les objets qui forment aujourd’hui les plus belles collection polynésienne du monde, expédiait de nombreuses missions de recherches dont les rapports constituent une bibliothèque considérable. En Nouvelle-Zélande, la polynesian Society entretenait l’activité des chercheurs en publiant un journal, devenu après quarante ans, une source abondante pour la connaissance de la civilisation polynésienne. Là aussi des musées se fondaient, magnifiquement outillés et pourvus de puissants moyens de travail; des hommes, Elsdon Best est le plus illustre, s’intéressaient avec passion à l’étude des dernières tribu maories.

Nous devons à ces diverses circonstances de pouvoir prendre une vue relativement satisfaisante de l’ensemble polynésien. Il a pu être observé au moment même où, par suite de son contact avec la civilisation européenne, il commençait une rapide désagrégation; et ces observations, recueillies à l’époque des premières curiosités proprement scientifiques en matière d’ethnographie, nous sont parvenues avec une suffisante abondance.

La place importante tenue par les idées religieuses chez les polynésiens frappa tous les observateurs anciens. “Chez eux, écrit Mœrenhout, toutes les actions de la vie publique et de la vie privée, toutes les pensées, tous les discours se rapportent à la religion, bien ou mal conçue; chez eux, la divinité se montre incessamment dans tous leurs travaux comme tous leurs plaisirs, et préside indéfiniment à tout, sans que leurs mœurs en restent, pour cela, moins étrangères aux lois de l’humanité et de la pudeur…” Et le même auteur note ailleurs que “les Océaniens accordaient à l’intervention divine un empire indéfini. Chez eux, en effet, sans parler des conjonctures capitales, comme installation d’un chef, commencement ou issue d’une guerre, maladie ou mort de leurs proches, etc., point d’action, point de travail, point d’entreprise, point d’évènement, qui ne fussent attribués aux dieux, soumis à leur inspection ou faits sous leurs auspices. Ils ne coupaient pas un arbre pour construire une pirogue ou une maison, avant d’avoir été, la hache à la main, au maraï, et sans leur apporter le premier morceau enlevé à l’arbre; avant de l’abattre en entier. Quand une pirogue était achevée, on ne pouvait l’enlever du chantier qu’après des prières faites aux Maraïs et en présence d’un prêtre, marchant à la tête de la procession qui l’apportait pour la lancer à l’eau; car elle ne devait toucher terre qu’après avoir été lancée ou consacrée à la mer. Ils ne recevaient pas un ami, sans avoir, préalablement, offert aux dieux une partie de l’ordinaire qu’ils vouaient lui présenter; et pas un étranger, sans leur consentement. Chez eux, point de danses, point d’exercices, point de plaisirs, point de réjouissances publiques ou privées sans l’approbation des dieux. Il n’est pas jusqu’aux étoffes qu’ils fabriquaient, aux présents qu’ils recevaient, dont une partie ne d^ût leur être offerte. En fin, craignant toujours et rencontrant partout leurs divinités, ils ne vivaient ou n’agissaient que sous leur influence: et quoi qu’un tel système ne dirigeât ni leurs mœurs, ni leur morale (car chez eux, rien qui ressemblât à la morale et aux mœurs), toujours est-il certain qu’il n’y eut jamais, dans aucun pays , de religion plus positivement dominante que celle de ces îles et qui, plus qu’elle, liât l’homme dans toutes les circonstances de la vie.”

PANTHÉON

La mythologie polynésienne, extraordinairement riche, nous révèle l’existence d’une multitude de dieux, de demi-dieux, de héros et de génies. Peu d’entre eux recevaient, un culte public; mais des légendes, des généalogies, des hymnes en ordonnaient la classification, en racontaient les aventures, en décrivaient les mœurs. Tout cela si confus, si mêlé, qu’il est difficile d’en prendre une claire vue d’ensemble. Nous avons l’impression de nous mouvoir dans un panthéon en évolution. On y devine des mouvements de dieux d’origine mythologique en train de céder la place à des esprits inférieurs, héros déifiés ou ancêtres vénérés, tous à antécédents humains, en voie d’ascension — et vice versa. Par ailleurs, la dispersion des populations aidant à leur isolement, on voit beaucoup de notions dont on soupçonne l’identité foncière, prendre, selon les archipels une coloration différente, se confondre, se contredire même. Taaora occupera à Tahiti la place d’Io en Nouvelle-Zélande. Ka s’empare, à Hawaï, du protectorat des forêts, normalement réservé à Tane. On ne peut donc guère donner sur le sujet que des vues rapides, fragmentaires, et seulement susceptibles de fournir une idée de la complexité de la mythologie du pacifique polynésien, une des plus élevées du monde.

Transcendant la foule multiforme du panthéon polynésien, apparaît Io. Comme il était inconnu de la grande foule maorie, qui en ignorait parfois jusqu’au nom, longtemps il resta insoupçonné des européens. Aucune statue, nul culte public, nul sacrifice n’en trahissaient l’existence. Seuls les prêtres du whare kura, quelques chefs de haut rang, se passaient secrètement la notion de son existence, de ses prérogatives, de son culte. On ne l’invoquait que pour des affaires importantes, dans un magnifique langage archaïque, difficile, pour nous, de traduire exactement. Une litanie de douze noms donne une idée de ses qualités essentielles. “Io le grand! dit-elle, Io l’éternel! Io l’inchangeable! Io la source de toutes les connaissances sacrées et secrètes! Io l’auteur de toutes choses! Io l’ingendré! Io au visage caché! Io la source de la vie! Io le plus élevé des douze ciels! Io qui écoutes les causes justes! Io qui retiens (le mal)! Il est certain que nous retrouvons là tous les caractères d’un grand dieu, dans une mythologie très articulée. Io n’est du reste pas un atua, un dieu, c’est l’essence suprême, au nom ineffable, préexistante à la création. C’est de lui que naitront le ciel, le ben; de lui que naîtront les soixante-dix atua supérieurs. Cette conception si élevée, d’une cohésion si poussée , n’a pu être conservée que grâce à un ésotérisme assez strict et dénote une très lointaine origine. Des linguistes ont voulu voir en Io une contraction de Yahweh, contraction qui a en sa faveur une phrase de Renan et, contre elle, l’ignorance où nous sommes encore quant à l’origine des Polynésiens. Io est spécifiquement Maori, mais on en découvre des traces très nettes à Tahiti où, comme à Hawaï, le mot signifie: le coeur, la moelle, l’essence intime d’une chose. Io possède également dans toute la mythologie et le culte des Polynésiens, une place de choix. Sous le nom de Tangaloa, à Samoa, ou de Taaroa, à Tahiti, il est exalté par les chants de la création, comme le créateur du monde. Ailleurs, c’est la mer, où il s’est réfugié à la suite d’avatars célestes, qui est devenue son domaine. Tout ce qui vit dans l’eau est enfant de Tangaloa, ainsi promu à la dignité de protecteur des pêcheurs.

Parmi les atua supérieurs nés de Io , la trinité Tane, Tu, Rongo se retrouve presque identique à Hawaï et en Nouvelle-Zélande. Elle occupe, ici et là, l’échelon suprême de la hiérarchie sacrée. Dans toute la mythologie maorie, Tane — le mot signifie “homme” — est le générateur originel, le principe mâle et vivifiant des choses et des hommes. Il reçoit le souffle vital de Io, mais c’est lui qui l’introduit dans les narines de l’image terrestre façonnée par ses mains et qui, dès lors, commence de respirer et de vivre. C’est en tant que principe mâle que Tane est souvent représenté sous la forme d’un Tiki, ornement de jade ou statue de pierre mais, toujours, symbolisant une puissance créatrice. Dans le nord de la Nouvelle-Zélande, d’un arbre séculaire l’indigène disait: “Voilà Tane, notre ancêtre!” Considéré sous cet aspect, il sera le protecteur de tous les instruments en bois et vénéré sous forme de haches. Dieu de l’abondance, Dieu des forêts, Tane est aussi par analogie, Dieu du jour naissant, le Dieu du Soleil. Lié à des idées de pluie et de tonnerre, Rongo nous est représenté par les mythes maoris, au moment de la séparation du ciel et de la terre, comme le possesseur du kumara, de la patate douce. C’est le Dieu de l’agriculture. Son équivalent hawaïen, Lono, est le dieu des moissons; la pluie vivifiante est sa bénédiction. On lui offre les premiers fruits des cultures. Le retour périodique de son culte impose une trêve pacifique aux chefs sans cesse en guerre. Parce qu’il aborda à Hawaï vers le temps de l’année où l’on célèbre Lono, Cook fut d’abord pris pour une manifestation de ce dieu et reçu comme tel avec les plus grands honneurs. Rongo, protecteur de la paix, est le dieu de la gauche du corps. Par contre, Tu, à qui on dédie les expéditions belliqueuses. Tu, le dieu de la guerre, représente la partie droite du corps, celle qui brandit la lance et qui frappe dans le combat.

A côté des Dieux, se tient une déesse. C’est Hina. Hina, la première femme, est un des personnages les plus populaires de la mythologie. Elle est la déesse de la lune et préposée, à ce titre, à toutes les activités féminines.

Sous ces grands dieux, on pourrait citer par centaines — le seul groupe de Tahiti compte trois cent soixante-dix divinités à attributions spéciales — des noms de dieux inférieurs auxquels une île, une vallée, une simple famille, une corporation rend un culte. À Tahiti, chaque métier à son dieu. Les artistes, tatoueurs, chanteurs, danseurs chorégraphes, dramaturges… ont le leur. D’autres président aux professions : Il y a le dieu des couvreurs, des constructeurs de maisons ou d’embarcations. D’autres président aux jeux: combats de coqs ou nage sur les eaux. Hiro est le dieu des voleurs.

Il y a aussi ceux qui sont plutôt des héros que des dieux; Ainsi Maui. “Maui va lancer sa pirogue. il est assis dans le fond. L’hameçon pend du côté droit, attaché à sa ligne, avec des tresses de cheveux; et cette ligne et le hameçon qu’il tient à la main, il les laisse descendre dans la profondeur et l’immensité de l’univers pour pêcher le poisson (la terre)… Il la tient à la main… elle est prise à son hameçon. Maui s’est assuré le grand poisson nageant dans l’espace et qu’il peut maintenant diriger à sa volonté.” Ainsi apparait Maui, qui vole le feu des dieux, arrête le soleil et en règle le cours. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, on ne rencontre presque aucune représentation figurée des grands dieux. Cette absence de grzndes sculptures religieuses publiques est même caractéristique de l’ensemble Polynésien; Par contre, les dieux inférieurs sont matérialisés de manières très diverses; leur figuration varie avec les religions, en fonction de la place, le plus souvent modeste, occupée par la sculpture dans les différents archipels. Cela va du simple bâton à la tête sculptée, aux tikis de Nouvelle-Zélande; des prodigieux masques de plumes ou sculptures hawaïennes aux plus grossières effigies des Marquises. Samoa et Tonga sont beaucoup plus pauvres en divinités figurées qui, parfois , prennent des formes animales: lézards, rats, requins et oiseaux. Le tiki de la Nouvelle-Zélande, ce pendentif de jade représentant un monstre à tête penchée et à la langue pendante, porté par les enfants ou les gens nobles, n’est qu’un ornement privé et individuel. Les dieux de la famille Pomaré, tels que la gravure de garde d’un ouvrage américain du début du XIXe siècle nous en a conservé l’image, ne sont pour la plupart que de simples morceaux de bois enveloppés de cordonnets qui retiennent quelques touffes de plumes, ou de médiocres sculptures anthropomorphes. Il ne s’agissait pas, du reste, à proprement parler d’idoles. “Ces images n’étaient que le tabernacle où se déposait ce qui représentait partout les dieux, les plumes rouges et autres objets analogues, seuls symboles véritables de la divinité.” Le dieu est rarement présent, et il ne “tombe”, il ne “descend” que lorsqu’on le prie; le reste du temps, la pierre ou le bois n’ont rien de particulièrement sacré ou redoutable.

INSTITUTIONS MORALES ET RELIGIEUSES

Traitant des religions de l’archipel Paumotu, un observateur moderne a pu écrire: “J’ai cherché dans ces religions quoi que ce fût qui ressemblât à un principe de morale et je ne l’ai malheureusement pas trouvé. Sans doute, plusieurs d’entre elles avaient des prescriptions qui pénétraient divers actes de la vie des Paumotu, mais elles ne s’occupaient jamais de la conduite de ces insulaires envers leurs semblables.” J.G. Frazer lui-même déclare quelque part qu’on chercherait en vain chez les Maoris la notion de péché ou de pardon. Il semble au contraire, à M.Marcel Mauss, qui, les années d’avant la guerre, dans ses cours au Collège de France, étudia longuement la notion de péché chez les Maoris, que la conscience morale, le sentiment de la loi et la crainte de la transgression, la nécessité d’une certaine satisfaction lorsqu’elle a été violée, sont chez eux des conceptions très profondément ancrées. D’après cet éminent professeur, les notions morales, chez les Maoris ont même trouvé pour s’exprimer tout un vocabulaire abstrait. Tika, c’est ce qui se tient droit, le kumara qui pousse bien, l’arbre dressé d’une seule venue vers le ciel, le trait visé juste, le sentier direct, par opposition aux chicanes du pah. C’est, enfin , l’ordre auquel obéissent toutes choses, les astres comme les homme, ainsi donc ce qui est régulier: le costume, la loi. À l’opposé de cette idée de tika, plusieurs concept. Les missionnaires, auteurs des premiers dictionnaires, ont peut-être traduit un peu hâtivement hara, par péché, attribuant à ce mot une signification précise qu’il ne saurait comporter. Hara dit un état mauvais provenant de la perte de la puissance psychique à la suite d’un rapport avec des influences contaminantes ou destructrices: transgression d’un tapu, manque de respect dû à des personnes sacrées, contact d’objets souillés ou d’êtres morts. Kino est, plutôt, un péché contre l’étiquette, la coutume, le savoir-vivre vis à vis des chefs. He s’oppose plus directement à Tika et signifie la faute dans la mesure où elle est une erreur pratique, un manquement aux choses politiques. Ainsi se détermineraient, d’après les notions de kino, de he et de hara, trois zones principales dans la conception maories: une morale tribale, une morale aristocratique et, enfin, une morale plus proprement religieuse, ayant pour objet propre le respect dû à la sainteté du mana, tant pour ceux qui en possèdent que pour les hommes qui, bien qu’étant dépourvus, doivent néanmoins entrer en relations avec des personnages sacrés.

C’est cette dernière qui nous intéresse plus directement. Nous y insisterons quelques peu pour présenter une vue plus précise de la mentalité religieuse du Polynésien. Aussi bien, rentrons-nous ainsi dans un des éléments les plus caractéristiques de son culte: le rattachement du culte et de la mythologie avec l’organisation aristocratique. Nous sommes, en effet, dans une société essentiellement répartie en classes, avec une aristocratie dominante, des plébéiens, des esclaves. Le chef ariki, peut accidentellement participer à la puissance sacerdotale, être un akariki taura, un roi prêtre (Gambier) et le prêtre, le tohunga, peut être un chef; mais toujours, le chef possède une position rituelle active de droit ou de fait. C’est un être essentiellement sacré. Toutes les familles royales de Samoa, de Hawaï sont divines. De là nait un droit au tapu. Le tapu pèse, certes sur tout Maori libre de la naissance à son dernier souffle. Sa mort, ses ossements créeront encore autour d’eaux des zones d’interdits redoutables. Mais ce tapu ne s’appesantit pas également sur tous. Plus un homme est d’un rang élevé, plus il a de tapu. Alors que les esclaves, être spirituellement dégradés, n’en possèdent que le minimum nécessaire à l’existence matérielle, le chef est un être extraordinairement saint et vénérable. Intermédiaire entre les hommes et les dieux, descendant des dieux, de nombreux rites — à Samoa il se mariait parfois avec sa soeur pour conserver la pureté du sang — des consécrations, des charmes, toute une éducation ont porté à sa plus haute puissance son mana, qui est considérable. Il lui est défendu de toucher des nourritures cuites, c’est-à-dire mortes. Il doit manger seul. Sa tête est particulièrement respectable. Seul un tohunga de haut rang, avec d’infinies précautions rituelles, peut lui couper les cheveux. Son nom, donné à quelque objet que ce soit, le rend sacré et interdit. Son ombre ne doit frôler qui que ce soit. Les restes de sa nourriture feraient mourir celui qui par hasard y porterait la bouche. A Samoa, un vocabulaire spécial lui est consacré. Tout ce qui regarde sa personne, ses actions, ses pensées exige des termes nobles. Les objets qu’il touche prennent des noms spéciaux que tout le monde doit connaitre. Pour annoncer sa mort, un orateur parlera dix minutes sans prononcer une seule fois le mot ordurier o le oti; on parlera de la “transformation”, du “déplacement” de Sa Majesté, ta paau o le logi. Ces impressionnantes consécrations sont l’extériorisation de son rang suprême dans les choses sacrées. Un homme ne peut prononcer de tapu que dans les proportions de son mana personnel. La grande question pour lui est de vivre incessamment à cette hauteur. Il faut qu’il sache ses ancêtres, sa généalogie, qu’il observe scrupuleusement une étiquette, rende les dons avec magnificence (potlach), veille, en un mot, à ne rien laisser perdre de son mana. Car son tapu, ceux qu’il a le droit de s’imposer, ne sont rien moins que les caprice d’un homme qui se réserve la meilleure et la première part, prescrit ou proscrit selon son bon plaisir. Le tapu c’est l’ordre, et cet ordre, dont il est le représentant suprême, il en est aussi le premier prisonnier. La tête du chef est aussi sacrée pour lui-même que pour ses sujets. Il ne peut se la toucher du doigt sans être obligé de porter immédiatement ce doigt à son nez et d’aspirer ainsi par les narines la sainteté qu’il avait enlevé à sa tête en la touchant. Un feu sur lequel il a soufflé, une braise dont il a usé pour allumer sa pipe, sont impropres à un usage commun et tueraient leurs usagers.

le tapu — pour autant que l’on puisse définir en quelques lignes une institution polymorphe — c’est donc avant tout l’ordre, plus exactement, l’attention imposée par la loi religieuse pour maintenir les distances entre les individus du commun et ceux qui jouissent de pouvoirs supérieurs; l’état où se trouve la collectivité ou l’individu qui ne veut pas laisser se dégrader ou se perdre sa sainteté. Le tapu, dit Gudgeon, c’est le “contraire de respirer librement, c’est le monde de l’arrêt et de la rétractation”, celui des interdits rituels de tous ordres, interdits alimentaires, linguistiques ou sociaux: “Une inhibition collective, correspondant à une concentration sur un objet qui est en état de consécration”, définit de son côté M.Marcel Mauss.

LIEUX DE CULTE

Toute la Polynésie connait des lieux sacrés destinés à l’accomplissement des cérémonies à coloration religieuse. Le whare cura des Maoris., la maison où les anciens Hawaïens dansaient, le hula, le hangar sous lequel les pêcheurs samoans resserrent leur pirogues sont des endroits consacrés, érigés selon certain rites, ou sur des tombes de chefs, et qui, parfois, possèdent une table de sacrifice et des représentations sacrées. Mais, pour des raisons que l’ont discerne mal, c’est surtout dans la Polynésie du Nord, dans le groupe des Marquises et des îles de la Société, que l’on rencontre le marae, construction religieuse caractéristique de cette civilisation. Le marae tahitien est un temple à ciel ouvert. C’est une espèce de terrain débroussaillé, aplani, parfois surélevé et pavé; une sorte de terrasse rectangulaire qu’entour une murette bâtie de blocs coralliens ou de pierres tirées de la rivière voisine, fort grossièrement taillées et assemblées à joints vifs sans ciment. A l’intérieur de cette plate-forme, à l’une des extrémités du rectangle, un assemblage monumental de pierres affecte toujours une formes géométrique: c’est le plus souvent une pyramide à gradins, que les voyageurs, frappés par sa masse imposante; dénomment en général, et d’ailleurs improprement, l’autel. Cet “Autel” l’ahu, est la partie principale du marae. Il est toujours libre et nu, personne n’y monte hormis les gens inspirés et le porteur de l’idole. L’ahu est la place réservée aux dieux, leur trône, leur piédestal. La grande idole du mara est le dieu du chef: une pièce de bois spécial, mais non travaillé, qui, roulée dans les étoffes les plus précieuses, surmontée de plumes d’oiseaux les plus rares, présente l’aspect d’un homme empaqueté. Sortie pour les cérémonies, l’idole est logée dans une maisonnette souvent construite dans un coin de la cour. Cette cour contient également un fatarau, sorte de plate-forme en bois, grande claie supportée par des pieux sculptés, où sont exposées les offrandes et les victimes; de ci, de là, des pierres levées: elles marquent les emplacements des différents personnages de la famille propriétaire ayant droit de pénétrer sur le marae. La cour renferme encore un charnier, tu ruma, sorte de trou à immondices, où achèvent de pourrir, en dégageant une odeur repoussante, les os des victimes er le restes des offrandes. De petits édicules s’élèvent çà et là destinés à loger les idoles et leurs gardiens. Les arbres dont on entourait les marae et ceux qui y poussent parfois sont d’une éspèce particulière: le tamanu, le miro, l’aito, sur-tou était prisé, dont les branches, traversées par le vent, produisent un fort sifflement qu’on attribuait aux dieux… Propriété de famille, il y a des marae de toutes tailles, bien que construits presque toujours sur le même type. Les premiers voyageurs à Tahiti, Cook, Banks, Wilson, sont restés dans l’admiration de celui que, vers 1766, Parea construisit pour son fils Tereirere. Le marae mahaiatea, à Tahiti, mesurait en effet 89m. de long, 24m. de large et les onzes gradins de sa pyramide atteignaient plus de 15m. de hauteur. Il est possible que la présence de ces dimensions vraiment cyclopéennes, supposent une certaine relation culturelle avec l’Amérique Centrale. Il est possible que des Américains aient échoué quelque jour dans des îles de la Polynésie orientale ou que des indigènes aient ramené avec eux, des côtes américaines, quelques maçons dont la présence expliquerait ces monuments qui surgissent, assez surprenants, dans une air restreinte du Pacifique.

LES PRÊTRES

Le prêtre est le gardien naturel du marae. Chargé de faire la liaison entre les puissances supérieures et le peuple, il y offre des sacrifices, y reçoit et y exécute les ordres des dieux, y délivre des messages, des oracles. Les Maoris parlaient de leurs tohunga avec un singulier respect. Le tohunga maori est un homme qui, en quelque technique que ce soit, s’est rendu un maitre par l’habileté manuelle, la science et le don de commandement. Le tatoueur marquisien ou samoan, le charpentier des îles Cook étaient chargés, en même temps que de l’exécution technique, de la direction cérémonielle de leur profession. Le tohunga atua est donc un expert sacerdotal, un maitre de la technique des choses sacrées, le chef religieux de la communauté. Il sait rendre noa les personnes ayant violé quelque tapu; indique les temps des cultes et des cérémonies religieuses, l’opportunité des expéditions maritimes ou des entreprises guerrières. médecin , l diagnostique la maladie et prescrit des soins appropriés. Les prêtres de plus hauts rangs, les tohunga ahurewa, par exemple, qui sont les prêtres d’Io et en accomplissent les rites secrets, possèdent des pouvoirs particuliers sur les éléments et les phénomènes extraordinaires de la nature: arcs-en-ciel, halos lunaires, éclipses… Le sacerdoce n’est pas, en droit, héréditaire. Le candidat est choisi à cause d’une certaine désignation surnaturelle — don de double vue, exploits extraordinaires (marquises) — ou en raison de son rang social — les jeunes frères du chef ou quelque autre représentant de l’aristocratie. Une solide mémoire, un talent de récitation hors pair sont également d’excellentes recommandations. Une mémoire impeccable, chez une population ignorante de l’écriture et très formaliste, est en effet essentielle pour recevoir et très formaliste, est en effet essentielle pour recevoir et transmettre les traditions, les mythes et tout le formulaire rituel. Car il va de soi que tout l’enseignement est oral. les premiers tohunga maoris qui surent écrire se refusèrent à transcrire cosmogonies et prières. Ils s’étonnaient qu’un livre aussi sacré que la Bible fut, par l’impression, mis à la portée de tous. Orale, cette tradition est également secrète. Elle se divise en plusieurs degrés: le kauwae runga — la mâchoire supérieure — et le kauwae raro —la mâchoire inférieure — l’une représentant les connaissances des choses célestes — les dieux suprêmes, les mythes, la cosmogonie — l’autre traitant des sciences terrestres: histoire de la race maorie, de ses migrations, des généalogies, de l’histoire tribale, etc. On parle aussi, à la manière de l’Inde, des trois paniers de la connaissance placés par Tane dans la whare kura originelle, située dans le plus élevé des douze ciels, sur le chemin qui conduit du soleil au ciel, panier dont les richesses mystiques sont successivement ouvertes aux candidats. L’enseignement a lieu dans une maison particulière, whare kura, construite rituellement par les néophyte, extraordinairement sacrée, prohibée qu’elle est tout ce qui est noa — des femmes aux nourritures cuites — et dans laquelle ils ne pénètrent que nus. Il y a probablement quelques lointains rapports ente la maison des hommes, si caractéristique de la Mélanésie, et cette maison où s’instruisent les futurs prêtres pendant les six mois de l’hiver austral, de mai à octobre, selon un emploi du temps méticuleux, symbolique et sévère. La journée commence par l’attente du premier rayon de soleil qui est salué par des hymnes et des prières de la pus haute inspiration religieuse. “O Io! Chasse l’obscurité! Que ta lumière bientôt baigne nos esprits, comme nos corps l’eau de la rivière! Donne-nous le don de la prière! Fais-nous devenir tes hérauts et tes orateurs! Fais-nous entrer jusque dans les profondeurs de la connaissance, O Io, au visage mystérieux! Qu’elle pénètre dans la plus secrète oreille de tes néophytes, tes enfants, cette connaissance qu’ils désirent! Jusque dans les plus intimes racines de leur esprit, au tréfonds de leur coeur! O Io, le sage! O Io, le maitre de la connaissance! O Io, l’incréé!” Assis, le jour, sur les dalles sacrées du whare kura, dalles dont la position indique le degré d’instruction atteint, ou en se promenant dans les bois, de nuit, les candidats reçoivent de leurs maitres tout le trésor religieux de la tribu: une abondante tradition métaphysico-mythologique. Il s’agit non seulement d’acquérir la connaissance des textes, des généalogies, des chants, des charmes, mais encore de savoir les réciter de la manière voulue, d’une seule émission de voix, avec les intonations et les gestes. À la fin du cours, une sorte d’examen est passé. Moerenhout, une fois encore, a très bien rendu la scène: “Le moindre mécompte, la plus légère hésitation faisant non seulement refuser (le candidat) avec dédain, mais encore huer par le peuple et les examinateurs. Toute erreur, toute maladresse était de mauvaise augure. En revanche, une connaissance parfaite de ces examens et de ces chants sacrés n’élevait pas seulement l’heureux adepte aux premiers honneurs parmi les hommes, mais encore en faisait un être sacré pour tous et un favori des dieux”. c’est vers cette époque que le jeune initié mordra son instructeur ou, bouche à bouche, respirera son souffle, de manière à recevoir de lui communication de son mana, de sa force psychique. Aux Gambier, c’est le dieu lui-même qu’on communique, en un cérémonial décrit dans le Mangavera du Père Laval. “L’initiateur prenait un morceau de fruit à pain fermenté et cuit sans avoir été pétri qu’il mêlait à de la crème de coco également cuite; puis,… il récitait debout l’invocation appelée touma… Il prenait une boucée de cet aliment, la mâchait et la donnait aux initiés les uns après les autres. À chaque initié qui recevait une bouchée, il disait: “Reçois Tu!”, et l’initiateur se sentait alors sous le coup de l’inspiration et poussait des cris prononçant avec volubilité le nom du dieu Tu. —”Reçois Te Agiari!” “Reçois Ruanuku!… Reçois Tahiri!… Reçois Ma-ruporuanuku!” etc… Puis, il disait à chaque initié: “Cette nourriture est l’aliment du Taura; c’est la nourriture qui le soustrait à toute puissance séculière. Si tu corresponds à ce qui t’est communiqué, tu vivra; si n’y corresponds pas, tu mourras, tu seras jeté au four sur la plage de Te tehito, pour disparaitre ensuite à jamais dans les abîmes dits Haka-rapurapu”.

Les sujets jugés dignes de reçoivent une pierre sacrée, symbole de leur intronisation au nombre des tohunga. Une sorte de baptême leur est conféré, les tapus sont enlevés au cours de cérémonies, les vêtements normaux sont revêtus. Une dernière exhortation du prêtre: “Oh, mon frère! Retiens soigneusement les traditions sacrées que je t’ai apprises! Tes ancêtres les ont conservées à l’intérieur de la maison de la connaissance sacrée! Si quelqu’un osait la répandre, que le soleil le dessèche! Que la lune… Ce n’est pas moi qui les condamne, mais Tane, notre père, la source de toutes nos traditions sacrée”. À côté des prêtres, un inspiré se rencontre, qui joue un rôle caractéristique dans la vie religieuse du polynésien et y tient une place à part. Il ne nomme Kaula à Hawaï, Taula à Samoa, Taura Aux Gambier, Taua aux Marquises. C’est le prophète. Son attribution est, avant tout, d’être l’interprète de dieu, sa voix, son image animée. Il le manifeste parfois directement dans des crises véhémentes de possession et, parfois, traduit plus simplement ses intentions par l’interprétation des rêves ou celle des mouvements des animaux sacrées. Aux Marquises, c’est dans un lieu sacré, toujours la nuit, le plus souvent durant son sommeil, que le taua entend venir le dieu. “Le dieu tombe”, dit-on. Sa descente est accompagnée d’un bruit tantôt léger, mais toujours singulier. Au début de la possession, le taua devient triste, tremble de tout ses membres. Dans cet état de transe, il s’empare d’un bâton spécial, le hoto, et parcourt le pays comme transporté par une puissance invincible. Ses serviteurs, les moa, l’entourent et veillent à ce qu’on ne fasse rien qui soit susceptible de lui nuire. Le safran et l’huile de coco ne doivent pas le souiller alors. Ayant erré ainsi, et porté la terreur sacrée de sa présence ici et là, il rentre sans sa vallée et monte sur son meae, où ses serviteurs vont lui construire une case de feuillage. C’est sur ce lieu consacré qu’aura lieu la crise finale. Il se roule par terre avec frénésie, bondit et donne des signes de la plus totale fureur sacrée. Alors le dieu fait connaitre ses volontés. (Cela n’est pas sans rappeler la théomorphose similaire retrouvé dans le culte vodou NDLR). Au paroxysme de son agitation et de son délire haletant, dans un langage rempli d’archaïsme et d’obscurité, par phrases hachées, le taua délivre son terrifiant message: “Il faut des victimes humaines!… Il en faut tant!… Vous les trouverez dans tel district!…” Au sein de ce délire, son langage est grave, imposant, son éloquence persuasive. Le retour au calme s’effectuera progressivement. Le taua fixera alternativement un objet sacré et les objets environnants. Bientôt le dieu le quittera. il sera redevenu un homme normal, semblant à peine se souvenir de ses commandements sanguinaires. Regardés comme des messagers des volontés des dieux, ces prophètes sont très appréciés des communautés qui les possèdent et les entourent d’un respect mêlé de terreur. Il sont très tapu. “Ce n’est pas que personnellement ils soient très cruels”, écrit un des premiers missionnaires des marquises. “nous avons reconnu à quelques-uns une douceur de caractère qui aurait pu les rendre sympathiques, mais la religion qu’ils représentaient voulait qu’ils trouvassent immédiatement consacrés, hihi, et, par conséquent, dignes de mort, tous ceux qui passaient sur leur ombre, sur leur natte, sur le lieu où ils rasaient leurs cheveux, sur l’eau à leur usage, sur le bois destiné à la construction de leur case… ceux qui cherchaient à séduire leur femme ou prenaient les fruits qu’ils s’étaient réservés… On ne s’asseyait jamais à l’endroit où un grand taua s’était assis ; on ne recevait rien de leur mains.” Le respect qu’on rendait à ces inspirés était tel qu’ils pouvaient même passer dans une vallée ennemie sans que personne osât les toucher. Ces délires prophétiques étaient souvent provoqués, dans la Polynésie à Kava, par une absorption de ce breuvage qui excitait les taua; ailleurs, principalement en Nouvelle-Zélande, ils y parvenaient grâce à une certaine concentration d’esprit, obtenue par une fixation du regard sur les dents de baleines ou autres objets sacrés, sur la surface brillante d’un vase rempli d’eau. C’est alors que le prophète, moins excité, plus savant, devient, comme chez les maoris, un devin, le médium des dieux. Il tient une grande place chez gens dont toutes les activités, personnelles ou collectives, sont dominées par des présages à interprétation correcte de sa vision. Les “voix des dieux”, sont innombrables: les astres, l’état du ciel, le chant des oiseaux et la démarche des animaux sacrés, les rêves, les mouvements du corps humain en sont les principaux. Le devin, lorsque ces signes font défaut, en provoque d’autres. Ainsi fait-il parler l’eau et le feu, les bâtons sacrés ou le cerfs-volants; ainsi interprète-t-il le balancement d’une lance fichées dans le corps d’un esclave vivant ou étudie-t-il les phénomènes insolites. Parfois c’est à l’état de veille que parlent les devins possédés par le dieu. Souvent les oracles parviennent à la connaissance des devins sous la forme de chants que l’on adoptera, pour la guerre ou quelque expédition, et que l’on chantera avec ces gestes de rythmique féroce, ces langues tirés et ces gesticulations, si chère aux Maoris.

LA VIE PSYCHIQUE

Pour le Maori, la nature humaine est composées de l’union d’éléments supérieurs et d’éléments inférieurs. La nature supérieure de chaque homme comprend: 1) Un principe vital individuel, mauri, qui ne saurait quitter le corps et meurt avec lui. Ce principe manifeste la vie divine, ora, et la puissance, mana. 2) Le hau, personnalité vitale, existence physique; Pendre le hau de quelqu’un c’est le faire mourir. Les choses ont un hau. 3) La connaissance céleste: vananga. Tous ses éléments sont indépendants , et proviennent du royaume de la lumière, ao. Les éléments inférieurs proviennent au contraire du royaume des ombres, po. Ils comprennent: 4) L’âme individuelle, wairua, qui est l’ombre, l’image immatérielle. On dit aussi ata, forme, figure, et qui est un mot qui signifie justement l’ombre dans certains dialectes mélanésiens. 5) La forme spirituelle, kehua/. 6) Tino, la personnification physique. Le schéma ainsi établi par un européen, et que j’abrège (certains de ces mots ont dix-huit sens), peut être présenté comme le plus poussé des essais de représentation spirituelle. Toute la Polynésie le connait, avec des variantes locales. Le mot wairua se retrouve sous la forme wailua, à Hawaï, sous la forme varua, à Tahiti. On dit ukane aux Marquises, mot compris dans le sens d’âme à Hawaï, à l’île de Pâques, et qui est peut-être une ancienne forme; Mais qu’entend l’indigène par cette âme, cette personnalité vitale, ce souffle, cette image dans l’eau? Quelle en est la nature, spirituelle ou matérielle? Elsdon Best qui s’est parfaitement assimilé à la mentalité maorie, répond: “Les termes indigènes désignent à la fois des représentations matérielles de qualités immatérielles, et des représentations immatérielles d’objets matériels.” Matérielle ou spirituelle, l’âme imprègne tout le corps et continue de résider dans chaque partie, même séparée: cheveux, ongles, dents, sécrétions et excrétions. Il est donc très dangereux de laisser tomber entre les mains de n’importe qui ces parties de soi-même. Cette croyance explique également les interdits extrêmement sévères placés sur les ombres des chefs et des prêtres. Mais certaines parties du corps sont censées plus riches que d’autres en substance spirituelle et inspirent, à cause de cela, plus de respect. Les Maoris localisent d’ordinaire le wairua dans la cime du crâne. Selon eux, le wairua s’introduit dans la matrice de la mère au moment de la conception. On dit chez eux d’un enfant avant sa naissance qu'”il est silencieux à Hawaïki”, la maison des ancêtres et le lieu départi aux âmes des morts. L’idée de la réincarnation apparaît donc très nettement. Elle est, en effet, assez fréquente en Océanie. Un ancêtre réapparaît dans un enfant.Cela explique les ressemblances; On retrouve également cette coryance dans le nom obligatoirement donné aux enfants, lorsqu’il existe des listes généalogiques d’apparence cyclique. L’âme, le wairua, peut quitter le corps. Celui lui arrive surtout pendant le sommeil. Les Polynésiens sont très attentifs à ne pas réveiller brusquement un dormeur, de crainte que la substance vitale ait du mal à retourner dans son corps avant que la conscience ne revienne à l’endormi, ce qui serait un désastre. Le waiura des Maoris est, lui aussi, actif et volage, mais jamais agressif, sauf dans le cas des aveugles dont l’esprit, n’y voyant pas, peut nuire. Mais, en général, le wairua cherche plutôt à se rendre utile à son corps et, pendant ses absences, décèle les dangers qui le menacent , s’en va rendre visite au wairua d’autres dormeurs, ou celui des morts. La maladie est toujours considérée comme une absence de l’âme. Pour éviter ce départ intempestif, chez les moribonds et chez les évanouis, on bouche avec soin toutes les issues du corps: narines, bouche, oreilles, etc. Si la maladie s’accentue, on sacrifie pour rappeler l’âme; les sorciers travaillent, un des parents moribonds est désigné pour lui faire ds insufflations qui doivent lui redonner la vitalité. Éternuer dans ces circonstances, est une catastrophe ; bailler est, au contraire, considéré comme de bonne augure: L’âme réintègre son corps.

LA MORT

Elle provient de l’absence prolongée et définitive de l’âme hors de son corps, car on ne meurt pas de mort naturelle. Le décès est toujours provoqué par une cause hostile: vengeance d’ennemis, mauvais sort, etc. Que devient cette âme? D’après les gens des Paumotu, par exemple, selon caillot, “l’âme entreprenait un voyage lointain, durant lequel elle devait renverser des obstacles de toute nature, avant de parvenir à sa nouvelle et dernière résidence. Aussi ses parents devaient-ils, sous peine d’encourir sa vengeance, lui fournir tout ce qui était nécessaire à son voyage posthume. “Sa dernière résidence était voisine des régions où le soleil se couche, mais en bas, dans les entrailles de la terre d’Hawaïki, d’où était venus ses ancêtres. La terre d’Hawaïki était en effet le commencement et la fin, le pays d’où étaient sortis les ancêtres des Polynésiens et où retournaient les esprits des morts. Il paraît que c’était une terre immense qui renfermait plusieurs régions. La plus vaste état celle de la nuit (Pô), située au centre de cette terre. Elle comprenait deux contrées bien distinctes, celle de la bonne nuit (Pô-Porutu), et celle de la mauvaise nuit (Pô-Kiro)… Ces deux contrées renfermaient tout ce que l’on rencontre dans le monde réel. Mais la première possédait un beau lac aux eaux calmes et bleues, tandis que la seconde n’avait qu’un affreux étang de feu à l’état liquide… Les deux contrées étaient d’après les Paumotu très peuplées; mais la dernière l’était beaucoup plus que la première, parce qu’elle était la demeure principale des âmes des morts. Les Paumotu s’y rendaient presque tous après leur mort, pour y retrouver leurs ancêtres et y tenir compagnie aux dieux de la Mauvaise-Nuit. Tous y menaient le même genre de vie qu’autrefois. Ceux dont la tombe avait été abandonnée par leurs parents erraient sans abri et en proie aux souffrances de la faim et de la soif. “Comme on le voit, les Paumotu admettaient, dans l’au delà , deux mondes en antagonisme, celui de la lumière et celui des ténèbres, celui du bien et celui du mal: ils comparaient le premier à un paradis (paparagi) et le second à un enfer (kororupo); mais ils les mettaient tous les deux sous les îles de l’Océan Pacifique, sous la mer, dans la terre d’Hawaïki, qu’ils surnommaient pour cette raison la terre d’en-bas.” De son côté, le corps du mort était l’objet de très nombreuses cérémonies. Il s’agissait, avant tout, d’aider l’âme à passer d’un monde dans l’autre. A cette fin, des journées durant, les parents et les amis du défunt, réunis dans une douleur qui se manifeste par des pleurs, des déclamations louangeuses et des lamentations parfois d’un grand caractère lyrique, s’efforcent de l’aider dans son nouvel état. On lui offre des nourritures. On écarte de lui les influences maléfiques par des danses. On détruit, en signe de deuil et pour qu’ils lui soient utiles, une partie de ses objets personnels. Sauf à Tonga et à Samoa où l’on enterre les morts, les funérailles ont lieux en plusieurs phases. Pour les chefs une estrade d’exposition est batie sur laquelle le mort est exposé, entouré d’immenses bandes de tapa. Ce petit édicule est souvent abrité par un hangar en feuilles de pandamus dressé pour la circonstance. Des gardiens sont chargés d’habiller et de déshabiller le mort. Sur de petites estrades sont disposées des nourritures souvent renouvelées. Webber, le dessinateur de Cook, nous a laissé une magnifique gravure du tupapau de Waheiadooa, chef d’Oheitehepa. Le tupapau repose sur son lit de parade, entouré d’une palissade basse. Ce chef était exposé la depuis vingt mois. La cérémonie terminale, le relèvement des os desséchés et leur disposition définitive, voyait la réédition des grandes cérémonies qui avaient accompagné le premier enterrement. À Tahiti ,le principal deuilleur portait un costume fort impressionnant et décoratif, fait d’un diadème de plume de phaéton, d’un gorgeret et d’un hausse-col de nacre, d’un pectoral en paillette de nacre, d’une ceinture de tapa blanche et d’un tablier piqueté d’écaille de tortue. Il en existe quelques très rares spécimens, rarement aussi complets que celui conservé au British Museum, dont il est un des plus remarquables de richesses Polynesiennes. Par ce double enterrement, les rites funéraires de la Polynésie se rapprochent de ceux de l’Indonésie.

À mon ami Témauri

En 1999, trois chercheurs en biologie moléculaire se sont rendus en Amazonie péruvienne pour voir si leurs visions hors des séances orchestrées par un chamane indigène leur permettaient d’obtenir des informations sur les biomolécules. Voici ce qu’en rapporte l’anthropologue canadien Jeremy Narby. En aucun cas cet article ne cherche à faire la promotion de substances prohibées sur de nombreux territoires occidentaux.

“Quoique intéressés par les médecines alternatives traditionnelles, les chercheurs en biologie moléculaire n’avaient aucune expérience du chamanisme amazonien. Ils étaient âgés d’un peu moins d’une quarantaine à un peu plus d’une soixantaine d’années. La première d’entre eux travaillait comme chercheuse dans une compagnie américaine de génomique, le deuxième était professeur au sein d’une université française et membre du CNRS. La troisième était professeur dans une université suisse et directrice d’un laboratoire de recherche.

Aucun de ces chercheurs ne parlait l’espagnol. L’ayahuasquero indigène ne parlant, pour sa part, ni l’anglais ni le français, je servis donc de traducteur pour le groupe. Avant tout, il convient de relever que le chamane et les scientifiques passèrent beaucoup de temps à converser, ne cessant d’avoir des choses à se dire. Le chamane, qui, en tant qu’ayahuasquero, avait étudié les plantes pendant trente-sept ans, répondit aux questions des biologistes plusieurs jours d’affilée.

Il dirigea également des séances nocturnes à base d’ayahuasca, auxquelles les biologistes prirent part. Ils aperçurent de nombreuses choses dans leur visions, y compris des molécules d’ADN et des chromosomes.

La biologiste américaine, qui travaillait habituellement au déchiffrage du génome humain, dit qu’elle vit un chromosome  à partir de la perspective d’une protéine survolant un long ruban d’ADN. Elle découvrit notamment des séquences d’ADN connues sous le nom d’ “Îles CpG”, qui lui avaient donné du fil à retordre dans ses recherches, et qu’on trouve en amont d’environ 60% de tous les gènes humains. Elle put constater qu’elles étaient structurellement distinctes de l’ADN environnant et que cette différence les rendaient ainsi aisément accessibles comme “plates formes d’atterrissage”  pour les protéines  de transcription qui viennent s’arrimer à la molécule d’ADN et copier des séquences génétiques précises. Elle dit que l’idée selon laquelle la structure particulière de l’île CpG lui permet de jouer le rôle de plate-forme d’atterrissage ne lui était jamais venue à l’esprit, et que la recherche en génomique aurait bientôt les moyens de vérifier cette hypothèse.

Le professeur français avait, quant à lui, conduit des recherches sur le canal spermique de différents animaux pendant bon nombre d’années, tout d’abord chez les lézards, puis chez les souris. Lorsque le spermatozoïde quitte le testicule pour pénétrer dans le canal spermique, il est incapable de féconder un oeuf, ne devenant fertile qu’après avoir traversé ce conduit, dans lequel environ cinquante différents types de protéines travaillaient à sa modification. Des années durant, le professeur et son équipe avaient tentés d’isoler quelle protéine en particulier rend le spermatozoïde fertile, la compréhension d’un tel processus pouvant avoir des implications pour l’élaboration d’un contraceptif masculin. Pendant l’une des séances d’ayahuasca, le professeur posa donc trois questions précises, soit: “Existe-t-il une protéine particulière qui rend les spermatozoïde fertiles? ” “Pourquoi n’a-t-il pas été possible de trouver la réponse à cette question même après des années de recherches?” et, enfin: “La souris est-elle le modèle approprié pour étudier la fertilité chez les hommes?” Les réponses lui furent communiquées par une voix qui parlait dans ses visions. Répondant à la  première question, la voix dit: “Non, ce n’est pas une protéine particulière. Dans cet organe, il n’y a pas de protéines clés, simplement de nombreuses protéines différentes qui doivent agir ensemble pour assurer la fertilité.” Concernant la deuxième question, elle dit: “J’ai déjà répondu à cela avec la première question.” Pour la troisième question, la voix répondit: “Cette question n’est pas suffisamment importante pour que j’y réponde. La réponse peut être trouvée sans ayahuasca. Essayez de travailler dans une autre direction.”

Quant à la professeur suisse, elle voulait consulter la sphère chamanique à propos de l’éthique de la modification génétique des plantes. Elle voulait savoir si il était approprié d’ajouter des gènes à des plantes pour les rendre résistantes aux maladies. Or le tabac est une plante importante à la fois pour les praticiens du génie génétique et pour les chamanes amazoniens. Les chamanes de nombreuses sociétés indigènes disent qu’ils s’entretiennent  dans leurs visions avec la “mère du tabac” ou lors d’une méditation sous influence d’ayahuasca avec une entité que le chamane identifia par la suite comme la mère du tabac; l’entité en question l’informa que le rôle fondamental du tabac était de servir tous les êtres vivants. Elle fit également savoir à la biologiste que la manipulation du génome du tabac ne constituait pas, en soi, un problème, pour autant que la plante puisse jouer son rôle fondamental dans un environnement adéquat et pour autant que la plante soit accordée à cet environnement. La biologiste dit qu’elle visualisa une plante resplendissante qui poussait dans le désert grâce à un gène supplémentaire qui la rendait résistante à la sécheresse. Elle revint de cette expérience avec la compréhension que la meilleure façon de jauger les manipulations génétiques était au cas par cas, en prenant en considération tant l’intention du scientifique que le but dans lequel les plantes modifiées seraient mises à profit par la société.

Au cours d’entretiens conduits dans leurs laboratoires respectifs quatre mois après l’expérience amazonienne, les trois biologistes s’accordèrent sur un certain nombre de points. Tous trois dirent que l’expérience du chamanisme ayahuasca avait changé la perception qu’ils avaient d’eux-mêmes et du monde, ainsi que leur appréciation des capacités de l’esprit humain. Chacun, chacune exprima un profond respect à l’égard du talent et du savoir chamane. Tous purent recueillir des informations et des conseils concernant leurs pistes de recherches respectives. les deux femmes parlèrent du contact avec les “plantes qui enseignent”, qu’elles perçurent comme des entités indépendantes; toutes deux relevèrent que le contact avec une plante enseignante avait changé la manière dont elles appréhendaient la réalité. Le chercheur indiqua, pour sa part, que toutes les choses qu’il avait vues et apprises au cours de ses visions étaient,  en quelque sorte, déjà dans son esprit, mais que l’ayahuasca l’avait aidé à y voir plus clair et à les assembler. Il n’estimait pas avoir communiqué avec une intelligence indépendante, mais croyait, en revanche que l’ayahuasca était un puissant outil pour l’exploration de l’esprit.

L’information scientifique et l’imagerie auxquelles les trois biologistes eurent accès pendant leurs visions sous ayahuasca étaient certainement liées à l’information et aux images déjà présentes dans leur esprit. Ils n’eurent donc pas de grandes révélations. “L’ayahuasca ne constitue pas un raccourci vers le prix nobel”, releva le professeur français. Tous dirent que le chamanisme ayahuasca constitue un chemin plus ardu vers la connaissance que la science et que, en tant que scientifiques, il les confrontait à des difficultés spécifiques. L’accès au savoir sous influence de l’ayahuasca implique, notamment, une expérience subjective hautement émotionnelle qui n’est pas reproductible. Il est impossible d’avoir la même expérience deux fois de suite, de même que personne d’autre ne peut partager l’expérience qu’on a soi-même, ce qui rend le processus quasiment opposé à la principale méthode de la science expérimentale, qui consiste à concevoir des expériences objectives pouvant être répétées par quiconque, en tout lieu et en tout temps.

Les scientifiques indiquèrent, par ailleurs, que davantage de recherches devraient être menées et que, pour ce faire, il fallait préparer les questions attentivement et travailler avec des chamanes qualifiés dans des conditions bien définies. Tous envisagent de retourner en Amazonie à l’avenir pour continuer de travailler dans cette voie.

Cette expérience préliminaire fut conduite sur une période de deux semaines, après quoi le groupe visita une école pour une éducation bilingue et interculturelle, où de jeunes hommes et femmes  de quatorze sociétés indigènes, dont des Aguaruna, des Shipibo, des Huitoto et des Ashaninca apprennent à transmettre le savoir et la science indigènes, aussi bien dans leur langue maternelle qu’en espagnol. L’école a pour objectif de former des enseignants d’école primaire indigènes. chaque société a élu un ancien “spécialiste indigène” pour travailler à l’école en qualité de dépositaire et enseignant de sa connaissance, de son langage et de ses coutumes.

Les scientifiques eurent l’occasion de rencontrer le directeur de l’école ainsi que les spécialistes indigènes. Leur commentaires concernant leur récente expérience avec un chamane indigène furent positifs. Mais plusieurs spécialistes les mirent en garde au sujet des abus pouvant se produire avec le chamanisme ayahuasca. Ils dirent que des sorciers travaillaient avec l’ayahuasca et envoyaient des fléchettes dans des individus pour leur infliger des maladies. Ils relevèrent aussi que l’ayahuasca est à double fil: “la plante peut te faire voir des choses qui te feront du mal”, dit l’un d’entre eux. Ils soulignèrent que l’utilisation de l’ayahuasca requiert l’accompagnement  d’un ayahuasquero talentueux et bien formé. En bonne santé mental et physique.

Les spécialistes demandèrent aux scientifiques: Quelle est la nature de la science? Où se trouve son centre? L’un des scientifiques répondit que la science était fragmentée en différentes disciplines et qu’elle était pratiquée dans de nombreux pays. Il dit aussi que, de son point de vue, il était important que les jeunes indigènes s’informent au sujet de la science , puisqu’elle constitue, à l’heure actuelle, la forme dominante de savoir au niveau planétaire. En guise de réponse, l’un des spécialistes dit qu’il était d’accord, mais qu’il pensait également que les scientifiques devraient envisager d’envoyer leurs enfants en Amazonie pour apprendre à connaitre le savoir indigène. De cette façon, dit-il, ils bénéficieraient eux aussi d’une éducation complète.

Une fois que tout le monde eut parlé, le directeur Aguaruna de l’école nous remercia de notre visite et dit: “Ici, en Amazonie, notre connaissance a souvent été prise par d’autres, sans que nous n’en retirions aucun bénéfice. Maintenant, nous aussi, nous aimerions pouvoir y trouver quelques avantages.” Il indiqua qu’un accord compensatoire pour le savoir fourni par les indigènes se devait d’être signé avant que toute recherche ne soit poursuivie.

Cette expérience semblait donc indiquer que les scientifiques peuvent apprendre des choses en travaillant avec des chamanes amazoniens indigènes.

Certains observateurs ont suggéré que nous assistons à la fin du chamanisme selon sa définition classique. Mais la rencontre entre chamanes et scientifiques ressemblait plus à un commencement.”

JEREMY NARBY

2000

Nous apprenons des esprits bien plus que des livres ou des hommes et en ce sens l’isolement et la souffrance restent les principaux outils pour l’évolution spirituelle.. Knud Rasmussen cite ici le chamane inuit Igjugârjkuk, qui raconte comment il est devenu chamane; Les paroles d’Igjugârjuk sonnent vrai.

Lorsque vint le temps pour moi de devenir chamane, je choisis de souffrir par les deux choses qui sont, pour nous humains, les plus dangereuses: souffrir de la faim et souffrir du froid. D’abord, je jeûnai cinq jours, après quoi je fus autorisé à boire une gorgée d’eau chaude; les anciens disent que c’est seulement si l’eau est chaude que Pinga et Hila remarquent le novice et lui accordent leur secours. Ensuite, je jeûnai encore quinze jours, après quoi on me donna à nouveau une gorgée d’eau chaude. Après cela, je jeûnai encore dix jours, puis je pus commencer à manger. (…)

Ces jours “À la recherche de la connaissance” sont très fatigants, car il faut marcher sans arrêt, par n’importe quel temps, et ne se reposer que pour de brefs instants. Quand je trouve ce que je cherche, je suis généralement presque à bout de forces, fatigué, pas seulement dans mon corps, mais aussi dans ma tête.

Nous autres chamanes de l’intérieur n’avons pas de langue spéciale pour les esprits. nous croyons que les vrais angatkut n’en ont pas besoin. Pendant mes voyages, j’ai parfois participé à une séance des habitants de l’eau salée, par exemple, chez les gens de la côte de Utkuhigjalik. Ces angatkut ne m’ont jamais paru digne de confiance, car il m’a toujours semblé que ces angatkut de l’eau salée donnaient plus d’importance aux tours qui impressionnent le public, lorsqu’il font des bonds sur le sol et zozotent toutes sortes d’absurdité et de mensonges dans leur sois-disant langue des esprits; tout cela n’était pour moi qu’un simple amusement, quelque chose qui impressionne les ignorants. Un vrai chamane  ne sautille pas sur le sol, il n’éxécute pas des tours, pas plus qu’il n’essaie à l’aide de l’obscurité, en éteignant les lumières, de troubler l’esprit de ses voisins. En ce qui me concerne, je ne pense pas savoir beaucoup de choses, mais je ne crois pas qu’on puisse atteindre la sagesse ou la connaissance des choses cachées de cette manière. La véritable sagesse ne peut être trouvée que loin des gens, dans la profonde solitude. On ne la rencontre pas à travers le jeu, mais seulement dans la souffrance. La solitude et la souffrance ouvrent l’esprit humain. C’est donc là que le chamane doit puiser sa sagesse.

Mais lors de mes visites aux chamanes de l’eau salée (…) je n’ai jamais exprimé ouvertement mon mépris concernant la manière dont ils invoquaient leurs esprits auxiliaires. Un étranger se doit toujours d’être prudent, car – sait-on jamais – ils peuvent, bien évidement, être des expert en magie et, comme nos chamanes, pouvoir tuer par les mots et la pensée.  Ce que je vous dis là, j’ose vous le confier, parce que vous êtes un étranger d’un pays lointain, car jamais je n’en parlerais à mes semblables, excepté ceux à qui je devrais enseigner la manière de devenir chamane. Lorsque j’étais à Utkuhigjalik, les gens de là-bas avaient entendu de la bouche de ma femme que j’étais chamane, c’est pourquoi ils me demandèrent un jour de soigner un malade, un homme qui était si mal en point qu’il ne parvenait plus à avaler de la nourriture. Je convoquai tous les gens du village et leur demandai d’organiser une fête avec des chansons, comme le veut notre coutume, car nous croyons que le mal évite les endroits où les gens sont heureux. lorsque la fête commença, je sortis seul dans la nuit. Ils se moquèrent de moi, parce que je n’allais pas exécuter des tours pour amuser tout le monde. Je restai seul, dans des endroits isolés loin du village, pendant cinq jours, ne cessant de penser à l’homme malade et souhaitant son rétablissement. Il guérit, et, depuis, lors, plus personne dans le village ne se moqua de moi.

Rasmussen note ensuite ce qui suit:

C’est donc ainsi qu’Igjugârjuk parla de lui et de ses pouvoirs particuliers. La manière  générale dont je l’ai dépeint ailleurs traduira clairement, je l’espère, qu’il croyait tout ce qu’il me disait. En fait, il n’avait aucune raison de mentir ou d’exagérer. je ne cherchai jamais à le contredire, même si certaines de ses histoires me semblèrent assez improbables. Par exemple, je n’arrivais pas à comprendre qu’un homme puisse survivre par trente à cinquante degrés sous zéro, assis dans une petite hutte en neige, sans se nourrir, n’absorbant à deux reprises qu’un tout petit peu d’eau tiède pendant tout ce temps. J’avais peur que mes doutes ou mes questions le rendent méfiant. Après tout, ce que je cherchais à connaitre, ici comme ailleurs, c’était les croyances de ses peuples. Et il ne fait pas le moindre doute qu’eux mêmes croyaient que c’était l’art sacré lui même, qui consistait à être capable de percer les énigmes de la vie, qui donnait aux novices et aux praticiens un pouvoir particulier leur permettant de traverser des épreuves auxquelles le commun des mortels n’était pas capables de survivre.

Les idées religieuses des Esquimaux caribous, et tout particulièrement celles des Pâdlermiut, comptent parmi les plus primitives auxquelles j’aie été confronté chez l’ensemble des Esquimaux rencontrés pendant toute la durée de l’expédition. Pinga, la maitresse du gibier, vit quelque part dans les airs ou dans le ciel. Son nom est souvent confondu avec celui de Hila; elle est la gardienne de la vie, des hommes aussi bien que des animaux, mais elle n’offre pas à l’homme des terrains de chasse éternels comme la divinité des habitants de la côte, elle rassemble toute la vie sur la terre elle-même et la rend éternelle uniquement en ce sens que tout ce qui est vivant apparait justement sur la terre.

Lorsqu’un animal ou une personne meurt, l’âme quitte le corps et s’envole vers Pinga, qui ensuite laisse la vie ou l’âme s’élever à nouveau dans un nouvel être, homme ou animal. En règle générale, la peur de la mort n’existe pas et je me souviens qu’Igjugârjuk disait parfois, sur un ton proche de la plaisanterie, que, lorsque son âme irait rejoindre Pinga après sa mort, elle ne serait autorisée à se relever que sous forme d’un petit lemming qui se cache sous la terre.

IGJUGÂRJUK ET KNUD RASMUSSEN (1930)
Source: J. Narby et Fr. Huxley, Chamanes au fil du temps, Albin Michel, 2002

Photo de couverture: Art by Lobsang Melendez Ahuanari

 

Un été, dans un quartier pauvre de Port-au-Prince, je me suis engagée dans une ruelle poussiéreuse bordée de maisons peintes de couleurs vives pour aller rendre visite à la mère d’un ami Haïtien de New York. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé allant de bras en bras, de foyer en foyer, embrassant sur les deux joues les cousins et cousines des différentes branches de la famille de mon ami, épuisée par la chaleur et le battement sonore de la musique compas que déversaient des haut-parleurs extérieurs. À un moment donné, je me suis retrouvée à serrer la main d’un homme qui me souriait de toutes ses dents, des dents extraordinairement petites pour quelqu’un de sa stature. “Si vous êtes vraiment ethnologue, vous devriez aller le voir, c’est un bòkò”, me souffla une bonne âme.

Un bòkò en Haïti, est un spécialiste des questions surnaturelles. Contrairement au houngan ou à la mambo, qui sont au centre d’un réseau communautaire religieux, il agit seul, en franc-tireur. Il a en outre la réputation de “travailler à deux mains”, autrement dit de posséder tout à la fois le pouvoir de guérison et celui de la vengeance. L’anthropologie traditionnelle le qualifierait de sorcier.

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Bòkò Saint-Jean 1968

Le lendemain, je repris le chemin de Monatuf, ce bidonville au centre de Port-au-Prince, et m’employai à chercher sa maison parmi les nombreux cubes en ciment colorés coiffés de tôles ondulées qui se pressaient, accrochés au bord d’un ravin servant à la fois d’égoût et de décharge. Le Bòkò répondant au nom de Saint-Jean m’invita à entrer. Il affichait toujours ce sourire découvrant des dents de bébé jaunies par le tabac et s’exprimait dans un créole haché. La conversation se cantonna à des échanges polis, style “quelle belle journée, quelle jolie maison” tandis qu’il m’offrait des rasades d’alcool de canne, ou kleren, arrosé, à l’en croire, d’un remède anti-poison. Je ne pus m’empêcher d’attacher mon regard à son autel, qui occupait la plus grande partie de la pièce, et en particulier à un objet qui me paraissait aussi étrange que beau: une bouteille enveloppée dans un tissu rouge, blanc et noir, et ceinturée de miroirs brillants comme des phares. Des ciseaux ouverts, accrochés au goulot, formaient deux grands X.  ” Quelle belle bouteille”, commentai-je. “Merci me dit-il. Vous voulez que je vous en fabrique une?”

C’est ainsi que fut commandée la bouteille; je la considérai comme la première pièce de ma collection d’objets d’art. Avais-je tort ou raison? Avant de me la donner, le bòkò la transforma en objet magique, en wanga, au cours d’un rituel dont le sens m’échappa. Je rapportai la bouteille chez moi comme on rapporte une énigme. Comment une personne appartenant à une culture donnée pourrait-elle comprendre un objet ayant sa place dans une autre culture? Je décidai de mener une enquête pour découvrir de quoi retournait justement cet objet, comment fonctionnait un wanga et pourquoi il était aussi interessant d’un point de vue purement visuel. Tandis que je le contemplai, j’eus la bizarre impression qu’à son tour l’objet m’observait. Non seulement me regardait, mais me dévoilait, par des signes imagés, les interrelations entre le secret et le savoir dans les arts magiques haïtiens, la poétique de la volonté et du désir, la réalité de l’esclavage et de la mort. Ensemble, l’objet et moi, nous avons sondé la profondeur des racines centres-africaines des religions d’Haïti et examiné comment se transcrit l’histoire dans un pays où personne ne lit ni n’écrit. Mes entretiens avec la bouteille se mua en une véritable voyage initiatique.

La bouteille qui ne “S’arrêtait jamais”

IMG_2192.jpegLa bouteille est non seulement une création artistique, mais aussi un wanga, ou travay maji (travail magie). Cela dit, comment opère-t-elle dans cette dernière fonction? Les récentes études sur la culture matérielle m’ont ouvert la voie: tout objet manufacturé, même celui dont le sens parait le plus évident, comporte une multitude de strates de signification d’usages, de symboles et de connotations. Et de ce fait, il est souvent susceptible de servir de clé pour comprendre la culture dont il est issu.

Quelle qu’ait été sa signification aux yeux de celui qui l’avait fabriquée, dès lors qu’elle entra en ma possession, la bouteille se mit à fonctionner au sein d’un “système des objets”: une chose achetée et exposée sur ma table basse pour être offerte au regard admiratif de tous. Par la suite, prenant conscience de son importance, je la rangeai hors de vue. Il n’en restait pas moins que s’agissant d’un objet construit, visuellement codé, d’une sophistication esthétique remarquable. Il était bien question d’art. Et pourtant, c’était un fétiche fabriqué par un sorcier, et à titre il tombait dans la catégorie des objets ethnographiques. À moins qu’il ne relevât de ce que James Clifford qualifie “d’opposition institutionnalisée entre art et culture”, une place qui échoit aux objets acquis dans les pays non occidentaux. D’après Clifford, tout objet exotique collectionné se trouve confronté à choisir entre un milieu d’accueil ethnographique ou un milieu esthétique. Aussi, à mesure que je me frottais à cette pièce haïtienne, je me pris à penser que ce qui lui conviendrait le mieux, c’était une exposition dans un espace public, ou ses qualités esthétiques seraient appréciées au même titre que son inscription culturelle.

En attendant, la bouteille, sur ma table basse, suscitait des commentaires de mes amis. “Tu sais, me lança l’un d’eux distraitement au cours de la conversation, cette chose n’arrête jamais.” En effet, elle bougeait, ondoyait à sa manière. Et si l’on partait du principe que tout objet artisanal incarnait les croyances de sa culture auquel il se rattachait, je pouvais commencer mon analyse par une étude sensorielle. L’objet devait livrer de lui-même les données de la recherche et de l’interprétation. De sorte que je me retrouvai, dans mon salon, en train d’inspecter ma bouteille à la recherche d’indices.

“Cette chose n’arrête jamais”. Si c’était une bouteille, c’était une bouteille extraordinaire. Une bouteille de rhum barbancourt (un rhum de fabrication haïtienne), comme on le constatait à la lecture de l’étiquette transparaissant à travers l’étoffe. Elle ne contenait plus de rhum, mais un liquide à l’arôme puissant. Une odeur forte de parfum, oui, ainsi que ses sédiments que l’ont voyait collés au verre du goulot. La présence de liquide rendait l’objet pesant du bas quand je le tenais. Je le décapsulai pour constater que trois épingles traversaient horizontalement l’intérieur du goulot, tenues de l’extérieur par des aimants. Elles ne semblaient être là que pour représenter l’élément métal.

IMG_2193La bouteille était lourde du haut, aussi, à cause des trois aimants qui encerclaient le goulot. Ceux-ci étaient de fabrication industrielle, des pastilles de deux centimètres d’épaisseur, couleur d’acier inoxydable. Ils dépassaient du mince goulot à la façon d’un col, ou d’un collier. Une boucle d’oreille féminine était fixée à l’un des aimants, ce qui donnait à l’ensemble un air guilleret. Les aimants sont des forces élémentaires, la terre étant entourée d’un champ magnétique qui, par l’intermédiaire de la boussole, permet aux voyageurs de s’orienter: l’aiguille indique toujours le nord. On plongeait là au coeur des forces les plus primitives. dans cette bouteille, les aimants créaient une dynamique telle que les épingles à l’intérieur collaient à la paroi de verre. Ils formaient une polarité en vase clos, un discret écosystème.

À l’exception de la capsule Barbancourt, la bouteille était tout entière couverte d’une étoffe noire, blanche et rouge réparties en trois bandes verticales. Ces couleurs, dans toutes les cultures, ont de puissants symbolismes. À l’exception des aimants, l’ensemble se conjuguait sur le thème de l’emballage. On enveloppait et pour mieux cacher un secret. Ici, ce qui était à l’intérieur de la bouteille était en effet dissimulé.

Deux paires de ciseaux ouverts étaient ficelés de part et d’autre du goulot avec du fil rouge. outil basique dans de nombreuses cultures, le ciseau coupe aussi bien le papier que le tissu, le carton et la ficelle. Au même titre que les épingles, ils peuvent se révéler dangereux. Par ailleurs, le ciseau est anthropomorphe: il a quatre “membres.” Attachés en position ouverte, en vis-à-vis de part et d’autre de la bouteille, ils introduisaient une illusion de symétrie. Impression contredite par la présence de trois plutôt que quatre bandes d’étoffe colorée, ainsi que par la disposition des quatre miroirs attachés à la bouteille juste sous les ciseaux mais légèrement décalés. C’est cette concomitance entre asymétrie ternaire et symétrie binaire qui obligeait l’oeil du spectateur à tourner autour de l’axe de l’objet et lui faisait dire qu’il ne “s’arrêtait jamais”.

Les quatre miroirs, de forme ronde, avaient à peine quatre centimètres de diamètre. Cerclés de plastique vert, ils avaient été ficelés à la bouteille avec du fil rouge, de sorte qua chaque miroir était traversé en son centre par une série de traits verticaux et horizontaux. La surface polie était poussiéreuse. Entre les fils et la poussière on ne distinguait qu’un vague reflet. Les miroirs semblaient plutôt réfracter que réfléchir. Brillants capteurs de jour, ils attiraient l’oeil et reflétaient la lumière.

Parfum, épingles, aimants, ciseaux, miroirs: voilà des composantes simples, élémentaires. Et chacune possédait des caractéristiques opposées qui menaient à une impasse pratique: l’eau parfumée contenait des impuretés, les gros aimants attiraient de minuscules épingles, les ciseaux aiguisés étaient rendus inutilisables parce que liés en position ouverte, les miroirs, barrés de liens en croix ne reflétaient pas votre image. Que signifiait le parfum, l’épingle, l’aimant, les ciseaux et le miroir dans le code symbolique haïtien? Que signifiaient-ils dans leurs rapports entre eux?

Au-dessous des miroirs, rien ne dépassait plus de la forme, laquelle, dans sa jupe d’étoffe, se prolongeait, fluide, jusqu’en bas. La moitié de la bouteille semblait correspondre à la ligne horizontale des liens qui fixaient les miroirs. Cette ligne coupait l’objet en deux à l’horizontale tandis que les ciseaux, qui étaient symétriquement opposés, la coupaient à la verticale. Cela dit, cette symétrie binaire se heurtait à l’asymétrie en différents points du fourreau coloré, si bien que l’oeil du spectateur, happé par le déséquilibre, était pris de vertige. Les lignes des ciseaux et des miroirs le faisait tourner autour de la bouteille dans une spirale sans fin, rouge, blanche et noire…. couleurs du Rite Petwo

… / …

En fin de compte ma bouteille vaudoue allait beaucoup plus loin que je ne me l’était figuré au départ. Habitée par un esprit qui lui était attaché , elle était chargée d’une mission et elle affirmait sa personnalité, se présentant dans un habit imaginé codé et drapé de rutilance artistique. Dès lors que vous étiez capable de déchiffrer son message, elle se révélait porteuse d’un condensé matériel historique et d’un système cosmologique miniature. Cela dit, elle n’était pas faite pour être contemplée comme un objet d’art. Elle semblait animée d’une vie propre, se parler à elle-même, à l’esprit qui se trouvait enfermé à l’intérieur. Vivante donc, elle tournait sur elle-même, colorée, provocante, métaphore complexe de ce que le wanga était censé accomplir et non pas de ce qu’il était.

Mais si cette bouteille est bien un écosystème habité par un esprit, comment peut-on l’exposer dans la vitrine d’un musée? me demandai-je. James Clifford suggère que “nous pouvons leur rendre leur statut perdu de fétiches, en faire non pas une production perverse ou exotique, mais nos fétiches propres. Grâce à cette stratégie, forcément personnelle, on accorderait aux choses exposées le pouvoir de fixer plutôt que la seule faculté d’édifier ou d’informer. Les artefacts africains et océaniens pourraient redevenir des objets sauvages, sources de fascination et dorés du pouvoir de déconcerter.

Le wanga en question m’avait en effet “fixée” pendant des années, et édifiée, et informée. La bouteille ait tout à la fois été un objet d’art, un souci et un objet d’étude. Les zombi, s’ils sont encore là, se sont tenus tranquilles dans leur bouteille qui porte toujours sa coquette boucle d’oreille sur le côté. Peut-être sont-ils déjà mort ” par la main de Dieu”. Il est possible q’ils soient encore enfermés dans la bouteille, veillant avec leurs grands yeux miroirs sur mon bonheur.

Je ne crois pas me tromper en affirmant que le wanga a une personnalité. Mac Gaffey a comparé le nkisi à “un ancêtre dans sa tombe” et lui concède une sorte de caractère. À voir un nkisi, écrit-il, “on identifie une personnalité autonome qui semble latente à l’objet et s’éveille grâce  à la relation sans être pour autant limitée par elle.

Désormais je traite ma bouteille comme une chose vivante, détentrice d’une identité, une chose qui respire. Non seulement elle est susceptible de dévoiler des connaissances vieilles de plusieurs siècle sur l’existence de tout un peuple, mais elle porte aussi en elle un eu de la vie des deux âmes qui ont passé un peu de temps sur terre à un jet de pierre du cimetière de Port-au-Prince.

où ma bouteille doit-elle vivre? Elle a passé cinq ans dans mon bureau, à me regarder travailler à ma table. L’exposition Sacred Art of Vaudou lui a permis de trouver une autre place, une place qui privilégie simultanément l’approche esthétique et l’insistance sur le contexte et l’histoire, une place où elle peut être considérée à la fois comme un art et un artefact, comme un fétiche et comme le support d’une histoire culturelle.

“Mes zombis vont enfin prendre le chemin du musée, lançai-je en plaisantant à mes amis. Ils vont pouvoir travailler; nouer de nouvelles connaissances, rencontrer des gens passionnants.” En fait, je me dis que cette exposition va peut-être décupler leur puissance: plus il y a de monde pour les regarder, plus les esprits ont peut-être l’occasion d’être activés. Je vais leur faire de la cuisine sans sel avant leur départ. Ces zombis sont sans doute à ranger dans la catégorie des zombis travailleurs. je souhaite que chaque personne qui rendra visite à la bouteille vaudoue reçoive une part de la chance qui m’a été échue.

Elizabeth McAlister

Traduit de l’américain par Isabelle Chapman

Afin de rendre Honneur & respect à notre amie, soeur, mentor Rachel Beauvoir Dominique, partit pour l’orient éternel dans la nuit du 04 au 05 Janvier de cette année, je vous offre en partage la suite et fin de ce fabuleux texte.41168_1610681427396_595455_n

Bonne lecture.

L’IMAGERIE VAUDOUN: HAUTE ET BASSE MAGIE

Si l’art de la magie vaudoun repose sur l’esthétique du signe et symbole, producteur d’un sens qui parle au for intérieur de chacun, il n’est activé que par l’existence d’interactions au niveau de l’inconscient collectif. Dans la vie quotidienne, la présence de calebasses d’offrandes que l’on place aux carrefours frappe la corde sensible de passants, tout comme le tambours, la nuit, font vivre des scènes précises. Le proverbe Haïtien kreyol palé, kreyol konprann (créole parlé, créole compris) ne fait pas référence à la langue elle-même, mais plutôt à la qualité de son expression qui a pour fonction d’évoquer et non de décrire.

Dans le domaine magico-religieux, le domaine symbolique est de plus en plus réglementé: le tracé de vèvè, le langaj (éléments linguistiques africains associés au langage corporel), le déroulement des cérémonies, la chorégraphie des danses, la musique, les vêtements, les gestes… L’ensemble se rattache à un système complexe et signifiants. Les pratiques relevant de la trilogie Kalfou / Gran Bwa / Simityè stimulent les facultés symboliques dans le graphisme et favorisent la révélation des correspondances cachées. Ces éléments doivent être extraits d’un passé plus lointain que le passé immédiat de la société Haïtienne. Ils s’adressent à l’humanité dans son essence, ils communiquent avec les racines universelles du mysticisme ésotérique. La franc maçonnerie, la rose croix, la kabbale… Toutes traditions qui trouvent d’ardents adeptes en Haïti, aujourd’hui comme hier. Voilà pourquoi il est important de comprendre pour qu’elle raison elles jouissent d’une telle popularité auprès de la population Haïtienne.

La réalité du syncrétisme vaudoun se traduit dans la forme d’un récipient en bois oblong, réceptacle des feuilles frottées au cours de la cérémonie du rite petwo, récipient qui symbolise le bateau mystique, son axe vertical représentant une hampe de drapeau. Il recueille en même temps des traditions pré-et para-chrétiennes classées comme hérétiques depuis toujours. Ranmasé, nous pral ranmasé zafè sa ki sot ki pa ranmase pa yo. (Ramasser, nous allons ramasser les affaires, dommage pour les sots qui n’ont pas ramassé les leurs.)

Les feuilles que l’ont amoncelle dans le réceptacle représentent un amalgame de plusieurs choc de civilisations. On y trouve les religions révélées, le christianisme comme l’islam, l’un et l’autre produits et producteurs de différenciation. Dans un mouvement à la fois de rapprochement et d’éloignement, tout finis par se confondre à la fin dans le rituel des feuilles. Mapou tombe kabrit manje fey Dan Petwo. (le baobab tombe, les biques mangent les feuilles, à petwo.)

Les représentants vaudoun stimulent des régions cachées du cerveau. Comme dans un film surréaliste, des images d’un temps passé très lointain et pour tout étrangement familier passent devant nos yeux , de manière désordonnée, éveillant des odeurs et des sensations tactiles, flirtant avec la conscience avec une cohérence qui  demeure encore voilée.

Le bois, la pierre: la planète terre. L’univers, le cosmos. La matière, la masse originelle, reconnue, palpée, tenue à la lumière. Dotée d’une forme. De très longues sculptures… des séries d’êtres munis de racines. Simbi peigne ses longs cheveux. La vieille barbe de Loko fait jaillir le tourbillon du temps et les langues de feu de djab (diable) pénètrent la terre.

L’homme africain dans son environnement premier. Homo Erectus. L’art paléolithique de Tassili, la magie des cavernes ressurgie du plus profond des âges. Force du point, précission de la ligne, une ligne continue puis brisée. On pense à l’art vaudoun d’Hectr Hyppolite, dans le tracé de vèvè comme sur toile: la légèreté et la masse de cette énergie canalisée. Un énergie jaillie du berceau de l’humanité, le cri de la vie.

Cercle, carré, alphabet et chiffre, éléments de classification…., l’écrire en soi plus signifiant que ce qui est écrit. E.T.C.**.I.BA.L.F.S.NJ. EZ. N’importe quoi, automatisme, à déchiffrer, l’alphabet de Napata et Méroé, les capitales successives de l’antique royauté koushite, dans ce qui est à l’heure actuelle le Soudan. Code hermétiques qui restent à déchiffrer, rupture ésotérique des processus de pensées. Délire du scribe et magie du nombre enrobés d’un vernis de signifiant. Baka – génies malfaisants, terrifiantes figures de l’inversion, évocations spéctrales et anthropomorphiques du malheur.

Crachats, serpents lovés, dragons majestueux. Femmes à la poitrine fièrement bombée et aux solides jambes de bovin. Le culte voluptueux de Mithra, la déesse égorgeant un taureau dont les pattes émergent de sous les drapés de sa robe tandis que ses bras de femme enlacent le cou de l’animal en une étreinte teintée d’érotisme…

Bosou Twa Kon Kandonble, le djab taureau tricorne qui forme une trinité avec Bosou Marasa, les jumeaux divins. On retrouve des représentations originaires de Sumer et d’ancienne Egypte, de la Rome Antique aussi, ainsi que de Grèce, de l’Europe médiévale, d’Afrique à travers les âges. Ces figures mythologiques ayant surgi dans des civilisations très anciennes, et dont se servent les initiés des cultes mystiques, constituent les principaux adversaires du pouvoir naissant de l’Église.

Le phœnix des cathédrales nubiennes du XVIIe siècle, au confluent de l’Egypte pharaonique, de l’Egypte copte du Soudan.

La culture de la création mystique. Des rangées successives de statues bizangos, droites comme des soldats, noires et rouges, évocatrices par leur puissance des colonnes de Louxir. Effets d’orientation / désorientation, symbole du dilemme identité/ collectivité. Le bizango se dépêchant d’aller s’habiller pour le rite magique après l’introduction rituelle rata, empilant les adeptes dans la minuscule salle de préparation… Sensualité de la chair, de la chair se fondant dans la chair comme l’être se fond dans l’être.

La baguette mystique, emblème du pouvoir pharaonique, qui a continué à occuper dans la tradition judéo-chretienne (Moïse) aussi bien que dans les ordres médiévaux comme les Templiers, une place centrale qu’il retrouve dans le vaudoun. Dans la cérémonie rituelle, les femmes se connectent avec la société matrilinéaire de l’ancienne Egypte, de Méroé et de l’ensemble du continent africain.

Défilé fantastique: Belzébuth, divinité cananéenne devenue via le catholicisme le prince des démons, entièrement équipé au combat avec ailes dorsales, main dans la main avec Adonaï Astaroth, Lucifer, et une bonne escorte de “diaboliques” Sarazen (Sarrasins) à la barbe espagnole… Un légion des ténèbres aux tenues martiales surgies du Moyen Âge, épée au poing, saint Jacques à la conquête de ces mêmes Arabes, couvert de pentacles et d’osselets.

On trouve dans les grimoires aussi bien que dans la chromolithographie de quoi alimenter cette extraordinaire magie néo-pythagoricienne. L légende d’Hermès Trismégiste et la tradition ésotérique arabe mélangée à l’iconographie catholique. Les ennemis de toujours s’unissent pour ne former qu’un.

Sisya, victime de cette coalition contre nature: une figure d’une mélancolie poignante, tragique. Des yeux noirs dénués d’expression, un fichu noir sur la tête, elle repousse avec un calme glaçant un crâne posé sur un plateau. Le crâne est plein d’humanité privée de vie – la tragédie des pouvoirs détournés. Ainsi se déploient les visions magiques du vaudoun. La population dans sa très grande majorité ne recueille que des miettes de cet ensemble de connaissances. Isolées de leur contexte, les bribes dégénèrent en superstitions, en code cryptiques et étranges; Ce qui reste de la sagesse ancienne, désormais élitiste, est conservée dans les grimoires. Ces derniers, au départ recueil de préceptes à l’avant-garde du progrès, deviennent peu à peu des livres bourrés de vulgaires formules, de recettes simplistes depuis longtemps surannées. Privée du soutien de la machine à penser, la haute magie se dégrade pour ne plus être qu’une basse magie ne reculant pas devant la mystification avec l’usage de futiles pratiques de sorcellerie. Ceux qui contrôlent le pays sont heureux de diffuser ces reliques – surtout si elles donnent lieu à une opération marchande – de façon à canaliser la volonté de transformation naïves  du peuple dans des activités stériles. On fait prendre à la nouvelle population vaudoun des objets sans significations pour l’acte de représentation lui même, la force de désignation de l’objet, la capture du double grâce à sa matérialisation. Verbe, nommo. De sorte que de nos jours nous nous trouvons très souvent confrontés à l’amalgame entre signe éclectique et signe creux ou vide.

La puissance de la haute magie vaudoun repose sur une toute autre base. Visant au coeur de l’expérience humaine, elle a tissé un fondement qui se traduit par un système de perception et de pratiques d’une grande rigueur. Cette évolution exige une liberté d’expression exceptionnelle, que l’on peut qualifier d’artistique, tout en précisant que cette expression est anti-individualiste, soumise à la volonté de changement collective. Dans la danse comme dans les autres domaines, le vaudoun lie le corps à la psyché afin d’atteindre une expérience bouleversante et transformatrice. Ceci est possible grâce au regroupement d’effets à la fois universels et singuliers. D’où l’importance capitale de l’imagerie active, du symbole de projection et du rituel cérémoniel. mais n’accèdent à ce domaine que ceux-là qui sont passés maitres de l’art de provoquer et de signifier une réaction.

L’inspiration poétique soumise aux forces de la lutte violente, tel est le thème de cet art magique. Le calme absolu de la haine à son plus haut degré. L’art de dessiner des êtres multiples. La nature, l’artiste et le public, le collectif et/ou l’individuel. La rencontre de la dissonance, comme dans la musique de Thelonious Monk ou l peinture de Jean-Michel Basquiat. Le chaos, originel et social, se trouve alors contenu, ordonné, discipliné, grâce à la constante reproduction de ses effets déstabilisateurs.

La symétrie joue parfois avec l’équilibre d’ensemble: en dessinant l’être, un être  seul et néanmoins collectif se mouvant doucement dans la douceur de la nuit , avec des étoiles qui fondent, une lune qui fait pleuvoir des émotions. Harmonies singulières de formes dérangeantes à souhait. Et cette tranquillité enveloppante qui guide le “nouveau né” vers les mystères d’un univers commun à tous…

Mais, à d’autres moments, le déséquilibre se trouve provoqué de manière délibérée et uniformément. L’art de la magie vaudoun se donne pour tâche de vous déstabiliser, au moyen de techniques spécifiques de torsions et distorsions, atteignant, à son sommet, la pureté du mutant. Nous décrirons ici deux moyens de parvenir à ce résultat. Une superposition discontinue est établie à partir d’un viol de la logique du discours, ou d’une brusque substitution de grille de lecture. On peut, d’une part, aligner des termes numériques, et faire apparaitre des lettres ça et là en produisant un effet de surprise, puis glisser des images d’animaux. D’autre part, l’unité de forme donnée par celle du fauteuil rituel se trouve brutalement déchirée par l’asymétrie de son dossier, lui même perturbé par une nouvelle charte de couleurs. Chaque séquence de changement produit une rupture dans la lecture: le témoin est désarçonné.

Peu à peu, les perturbations dans les séquences s’accélèrent, les séquences raccourcissent. Les grilles se superposent aux grilles… La diversité des déséquilibres est infinie. On en a un exemple dans les sculptures du djab. Ce dernier est représenté avec un regard d’aliéné cherchant désespérément la terre ferme. En outre, sa posture semble indiquer qu’il est sur le point de trébucher et de tomber. Ces représentations son censées renforcer ou refléter l’état personnel de déséquilibre / équilibre du spectateur.

Le magicien-artiste, figure centralisatrice, qui concentre en lui la violence latente de la communauté, diffuse des signaux de dérèglement amplifiés par la centralisation dont ils font l’objet. D’où le danger associé à cette opération et l’importance primordiale de l’artiste-magicien. En qualité de médium, il/elle reflète la société: le geste magique est engendré par l’immersion dans une expérience sociale. Mais le magicien acquiert aussi des facultés spéciales lui permettant de canaliser et de concentrer la force dans le but de la projeter.

Le contenu de l’objet obtenu, qu’il soit représenté dans l’espace (sculpture) ou bidimensionnel ou encore multidimensionnel et collectif (iconographie cérémonielle), joue sur les significations sociales. En premier lieu, d’un point de vue littéral, des signifiants tels que machettes, cercueils, pierres tombales, feuilles, serpents, foudre, cornes de bélier ou de taureau, sont en soi évocateurs d’images porteuses de perspectives, de menaces, d’oppositions. Deuxièmement, les lignes de l’ensemble forment une œuvre distincte qui suggère l’existence préalable de certains états. Étant donné son évolution, sa fonction et son modus opérandi, le corpus de l’art magique vaudoun insiste, au moyen d’un subtil équilibre, sur les compositions mettant en valeur la tension et la rapidité, la centralisation et la concentration, la douleur et la violence.

La corrélation entre la figuration symbolique directe et l’intention connotative d’ensemble indique le niveau d'”occulte” inhérent à la pièce. L’œuvre plasticienne vaudoun, en particulier la sculpture, atteint sa force grâce à l’équilibre de ces deux facteurs. Elle concentre la complexité des énergies accumulées, la lutte interne d’une unité contradictoire. Cet art, comme la magie dont il est dérivé, se spécialise dans la confrontation, l’interaction et la sublimation de la contradiction.. Pour réconcilier les contraires, il commence par présenter l’impossibilité de leur résolution et ainsi dénonce le scandale et la cruauté d’une compréhension partielle. À d’autres moments, toutefois, il rend hommage à la connaissance, même fragmentaire, ou exalte des facultés précises.

L’expérience cérémonielle incarne à elle seule la maji vaudoun, les facultés de transformation de l’esprit en tant que matière. Les mécanismes du rituel agencés suivant la progression de la modalité associative, culminent dans la transe – un état combinant un libre flot d’émotions chargées d’énergie avec des codes de conduite déterminés et considérés comme sacrés. Dans le rituel, la projection de l’image est multidimensionnelle et multirelationnelle, globalisante: la forme et la couleur de l’hounfor, la décoration, la congrégation, l’odeur de feu, du rhum blanc, de la sueur, le contact de la terre sous la plante des pieds nus, le son obsédant des tambours battants sans fin. Le cosmos, uni, se “brise'” sans raison… et le corps suit, bascule, tête la première, dans l’univers global de l’occulte.

DISPARAITRE POUR DURER

Dans cet art savant de la médiation, les symboles, aujourd’hui, deviennent de plus en plus étrangers. La terre, l’eau, les feuilles, la forêt, les animaux de toutes sortes semblent se rétrécir, se retirer. La terre absorbe les réserves d’eau et n’a pas grand chose à offrir aux nouvelles générations. Les feuilles magiques du vaudoun se font rares, et les forêts d’autant plus mystiques qu’elles reculent. Les quelques serpents, oiseaux, bétail, pas encore en voie d’extinction font trembler une population qui redoute leur pouvoir vénéneux dans son inconscient collectif. En réalité, ils sont aussi peu nombreux que chétif. Au bout du compte, les seigneurs de la mythologie vaudoun, ainsi que leurs alliés d’outre-mer, sont tenus pour responsables du désastre: les divinités paternelles et les “maitres” qui ont le malheur de trop ressembler aux grandons de sinistre mémoire, ces seigneurs demi féodaux qui jouèrent le rôle de relais de transmission de la répression duvaliériste. La fin de leur règne évoqua dangereusement dans l’opinion populaire la fin du domaine magico-religieux

Par ailleurs, les modes d’expression collective d’ordre magico-religieux qui tournent autour de la figure centrale de magicien-artiste ne correspondent plus à la réalité sociale de la migration et des bidonvilles. En d’autres termes, le démantèlement du Lakou (les grandes habitations rurales) a provoqué une confrontation entre un art avant tout féodal et un système social en pleine mutation. Ce dernier souffrant d’une pénétration progressive de nouvelles relations économiques au sein d’une organisation sociopolitique qui se révèle, malgré tout, d’une stabilité surprenante.

Que peut-on dire de la survie des formes magico-religieuses vaudoun et de leur validité dans un contexte aussi changeant? Dans le cas de la diaspora haïtienne qui continue à pratiquer ce culte, la question se pose de façon encore plus aiguë. Quelles sont les limites du symbolisme compte tenu du détachement croissant de son imagerie de la réalité de tous les jours? Où faut-il chercher ses capacités d’adaptation? les richesses accumulées en des temps d’une dureté inimaginable semblent animées d’une force propre, qui, de ce point de vue, n’est égalée que par l’obstination du système social en décomposition.

Poser la question de la transformation revient à aborder celle des objectifs dans une société renouvelée. Depuis ses origines, cet art de stimuler l’imagination n’a rien de neutre, ce qui nous ramène au problème de sa finalité. Dans quelle mesure le Haïti de demain, celui de ceux qui en cultivent le sol, pourra-t-il récupérer ces techniques séculaires sinon millénaires que se sont appropriés les classes exploitantes? Jusqu’à quel point peuvent-ils les détourner à leur profit des objectifs de domination de ces classes? Comment peuvent-ils canaliser leurs capacités dans une perspective radicalement différente?

Il y a danger inhérent à la confusion de la forme et du contenu, un risque de restaurer à travers la forme un contenu qui a été rejeté avec violence. C’est le risque de régression. Avancer est le seul moyen de se soustraire à l’influence contradictoire du djab: avancer dans le temps, l’espace, le rythme, la pensée, les relations sociales. L’art magique vaudoun repose sur la force du renouveau qui jaillit de ces moments d’antinomie, ces temps productifs de l’histoire des hommes.

 IL est toujours intéressant d’aller à la rencontre des autres spiritualités pour ce rendre compte de l’universalité des pratiques… La britannique Carmen Blacker, assistante au département de langue japonaise de l’université de Cambridge, a mené une recherche approfondie sur les pratiques chamaniques au Japon. Elle démontre que ces dernières ont différentes origines, notamment la Sibérie et la Polynésie, et qu’il existe deux sortes de Chamanes au Japon.

 

Aujourd’hui encore, bien qu’un laïcisme intransigeant tende à s’imposer dans les cercles d’intellectuels japonais, la croyance qui veut que les causes de toutes les calamités affligeant l’existence des homes trouvent leur origine dans le royaume des esprits demeure bien ancrée au sein de certains groupes de la communauté:  maladies, accidents, sécheresse, incendies sont, à leurs yeux, l’oeuvre de fantômes en colère ou d’entités numineuses offensées. Pour découvrir les causes de ces malheurs, il est donc nécessaire de pénétrer l’autre dimension, où vivent ces êtres, et se demander quel esprit en est responsable et la raison de sa colère. (…)

Bien que les hommes et les femmes ordinaires soient incapables d’en découdre avec ces forces périlleuses et ambivalentes, certains humains peuvent acquérir un pouvoir qui leur permet de transcender la barrière  séparant les deux mondes. Ce pouvoir n’a rien en commun avec la force physique ou l’agilité mentale dont nous jouissons habituellement. Relevant d’un tout autre ordre, il est acquis par des moyens qui affaiblissent souvent la santé et la vigueur de l’individu, apparaissant parfois chez des garçon quasi idiots. Ce pouvoir spécial permet d’effectuer une rupture de niveau, de façon à atteindre un pont pour rejoindre l’autre rive et, ainsi, d’influencer les êtres qui y demeurent.

J’ai utilisé le terme “chamane” (…) pour désigner les personnes qui ont acquis ce pouvoir; des personnes qui, dans un état de transe dissociative, sont capables de communiquer directement avec ces êtres spirituels. Au Japon, ces individus apparaissent sous deux formes complémentaires: La première que, je qualifierai de médium ou miko, est personnifiée par Teruhi la sibylle (un personnage d’une pièce de théâtre japonaise), qui  la capacité d’enter en transe, à l’occasion de quoi l’esprit qui se manifeste pourra prendre possession d’elle en pénétrant dans son corps et en se servant de sa voix, pour se présenter et rendre son oracle. Cette dernière fait ainsi essentiellement office de transmetteur, de vaisseau par lequel les entités surnaturelle, ayant quitté leur monde pour entrer dans le notre, peuvent communiquer avec nous de manière intelligible.

La seconde source de pouvoir, qui est complémentaire, et que je qualifie d'”ascétique”, est personnifiée par le saint de Yokawa (un autre personnage de la même pièce). Il est avant tout un guérisseur, capable de bannir les esprits malveillants responsables de la maladie et de la folie pour les transformer en des entités bénéfiques. Afin d’acquérir les pouvoirs nécessaires à cet effet, il doit se soumettre à un régime sévère de pratiques ascétiques, qui , pour être effectives, doivent comprendre, outre le jeûne, la récitation de textes sacrés et le fait de rester immobile sous une cascade, un voyage vers l’autre monde. Ainsi, tandis que, dans le cas du médium, ce sont les esprits qui quittent leur monde pour pénétrer dans le notre, pour l’ascète, le passage se fait en sens inverse. C’est à lui qu’il incombe de quitter notre monde et de se frayer un passage à travers l’écran invisible pour visiter le monde des esprits. Ce voyage peut être accompli sous forme de visions extatiques: son âme, alors, voyage seule, tandis que son corps repose, ayant suspendu toute activité. IL peut également effectuer le voyage en s’appuyant sur des pratiques mimétiques symboliques; projetant l’autre monde par le biais de symboles puissants sur la géographie du nôtre, il peut alors accomplir le voyage à travers la barrière, aussi bien que dans son corps que dans son âme.

Un type de transe caractéristique correspond également à chacune de deux figures. Dans le cas du médium imprégné ou possédé par l’entité spirituelle, il est commun de rencontrer un certain nombre de symptômes physiques, dont un tremblement violent des mains jointes, une respiration ronfleuse ou des grognements, ainsi qu’une lévitation particulière du corps, dans une position assise, jambes croisées. J’ai vu aussi bien des femmes que des hommes se propulser à quelque quinze centimètres du sol dans cette position, de façon réitérée, pendant plusieurs minutes d’affilée. Un médium violent est toujours considéré plus convaincant qu’un médium docile, le caractère non humain de la voix et du comportement prouvant de façon plus patente le déplacement de la personnalité du médium sous l’effet de la manifestation divine. Comme nous allons le voir, ce type de transe peut être provoqué par le médium lui-même ou stimulé par une autre personne, c’est-à-dire, la plus part du temps, l’ascète.

Le second type de transe est tout à fait différent. Il s’agit d’un état comateux profond, où toute activité physique est suspendue. C’est l’état que doit atteindre le corps de l’ascète pour pouvoir visiter d’autre royaumes du cosmos. Dans ce voyage, son corps reste sur place, telle une coquille vide, tandis que l’âme traverse des barrières qu’il ne peut franchir. Il apparait qu’à l’heure actuelle ce type de transe ne se produit que rarement. La capacité à atteindre un tel état de dissociation et le voyage visionnaire qui en résulte semblent avoir reculé au cours des siècles derniers, raison pour laquelle ce périple magique est aujourd’hui essentiellement accompli par des actes symboliques en état de pleine conscience.

J’ai dit plus haut que le médium tout autant que l’ascètes sont des chamanes, car chacun d’eux, par la transe particulière qui le caractérise, est capable de franchir le pont qui sépare les deux monde. (…)

(Le chamane est) une personne dotée d’un don particulier, étant tout à la fois voyageur cosmique, guérisseur, maitre des esprits, psychopompe et oracle. Ces différents pouvoirs, néanmoins, s’articulent autour d’une faculté principale: la transe.

C’est en altérant sa conscience à volonté qu’il est capable de communiquer directement avec les habitants du monde surnaturel.

Nous fondant sur cette définition, nous allons voir qu’au Japon tans le médium que l’ascète sont justement habilités à être qualifiés de chamanes. Nous trouverons des exemples de maladies initiatique, d’appel surnaturel, de voyage “hors du corps”, pendant lequel l’âme se rend au paradis et en enfer. Nous trouverons aussi des esprits auxiliaires, des vêtements et des instruments  magiques et de nombreuses preuves de la chaleur intérieure que provoque la maitrise du feu. Il est vrai qu’au Japon le cosmos est doté d’une configuration différente, et qu’il n’y a pas trace d’existence de l’arbre géant merveilleux réputé se trouver au centre du monde. Il est également vrai que, des visions du médium et de l’ascète, peu se sont référées jusqu’ici aux thèmes du démembrement du corps, du retour à l’état de squelette et à la résurrection des os revêtus d’une nouvelle chair. A la place de cet arbre, nous trouverons toutefois une montagne d’une splendeur presque égale, et, au lieu du démembrement et de la recomposition du corps, prend forme un autre symbolisme, qui, de manière tout aussi claire, se réfère au modèle initiatique de la mort et de la renaissance.

(…) Il n’est donc pas fondé de traiter l’une ou l’autre des figures de manière isolée. Bien qu’ils semblent complémentaires à première vue, le médium et l’ascète sont étroitement liés: tous deux doivent s’astreindre à la même ascèse avant de pouvoir acquérir leur pouvoir particulier. Tous deux doivent aussi pratiquer certains rituels pour pouvoir entrer en contact avec les esprits. Il arrive également que ces deux sortes de pouvoirs soient concomitants ou, du moins, se relaient chez la même personne. A l’époque féodale, il était commun que les deux types d’individus se marient, un ascète épousant une femme médium. Nous avons donc clairement deux fonctions codépendantes, qu’il est fondé de classer dans la même catégorie.

Les phénomènes chamaniques au Japon sont rendus encore plus complexe par le fait qu’ils ne dérivent pas d’une source homogène: comme la race, la langue et la mythologie japonaises, en effet, le chamanisme a des origines mixtes. Les ethnologues japonais ont coutume de rattacher les exemples de chamanisme dans leur pays à deux courants culturels majeurs, qui se sont mélangés au cours des temps préhistoriques. L’ascendance nordique, qui dérive de pratiques altaïques ou toungouses du continent asiatique, se diffusant par la Corée puis les îles d’Hokkaido et Ryukyu, s’est trouvée mêlée à une autre ascendance, prenant sa source au sud, en Polynésie ou en Mélanésie. (…)

Des médiums et des ascètes peuvent encore être rencontrés à l”heure actuelle. La figure du médium, toutefois, ne se trouve plus que rarement et sous une forme quelque peu altérée dans certains districts du Nord-Est, ainsi que dans des îles au large de la péninsule d’Izu ou au cours de certains rituels villageois, où se type de talent se combine avec ceux de l’ascète. La figure de l’ascète, en revanche se rencontre encore dans de nombreux districts du japon. Vivant seuls ou dans certaines enclaves, ces hommes et femmes peuvent être vus dans le district de Nara, aux environs de Kyoto, à Shikoku et Kyushu, le long de la côte de la mer du Japon, au Nord-Est et parfois même à Tokyo. Ces personnes continuent d’employer des techniques de transe et d’exorcisme, qui portent encore le sceau authentique de l’ancienneté  de leur origine.

 

Dans le nuit du 04 au 05 Janvier 2018 nous avons perdu, une Manbo, un anthropologue de renom, une Soeur mais également une Amie.

Rachel Beauvoir-Dominique fût de tout les combats pour défendre la culture, le patrimoine et les valeurs d’Haïti. Une personne inspirée et inspirante qui fût également me concernant une sage conseillère, une confidente… Je ne pouvais passer outre un modeste hommage et quoi de mieux que de vous partager, en ce matin ou le chagrin se mêle à l’espoir de voir l’énergie qui l’habitait aller dans l’eau pour rejoindre les ancêtres bienveillants, la première partie d’un article écrit de sa main pour l’abbaye doualas.

Bonne lecture les Ami(e)s.

Dans la vallée de Marbial, non loin de la ville de Jacmel, dans le sud -est des Caraïbes, un vieil Houngan du nom de Charbonnière, renommée pour sa grande sagesse, vécut les derniers mois de sa vie durant le Déchoukaj (déracinement). Voyant arriver la mort et le moment de son départ pour Ginen (La terre des ancêtres et l’ultime destination), il prononça de nombreuses paroles, dont la suivante: “le Ginen est un vent. Qu’ils brûlent les tambours, qu’ils détruisent les temples: les arbres restent debout, le ciment demeure abondant. Tout peut être remplacé. C’est comme le vent: Il va et il vient, jamais le même.”

Le vénérable étirait ensuite le son “vaudoun” pour lui prêter à la fois plus de légèreté et plus de profondeur. Le mot dans sa bouche se transformait en vent. Le mot dans sa bouche se transformait en vent. Vaudoun: un vent qui ne peut être déraciné. De nos jours, il est d’usage d’orthographier “vaudou” le terme qualifiant la religion traditionnelle du peuple haïtien. Ce qui ne résout pas la transcription de phonèmes relevant, jusqu’à il y a peu, d’une langue exclusivement orale. Écrire “Vaudoun” plutôt que “vaudou” permet en fait d’élargir le concept et, comme charbonnière, de ne pas se contenter d’invoquer un système religieux mais aussi l’expérience même du vaudoun, sa présence au quotidien: vent, son, souffle. L’indicible, l’instable. La non-parole, le non écrit, le non-discours. Le contre-discours.

Contrairement au langage soumis à la syntaxe et à des usages figés, on a affaire ici à un flux d’images et de métaphores qui se caractérisent par leur spontanéité. Un mode d’expression qui, à certains moments de l’histoire, en certains lieux, a engendré des manifestations d’une tout autre nature. Les rituels visant à ordonner la vie sociale correspondent au niveau occulte d’une réalité magique où l’idéologie trompeuse de la séparation des sphères s’efface. Seule s’affirme la globalité – politique, économique, culturelle – liée à un système soit de libération, soit d’oppression. C’est ce domaine qu’explore la magie du Vaudoun.

Nul n’est à même de sonder les réseaux de significations forgés depuis la nuit des temps par ces peuples en lutte. En revanche, il nous est possible d’explorer des facteurs concrets ayant contribué à la création du système de symboles dynamiques tel qu’il se manifeste dans les arts vaudoun. On se concentrera en particulier sur la dynamique de la transformation, des tensions intérieures et des structures fondatrices de l’action qui constituent l’essence du temps présent: la logique des puissances invisibles. Émanations subversives, explosions latentes.

KALFOU, GRAN BWA, SIMITYÈ: LES TROIS STATIONS DE LA MAGIE VAUDOUE

Né de la nécessité, le vaudoun embrasse dans une vision fondamentale la magie et la religion de manière à la fois autonome et fusionnelle. De ce point de vue, il se démarque de la tradition judéo-chrétienne, laquelle, depuis le Moyen Âge, s’est purgée de son côté magique. Dans le vaudoun, chaque temple, même celui d’aspect le plus religieux au sens conventionnel, est placé sous le patronage de plusieurs lwa travay, des divinités qui, comme l’indique la phonétique, travaillent. Elles rendent aussi des services et veillent à la prospérité de ceux auxquelles elles appartiennent.

Au cours de la cérémonie, les loa sont convoqués. Il n’est pas question de leur rendre un hommage religieux, ce qui est en soi révélateur d’une pratique magique. Le loa, en échange de dons réguliers en provisions de bouche, offre sa protection et ses prédictions aux fidèles pendant les séances de divination. On attend aussi de lui la guérison, sous la forme de traitements thérapeutiques (il chasse le mauvais oeil), et on tolère mal ses insuffisances dans ce domaine. Bien entendu, l’importance de la magie se retrouve dans les mythes, sources des pratiques rituelles. Dans le soukri lakou (regroupement de plusieurs ménages ou familles sur une grande habitation rurale) du royal Kongo, par exemple, les principaux mythes cosmogoniques retracent l’arrivée du peuple Kongo en Haîti et, de ce fait, la création du monde, à travers les exploits d’un esclave, Figao (ou Gao), lequel, armé d’une chanson et d’une boite à outils magiques, gagne sa liberté en multipliant les guérisons.

Les serviteurs de lwa prennent des “Bain de chance” sous la spectaculaire cascade de saut d’eau, ou villebonheur.

S’il veut exister, ce corps mystico-religieux se trouve en quelque sorte dans l’obligation de prouver l’efficacité de sa magie. Toutes les techniques utilisées doivent être considérées à la lumière d’une représentation du soi où des esprits manipulables entrent en permanence en contact avec d’autres forces, l’ensemble étant soumis à une puissance supérieure. Cette vision à la fois présuppose et façonne un monde en constante évolution caractérisé par une aptitude à l’adaptation, au changement et au progrès. L’obligation d’efficacité a une deuxième conséquence. Dans un monde qui bouge, l’ensemble des connaissances, si on ne veut pas que celles-ci deviennent caduques, doit lui aussi évoluer dans le sens de l’optimisation. Nous trouvons l’illustration de constat dans le témoignage suivant d’un chef Bizango: “Bizango sert à prouver qu’un homme peut apprendre à changer. C’est pourquoi “Bizango” signifie: apprendre à changer. On vit dans un monde et on peut changer ce monde. Dans ce monde, les gens qui nous regardent peuvent nous voir nous transformer, devenir cochons, poulets, ânes, n’importe quel animal ou juste des objets.

C’est ça qu’on appelle Bizango – le changement –, c’est à ça que ça revient, à la forme mouvante.”

Accumulation et transformation œuvrent en commun pour élargir la vision du monde. l’esprit salvateur tchaka ou callallou reconstruit par couches successives, tel que dans la soupe rituelle tchaka à sept ingrédients. Nous avons donc là une culture de l’accumulation ayant la rare faculté de digérer des singularités propres à diverses  cultures d’origine, certaines ayant même des interêts tout opposés.

Mais en accumulant sans cesse, ne risque-t-on pas de diluer les énergies? C’est pourquoi il est indispensable de trouver un moyen de canaliser et de concentrer les forces vitales. D’où l’existence du régléman, règlement ou protocole. Ces formalités qui doivent être observées sont d’une extraordinaire complexité en regard d’un système de croyance et de culte en apparence simple. Elles sont apprises pendant l’initiation puis au cours de l’apprentissage. Ces principes régissent l’art du tambour, de la danse, de l’invocation d’esprits, de la divination et du file farine (farine dont le tireur se sert en la laissant filer entre ses doigts pour tracer les vèvè –les dessins symboliques du vaudoun). Car en organisant la matière, on se donne la possibilité de la manipuler. La distribution des rôles au panthéon, l’ordonnance des pratiques rituelles en fonction de l’origine, du rythme, du temps et de la référence spatiale, le langage symbolique utilisé, tout cela se trouve ordonné  par le régléman.

Arbre reposoir

Dérivé du système de croyance Ginen, en relation en particulier avec le Panthéon Petwo, le domaine spécialisé du Bizango se consacre à la manipulation des énergies – de la nature ou du groupe – et des objets. Ces exercices, quoique considérés comme partie intégrante du vaudoun, occupent une place discutable dans le système religieux. C’est un domaine que l’on dit associé aux forces de la nature. Les gens vous affirment que “Bizango est une rite du vaudoun… comme tous les rites, il fait partie du vaudoun. Seule la société est un circuit fermé, elle est secrète”. Ou bien on entend: “Il y a un seul Ginen, parce qu’en fin de compte il n’y a qu’un seul père, une seule mère. Alors les sociétés font partie du tout. Nous sommes une part du Un. “Dans les foyers traditionnels, toutefois la présence des Gad (Gardiens spirituels) ou des pwen (esprits dela famille Petwo ou Bizango) est indiquée par des dessins marquant les frontières symboliques. l’art de la transformation s’est forgé à partir de la difficulté à synthétiser une réalité fragmentée. Trois divinités, Kalfou, Gran Bwa et simityè, chacune à ses attributs propres, incarnent et délimitent ce domaine de la transformation que l’on associe volontiers au vaudoun et surtout au bizango. Ce trio de loa préside au rite de passage commun à tous les initiés vaudoun, ou à tous ceux qui doivent se rendre maitres des techniques rituelles. ILs répondent aux contradictions humaines, jouant sur la question de l’identité, du seuil, de l’inconnu et éveillant la sphère de l’imagination.

 

C’est dans les interactions complexes de ces trois divinités, Kalfou, Gran Bwa et Simityè, qu’il faut chercher les racines du mystère de la création, d’où surgissent les facultés d’introspection et d’empathie. Il s’agit d’établir une poétique, tel qu’elle se manifestera dans la cérémonie d’invocation et les rituels de cure et de divination. On prendra pour exemple le dessin symbolique à la farine, la fabrication de pakèt kogo, des colliers et des hochers rituels, les ason.

Autel Bizango

Autel Petwo/ Kongo

L’art et le rituel se rejoignent ici pour déconstruire l’émotion, le rythme, l’espace et le temps. l’un et l’autre sont en quête de cette charge d’énergie qui permettra d’ouvrir les portes de la perception. L’un et l’autre se servent de la force du symbole pour libérer les images latentes, prémonitoires, qui projettent un contenu interne et permettent d’aller au-delà du tangible. On y retrouve comme en parallèle les mouvements intrinsèques au dynamisme de la trilogie Kalfou / Gran Bwa / Simityè. Chaque être-mouvement (loa) s’exprime à travers son propre rituel et le vévé, ces dessins invocatoires qui révèlent le tout au moyen de visions de facettes, avec au centre , toujours, l’homme, celui qui voit, emprisonné dans le prisme de la société et du cosmos, reflet de sa propre projection déformée.

Examinons pour commencer Kalfou, le dieu des carrefours. Au lieu qui anéantit.  Un lieu qui anéantit l’abondance avec ses trois, quater ou cinq chemins qui s’entrecroisent, où l’on se perd. On invoque donc Kalfou pour lui demander son appui et éviter les incidents de parcours, lui demander la bonne direction. Car à telle croisée de routes que l’on ignore, on risque la chute dans le plus profond des abîmes. Le vèvè de cette divinité est tracé à la cendre sous la bila (la table des offrandes petwo) du signe rituel de la pénétration de la terre: Une croix et deux marque de partage, le tout aspergé d’eau bénite et enterré. L’identité bascule dans le gouffre, la conscience se fissure… Le vaudoun cherche délibérément le décrochage, prélude au décollage. Ce choc émotionnel. Tout comme dans l’art, l’effet de surprise altère nos ondes cérébrales. Les ondes linéaires se trouvent tout à coup brouillées, tout se précipite , des masses compactes se heurtent. Et ce mouvement est d’autant plus puissant quand il s’agit de l’être non pas individuel mais collectif.

Kalfou tient la baguette mystique qui le qualifie de médiateur entre les mondes du visible et de l’invisible au travers du jeu de miroir reflétant le carrefour de ces mondes. Le geste rituel, consistant à envoyer des poignées d’offrandes aux quatre coins de l’univers, ou au quatre points cardinaux, est analogue aux traditionnelles cérémonies d’offrandes de calebasses qui se déroulent aux carrefours. Les sursauts spasmodiques de la transe, la lumière dansante des flammes révèle des jambes qui donnent des coups de pied jusqu’aux confins de la terre, et la voilà qui roule sur elle-même, et sa jupe qui se soulève, culotte en dentelle qui apparait, disparait. Des objets sacrés jaillissent des forces jusqu’ici muselées. Les mains viennent serrer les cous. Les malades sont secoués  de grands frissons, des frissons qui indiquent une transformation. Tourbillonnant aux limites de la réalité dans le seul but d’effectuer la traversée. Et dans ce but, on emploie des techniques précises pour instaurer la discontinuité, comme des pauses dans les rythmes du tambour ou des blu notes introduisant une distorsion dans la gamme provoquant de brusques torsions la structure de l’être. De la tension, de l’angoisse, lesquels sont des moteurs poussant à l’accouchement de nouvelles visions.

La clé des principes universels de la magie peut se résumer par l’association de deux termes: transgressions / transcendance. Au-delà de la sphère rationnelle de la science s’étend une région occulte que l’on peut toucher du doigt par l’analogie et la métaphore. Le temps et l’espace se trouvent enfin vaincus grâce à un usage singulier de la logique. Le pas est sauté, du connu à l’inconnu. On associe désormais des phénomènes qui a priori n’ont rien à voir les uns avec les autres. Cela s’appelle la voyance ou double vue.

Le prétendu immobilisme rationnel est brisé. Une fois que la carapace paralysante de l’identité s’est détachée, l’esprit acquiert une spontanéité, une fécondité, une faculté de glisser et de bondir, un pouvoir de déplacement instantané… Tout d’une coup deviennent possibles d’extraordinaires mises en relations qui nous projettent, stupéfiés, au-delà  de l’espace et du temps, au-delà de l’ordinaire de la vie et des habitudes. Cet enlèvement émotionnel pourrait s’appeler absolu ou poésie….La finalité de cette dernière étant de se multiplier dans les forces brutes de la foule.

cette dernière analogie procède de la logique de l’accumulation. De manière à entrer en relations, deux particules doivent être contrôlées. C’est pourquoi, à la base de la magie vaudoun, il y a la science empirique. En soi, ce mouvement est essentiel: concentration, brassage – c’est tout le symbolisme de la magie qui nous vient à l’esprit, dans le vaudoun, l’expression ” tout ko li se wanga” (des fétiches sur tout le corps) exprime une disposition du même ordre, ce que reprennent un bon nombre de formes d’art rituel. Dans la thérapie ou le culte, les tentatives de toucher l’au-delà sont innombrables pour la bonne raison que, pour guérir l’autre, il faut d’abord mache chache (marche cherche), autrement dit, il ne faut pas ménager sa peine.

L’empilage, l’ajout sans fin dans un univers en transformation, a pour premier objectif d’établir une analogie: lorsque je deviens l’autres et un autre je, et que tous deux nous devons l’univers, alors la lumière jaillit. De sorte que les références répétées à la transmutation et à la mimesis s’illustrent dans ce moment important du rituel appelé wete po, mete po (où est ta peau, mets ta peau). Change ta peau. Une fois cette étape franchie, on parvient à un autre état de la perception. Même à distance, grâce aux rognures d’ongles ou à des mèches de cheveux, à des photographies, à des morceaux de vêtements, les esprits sont attirés ou projetés sans difficulté. Il suffit d’esquisser les gestes appropriés, que l’on peut emballer ou détacher, épingler ou enfermer.

Pourtant Kalfou, dans ses fonctions d’inducteurs d’états d’hypnose, s’avère néanmoins insuffisant. Il doit être lié, au travers de l’initiation, à l’apprentissage de la différenciation et de l’orientation.

Gran Bwa associe identité / anonymat, netteté / flou et orientation / désorientation. Les diagonales, les éléments en suspens: lignes de fuite, déplacement dans l’hypnose, répétition des gestes. une fois franchie la frontière de la conscience, reste à explorer des régions inconnues, terrifiantes, les ténèbres débouchant sur des espaces vierges de l’être et des perspectives de transformation insoupçonnées.

Les offrandes rituelles à Gran Bwa sont placées dans un petit sac de paille, le makout , ou dans une calebasse, le kwui. On ne prononce le nom de cette divinité omniprésente, collective, que dans le plus grand secret. Les cérémonies de récolte des feuilles ont lieu la nuit, dans une atmosphère de communion clandestine. Le forêt se resserre autour du groupe pour former un espace traversé d’ondes, un temple naturel offert à ceux qui sont déterminés à cheminer au-delà. Le processus de transformation a déjà commencé à éclairer cette aire du songe qui s’était ouverte après la traversée de Kalfou. La conscience ordinaire rencontre la conscience liminale, crant un nouvel espace-temps.

À l’initié se dévoilent des perspectives singulières – des réseaux géométriques de symboles, des jeux de lignes et de signes. L’iconographie de Gran Bwa telle que la représente les vèvè montre l’humanité dans son espace physique. On est frappé par l’image d’un corps auquel est appliquée une grille, dont chaque triangle-carré enferme un pwen. Par sa structure répétitive elle rappelle une marelle dessinée par la main d’un enfant plein d’insouciance. Capitale pourtant est la maitrise de la séquence et du nombre, le Kontwol, le contrôle. Cet art, d’une complexité inouïe, culmine dans le tracé des vèvè où i synthétise des relations encore cachées. Les danses rituelles se déroulent autout du poto mitan, le pilier qui se trouve au centre du hounfor (temple), et qui est le chemin par lequel les loa arrivent parmi les hommes. De même, la disposition de tous les objets à l’intérieur est calculée de manière à contrôler des forces qui, autrement, poursuivraient une errance inutile.

Du fond des bois surgit “la direction”, apparement inhérente, générée par les instincts de survie de ceux qui s’y sont perdus. Pour les voyageurs égarés, paradoxalement, la force qui a provoqué leur perte d’orientation dans l’espace est justement ce qu’ils qualifient de direction, car seule cette dernière en a la maitrise. Automatisme, spontanéité – ces deux mots semblent caractériser la substance de la magie et des loa, ces forces de la création que les hommes forcent à jaillir apparemment de nulle part alors qu’ils les tirent d’une réalité matérielle objective, couches en surimpression de “coïncidences” dans un univers infiniment plus organisé qu’il n’y parait.

La magie, au même titre que la création, est le fruit de contradictions internes arrivées à maturité. Ici il n’est pas question de reproduction, mais plutôt de la naissance d’une force nouvelle.

Simityè: le cimetière – dernière station de l’humanité, station où l’homme se trouve libéré de sa présumée destinée. Ici se produit tout à la fois une juxtaposition et une opposition du passé, du présent et de l’avenir de la société. Le cimetière accouche d’un être nouveau dans la dissolution / coagulation.

Appel de la terre, poussière originelle à laquelle retourne l’humanité, force passive de concentration, genius loci, esprit du lieu. La terre et les rochers sont les seuls témoins éternels du tournoiement éphémère des hommes. Ce sont des marqueurs de réalité, d’où leur importance dans la magie. Quand les chrétiens enterrent l’un des leurs, ils jettent des poignées de terre sur le cercueil avant le moment où, justement, ce sol se referme sur le défunt. Le vaudoun fait de la terre un usage multiple.  C’est la terre des carrefours et des marchés, la terre des forêts et des cimetières, la terre du seuil de la maison, du village, du temple. C’est le sept priz tè (sept poignées de terre) qui figure symboliquement entre autres, dans le pakèt kongo et la calebasse d’offrandes. Par ailleurs, la mise en terre symbolique a une action thérapeutique par le contact régénérateur avec ses nutriments. Emblème de l’économie rurale, la terre est ce qui enracine et attache, c’est la valeur suprême, surtout dans la société féodale.

En regroupant les tombes qui, chacune, témoignent d’une aspiration à la vie éternelle et d’une décision de marcher ensemble vers une destinée collective, le cimetière abolit les séparations terrestres et reconstitue le clan originel. Le moun (le peuple) haïtien, tout comme le muntu congolais, englobe non seulement les vivants, mais tous les ancêtres, population omniprésente du simityè.

Les cimetières, en Haïti, sont des lieux “surréalistes” par le bigarré des couleurs et des constructions, bien plus solides que les maisons d’habitation. Qu’il soit vaste ou modeste, citadin ou rural, le cimetière est le centre par excellence de la magie, où Kalfou et Gran Bwa deviennent accessibles. L’issue devient palpable: la mort et la renaissance, la transfiguration à travers le triple mouvement de la magie. Équipée de trois bêches, trois pelles, trois pioches, la société émerge armée des outils de son émancipation et s’apprête à connaitre une résurrection sur de nouvelles bases.

L’émotion est présente, les conflits oubliés, les doubles unis. Tout ce qui était à l’état latent se manifeste.

…/…

Le psychologue clinique américain Richard Noll trouve de l’imagerie mentale à l’interface du chamanisme et de la science. Noll essaie de définir les “esprits” comme de l’imagerie mentale et le chamanisme comme la technique de la contrôler.

Sans pouvoir adhérer à l’ensemble de cette thèse, il est de bon ton de mettre en avant la pertinence de son fondement:

Alors, que sont “les esprits”? Dans toutes les cultures, on les décrit de manière  subjective comme étant des forces trans-personnelles nous animant ou nous traversant, mais échappant presque toujours à notre contrôle. Ce qui signifie que ces forces ou actions (le plus souvent) personnifiées sont des entités autonomes possédant leur propre programmation. À l’état de veille ordinaire, on ne peut généralement pas les contacter ni les faire travailler, alors qu’en état altéré de conscience, on peut les voir distinctement. Le rêve constitue l’état altéré de conscience où ils apparaissent le plus couramment (…)

Les esprits font incontestablement partie de la “réalité vécue” de l’humanité et, sans tenir compte de ce que peut bien être leur “réalité ultime”, ils représentent à travers toutes les cultures les forces de transformation susceptibles de favoriser le développement ou d’infliger la maladie ou même la mort. Ainsi, ils sont de par leur nature intrinsèque à la fois bénéfiques et malveillants, amicaux et trompeurs, guérisseurs et destructeurs, créateurs de la vie et serviteurs de la mort. Rechercher volontairement ces pouvoirs de transformation, comme le fait le chaman, amène à entrer intimement en contact avec les secrets de l’existence. Ouvrir son âme à ces forces duelles revient par conséquent à se transformer soi-même. Dès lors on peut voir les “esprits” comme du “non-moi” pour initier l’individu à de nouvelles connaissances inaccessibles en état de conscience ordinaire.

Le chaman provoque volontairement ces états altérés appelés “extases”, “transes” ou “visions”, afin de contacter et de manipuler les esprits pour des raisons précises. Il est donc connu comme étant un “maitre de la transe”, un “maitre des esprits”. Les esprits sont utilisés pour induire les changements dans le chaman lui-même, ou dans les autres (cas d’une guérison), ou bien encore pour modifier ou obtenir des renseignements sur le monde physique extérieur. Cette dernière fonction est une caractéristique courante de la magie. Une définition plus formelle du chamanisme en fait une tradition de guérison par l’extase. Celle-ci consiste essentiellement en techniques visant à déclencher, à maintenir puis à interpréter les expériences les plus frappantes de l’imaginaire exacerbé qui naît de l’état altéré de conscience délibérément provoqué par le chaman.

La clé de l’apprentissage ésotérique du futur chaman – et, comme nous allons le voir, celui des novices dans de nombreuses autres traditions religieuses – réside dans l’art de développer des images mentales. (…) Dans le chamanisme, la visualisation  des images revêt une importance toute particulière, ce qui n’empêche pas que l’aspect auditif soit également très développé.

L’apprentissage d’une telle “culture visuelle” s’obtient par un processus en deux temps. Tout d’abord, le néophyte apprend à donner plus d’éclat à ses images intérieures grâce à différentes techniques psychologiques et physiologiques. Nombre d’entre elles peuvent paraitre excessives selon nos standards culturels: stimulation de la douleur, hypoglycémie et déshydratation, hyper-mobilité (comme par exemple au cours d’une longue période de danse), stimulation acoustique (due au tambour), solitude et immobilisation forcée, privation de sommeil, hyper-ventilation, ingestion d’hallucinogènes. Chacune de ces techniques induit une altération de l’état de conscience. Des études expérimentales menées en psychologie ont montré que les images mentales peuvent devenir tellement vivantes qu’elles empêchent la perception visuelle normale. Cela se passe comme si les vibrations du monde intérieur devenaient si intenses qu’elles masquaient la lumière provenant de l’extérieur.

Une fois qu’un novice est en mesure de créer des images “aussi réelles que la vie”, la seconde phase de l’apprentissage peut commencer, qui a pour but de développer le contrôle sur l’imagerie mentale. Les chamans captent la vision et agissent sur son contenu, apprenant ainsi à maitriser les esprits. (…)

Pour acquérir la connaissance et le pouvoir, les hommes ont toujours consulté des entités hors de ce monde qui sont traditionnellement considérées comme des “source de sagesse” trans-personnelles et capables de véhiculer l’information décisive au-delà des limites ordinaires de l’espace et du temps. Dans de nombreuses traditions, les esprits gardiens, les anges, les ancêtres disparus, les déités naturelles ont tous été contactés au cours de rituel occultes. Le plus souvent, le praticien commence par engager le dialogue avec les entités spirituelles en tombant en état altéré de conscience, ce qui lui permet de voir et d’entendre ces “hôtes invisibles”. Cependant, ce sont parfois ces derniers qui frappent aux portes de l’ “imaginal”. Quoi qu’il en soit, appelés ou non, ils offrent un pouvoir symbolique de transformation, pour soi, pour les autres ou pour l’environnement.

Ainsi, l’initiation par les esprits peut faciliter la transformation intérieure, ce qui explique que les “esprits gardiens” ou “les guides et maitres spirituels” soient invoqués par l’espèce humaine. Ces êtres ne sont pas imaginaires dans le sens où ils seraient purs fantasmes ou constructions fictives. Ils sont “imaginals”, c’est-à-dire qu’ils existent dans un plan d’expérience où ils vivent leur propre réalité, un mundus imaginalis ou “monde imaginal”, pour reprendre l’expression d’Henry Corbin, coexistant avec le monde terrestre dont nous faisons l’expérience à l’état de veille ordinaire. Les êtres “Imaginals” font partie de notre réalité et il en a probablement toujours été ainsi depuis l’apparition de la conscience humaine.

 

 

Photo de couverture: art by luis tamani amasifuen

 

 

 

Les rois et le clergé d’Abomey, annexant les vodoun des peuples conquis s’attachèrent à centraliser ces éléments disparates en une synthèse nouvelle, aussi peut-on parler du culte de ces grands dieux comme d’une tentative de “religion d’État” par opposition aux aspects strictement familiaux ou même individuels de la religion dahoméenne.

La classification proposée par Herskovits présente l’avantage d’être simple, claire et cohérente. De plus, elle présente une analogie structurelle avec le vaudou Haïtien qui ne nous a pas semblé fortuite. D’après cette classification, les cultes publics se divisent en trois grands panthéons autonomes, mais qui se cherchent sans cesse des points de contact: au premier rang, le panthéon des dieux du ciel, puis vient celui des deux de la terre et enfin celui des dieux du tonnerre, qui contrôlent le tonnerre et la mer.

LE PANTHÉON CÉLESTE:

Le culte des dieux du ciel fut institué officiellement par la mère du roi Tegbesou (1728 -1775). Il est celui qui, au dahomey, recueille le plus faible nombre d’adeptes. Il n’en occupe pas moins le tout premier rang de la hiérarchie religieuse. Sa liaison avec la famille royale donnait à lui sel droit à des sacrifices humains.

Pour les prêtres du panthéon céleste, le monde a été créé par un dieu hermaphrodite, Nana Buluku, qui, en se fécondant lui-même, à donné naissance à deux jumeau: mawu et Lisa, auxquels a été confié le commandement du monde.

Mawu, la femme, a pour domaine la nuit, elle gouverne la lune. Le peuple préfère à son frère époux car,  elle est plus clémente, plus sage, plus douce. La nuit, son royaume, est le temps du repos, de la fraicheur, des rapprochements.

Lisa, l’homme, règne sur le jour. Son élément est le soleil. Vif, rude, il est associé à l’effort, car le jour est le temps du travail.

Autre personnage du panthéon céleste: Gu, dieu du fer et des forgerons. Gu est un civilisateur, c’est lui qui a rendu la terre habitable aux hommes, et son oeuvre n’aura jamais de fin. Il est devenu, dans le Dahomey moderne, le protecteur des chauffeurs et des mécaniciens. C’est le Vodoun du progrès, le symbole de l’intelligence agissante de l’homme.

LE PANTHEON TERRESTRE:

Pour les prêtres de Sagbata, les enfants de Mawu Lisa sont les principaux vodoun de la terre – le couple céleste est ainsi repris comme géniteur des vodoun terrestres.

Les ainés de ses enfants, Dada Zodji et Nyawé Ananu, sont des jumeaux de sexes différents. Ils représentent Sagbata et sont chargés du gouvernement de la terre. Ensuite vient Sô, ou Sogbo, androgyne comme son géniteur Mawu Lisa et resté au ciel près de lui. D’après les prêtres de sagbata , il a donné naissance aux dieux du panthéon du tonnerre (Hévioso). Le panthéon du tonnerre est donc le cadet du panthéon de la terre. Si la domination de la terre est acquise à Sagbata, il est cependant dépendant de son cadet Sogbo,  maitre de la pluie, sans lequel il ne peut rien – une situation fort mal ressentie, source de querelles sans fin.

Viennent ensuite les jumeaux Agbé et Naété, dont le domaine est la mer (Agbé est probablement devenu Agoué, loa de la mer en Haïti), puis Cu, vodoun du fer, puis Agê, le chasseur, Djo, l’air, le souffle, la vie et enfin Legba dans son rôle d’ambassadeur et d’interprète.

Chaque dieu parle une langue incompréhensible pour ceux des autres panthéons. Legba est le seul à les connaitre toutes, en plus de celle des hommes. IL est donc le “linguiste des dieux” et l’envoyé de Mawu.

LE PANTHÉON DU TONNERRE

Le nom générique de ce panthéon est Hévioso. Comme Sabgbata, Hévioso désigne une famille de dieux et ne renvoie à aucun personnage individualisé. Au Dahomey, Hévioso est constitué par la réunion de deux groupes de vodoun aux caractéristiques très différentes: un premier groupe dont la vocation justicière s’exerce pa r la foudre et un second groupe lié à la mer, source de toutes les eaux car d’elle vient la pluie.

Sogbo, Agbé et Badé, la voix la plus formidable du tonnerre, le sorcier maléfique, sont parvenu en Haïti. Au Dahomey, Badé commande à Aido Wédo, le serpent arc en ciel qui transporte l’éclair meurtrier sur la terre.

Ces panthéons, en tant que familles de dieux dominants les éléments naturels, disparaissent en Haïti: chaque dieu transplanté garde ses attributions, mais de manière individuelle. Cependant, le chiffre trois, qui domine tout l’ésotérisme dahoméen, domine aussi l’espace religieux haïtien. Il  y a trois panthéons dans le vaudou haïtien qui portent les noms des trois grandes classes ethniques de la colonie: Le panthéon rada, pour les dieux dahoméens et yoroubas, le panthéon congo, où l’influence des Bantous est plus nette , et le panthéon pétro, d’élaboration créole. Tous les éléments légués par les autres peuples seront intégrés dans ces grandes catégories.

LES CULTES PERSONNELS

Il existe dans la religion dahoméenne des vodoun qui, sans appartenir à un panthéon déterminé, sont présents dans tous les rituels. Il s’agit de divinités personnalisées, comme Legba, ou bien de principes plus abstraits, comme Dan ou Fa. Ce qui créé une parenté entre ces différents vodoun , c’est leur richesse philosophique et le caractère indispensable des notions qu’ils incarnent dans la cosmologie dahoméenne.

Dan: Dans est un principe divin complexe aux multiples avatars. Associé au serpent, il est plus qu’un serpent: il est la qualité de ce qui est vivant, exprimée par toutes les choses flexibles, sinueuses, humides, par tout ce qui rampe se plie, se déplie, n’a pas de jambes, l’arc en ciel, la fumée, le cordon ombilical, les racines, les nerfs, le sexe de l’homme sont des choses Dan. Dan est la vie, Mawu, la pensée.

Dan représente le caractère aléatoire de la vie, la mémoire dans ce qu’elle a a à la fois de fluctuant, d’insaisissable et de permanent. Ses principales manifestations sont Aido Wéo et Danbada Wédo.

Aido Wédo exprime la négation du commencement absolu, l’idée d’une succession infinie de mondes et de créateurs dont l’homme a perdu le souvenir, mais qu’il se doit d’honorer avec le plus grand soin. Danbada wédo est le souvenir du clan, l’incarnation des parents puissants mais trop anciens pour vivre encore individuellement dans la mémoire de leurs descendants. Grâce à Danbada wédo, le clan peut leur rendre un culte collectif.

Dan est donc la continuité: c’est pourquoi on le présente comme un serpent qui se mord la queue. Continuité du temps religieux, du temps biologique, de la présence matérielle du clan.

Legba et Fa: Legba et Fa sont des divinités étroitement liées dans leurs rapports avec les hommes: fa est l’ordre, la parole de Mawu, le destin du monde et de l’homme dans ce qu’il a d’inexorable; Legba est la personnification de l’accident dans le monde, il est le moyen pour l’homme d’échapper à son destin, de tricher; il est la colère des dieux, la colère de l’homme, cette impulsion qui a pour siège le nombril et que l’homme se doit d’apaiser.

Fa et Legba, en somme, sont des compagnons médiateurs entre les dieux et les hommes. Fa est le principe de la certitude et de la prédiction; à l’opposé, Legba provoque volontairement contestation et désordre, il est le principe de l’incertitude. Legba pousse les hommes à offenser les dieux, Fa leur apprend le moyen de se réconcilier. L’existence de l’un est nécessaire à celle de l’autre. Leur relation est un exemple frappant de dualisme équilibré: il est nécessaire que l’ordre soit rompu pour le renouveau et le changement de la vie. Le conflit est valorisé et considéré comme constructif. On ne le supprime pas, et l’équilibre s’installe dans la dialectique des oppositions.

Legba est craint, c’est un tricheur qu’il est indispensable de se concilier pour échapper à ses mauvais tours; mais on a pour lui une immense affection , car il est capable du meilleur comme du pire. Il déjoue surtout les pièges que les dieux tendent aux hommes. En tant que messager et linguiste des dieux on lui offre toujours un sacrifice avant de s’adresser à eux: tous les grands couvents initiatiques possèdent un legba, un danseur voué à Legba. L’affection que lui portent les Dahoméens est pleine de sympathie indulgente, car Legba c’est l’humour, la truculence , la sexualité débridée. Il est le vagabond, celui qui n’a ni temple ni prêtre, qui n’exige aucune initiation: legba fait en quelque sorte parti intégrante de l’homme.

Par un curieux revirement, Legba est devenu en Haïti un personnage éminemment respectable: il a perdu sa truculence, son caractère perturbateur pour se transformer en un très vieil homme, perclus de rhumatismes, frigide, entouré par l’immense déférence de ses fidèles. Il est resté cependant le messager des dieux, le maitre des carrefours, celui qui ouvre toutes les barrières, que l’on invoque le premier, et qui inaugure les cérémonies.

Fa, lui, “nest pas une force naturelle, il est la sollicitude de Dieu pour sa création”. Il est très important pour chaque homme responsable, ayant charge d’âmes, de maitriser son destin: l’initiation au culte de Fa, conduite par le bokono (devin, prêtre de Fa), assure à toute sa famille et à lui-même une vie harmonieuse.

Le mode de divination le plus suivi, avant l’importation de Fa, était Bo: “Bo était un dieu, mais personne ne peut dire au juste d’ouù il est venu, ni à quelle époque” Le roi (Agadja), “qui haïssait ce Bo parce qu’il permettait trop d’alliances contre lui”, le remplaça par Fa, mais il eut à vaincre une sérieuse résistance, et c’est certainement pour cela qu’il vendit aux négriers tous les spécialistes de Bo — lesquels se retrouvèrent en Haïti: le rélé loa nâ govi (appel aux lwas dans une cruche) ou le rélé mô nâ dlo (appel du mort dans l’eau) constituent un mode de divination extrêmement courant en Haïti — Or il s’agit de l’exacte reproduction de la divination Bo.

LISA DESQUIRON POUR L’ABBAYE DOUALAS –

LORAY GWONDÉ BON BÒKÒ

 

Mes ami(e)s proches connaissent ma position sur les enthéogènes, et le profond respect que je porte au monde végétal. Dans chaque processus initiatiques auquel j’ai eu la chance de participer, les plantes ont toujours eu un rôle important.

Nous apprenons des esprits bien plus que des hommes.

Je précise tout de même que cet article n’a pas vocation a orienter vers la consommation de produits qui pour certains sont, dans plusieurs pays d’Europe, prohibés.

Aucun prosélytisme à ce sujet dans la démarche. Cette notion est simplement une réalité dans de nombreux systèmes de croyance sur plusieurs continents.

Antropologue colombien, luis Eduardo Luna parle ici des “plantes qui enseignent”, un concept central du chamanisme mestizo de l’Amazonie péruvienne. Luna démontre qu’il suffit d’écouter les gens avec attention pour apprendre beaucoup de choses. Pour une fois, anthropologue et chamanes parlent la même langue: L’espagnol.

Bonne lecture les ami(e)s

Dans la ville d’Iquitos et ses environs, la médecine populaire est une tradition encore florissante. Les praticiens, dont certains peuvent être qualifiés de chamanes, contribuent de façon importante à la santé psychosomatique des habitants de la région. Ces derniers comptent dans leur rang des vegetalistas, ou spécialistes des plantes, qui se servent d’un certain nombre de plantes appelées doctores, ou plantes qui enseignent. Ils croient que, s’ils s’astreignent à quelques règles, dont l’isolement suivi d’un régime spécifique, ces plantes ont le pouvoir de leur “enseigner” comment diagnostiquer et soigner les maladies, comment mener à bien d’autres tâches chamaniques, habituellement grâce à des mélodies magiques ou icaros, et comment utiliser les plantes médicinales.

Quatre chamanes ont été interrogés sur la nature et l’identité de ces plantes magiques, le régime à suivre, la manière dont s’opère la transmission du pouvoir chamanique, la nature de leurs esprits auxiliaires et la fonction des mélodies magiques que leur enseignent les plantes. (…)

Dans le contexte des pratiques chamaniques, une croyance essentielle veut que de nombreuses plantes, pour ne pas dire toutes, aient chacune leur propre “mère” ou esprit. C’est grâce à l’aide des esprits de certaines de ces plantes, que j’ai dénommées “plantes qui enseignent”, que le chamane est capable d’acquérir des pouvoirs.

Interrogés sur l’origine de leur savoir, mes quatre interlocuteur répondirent ceci: “La purga misma te enseña (la purge elle même t’apprend)”, faisant référence à la boisson à base d’ayahuasca. D’autres plantes, dont j’appris que certaines étaient utilisées comme additif de l’ayahuasca, furent également mentionnées.Supposant qu’au moins une partie d’entre elles était dotée de pouvoirs psychotropes, je me mis à établir une liste et m’efforçai, dans la mesure du possible, de recueillir toutes ces plantes qui “enseignent la médecine”. Dans les comptes-rendus des chamanes, je trouvai que les plantes qu’ils appellent doctores ou vegetales que enseñan (plantes qui enseignent) soit:  1) provoquent des hallucinations, lorsqu’elles sont consommées seules; 2) modifient, d’une certaine manière, les effets de l’ayahuasca; 3) donnent le vertige; 4) possèdent de fortes propriétés émétiques et/ou cathartiques, ou, du moins, quelques-unes d’entre elles. Je me demandais, néanmoins, quelle serait la manière appropriée pour interroger mes interlocuteurs à propos des plantes qui enseignent. En effet lorsque j’utilisais le verbe espagnol marear (donner la nausée), par exemple: “Don Celso, marea esta planta? (Don Celso, est-ce que cette plante donne la nausée?)”, la réponse pouvait être: “Oui c’est une bonne médecine” ou “Oui, elle te fait tout vomir” ou “Oui, elle t’enseigne” ou “Oui, elle te fait voir de belles choses” ou encore “Oui, si tu la mélange à l’ayahuasca.” Des réponses similaires m’étaient données, lorsque je formulais la question différemment, par exemple: “Don Émilio, es esta planta doctor? (Est-ce que cette plante est un docteur?)” ou “Don Alejandro, tiene madre esta planta? (Est-ce que cette plante a une mère?)” Une telle série d’associations est, certes intéressante. L’association de plantes psychotropes aux émétiques et aux vermifuges a été relevée par Rodriguez et Cavin. Le lien entre rêves et hallucinations est, par ailleurs, un thème récurrent de la littérature chamanique. D’après ce que j’ai pu comprendre, toutes les plantes psychotropes sont considérées comme des maitres potentiels. J’ai demandé à Don Émilio s’il avait déjà consommé des champignons psilocybe cubensis, qui poussent en abondance sur les bouses de vache de la région. Il acquiésça: “Bonito se ve. Diétándoledebe enseñar medicina (On voit de belles choses. En suivant le régime, elle doit t’enseigner la médecine).”

Les quatre interlocuteurs avec lesquels j’ai travaillé n’étaient pas d’accord quant à savoir si toutes les plantes qui enseignent provoquent des visions. Selon Don Alejandro, par exemple, toutes les plantes qui ont une “mère” marean (donnent le mal de mer), ce qui implique qu’il existe des plantes qui sont dépourvues de “mère”, ce que ne confirment ni Don Celso ni Don Émilio. Don Celso dit que “la mère de la plante est son existence, sa vie”. Don Émilio affirme que toutes les plantes, même les plus petites, ont chacune leur “mère”. Certaines des plantes qui enseignent provoquent des visions, mais seulement si elles sont associées à de l’ayahuasca. D’autres ne provoquent qu’una mareación ciega (un mal de mer aveugle), dans laquelle on ne voit absolument rien. D’autres plantes n’enseignent que dans les rêves.

Mes quatre interlocuteurs ont toutefois relevé avec insistance que les esprits des plantes leur avaient enseigné leur savoir. Don Celso, par exemple, n’a jamais reçu d’enseignement de la part d’un chamane. Un jour, il formula une remarque très significative: “C’est la raison pour laquelle certains docteurs croient que le vegetalismo (science des plantes) est plus puissant que la medicina de estudio (la médecine occidentale), parce qu’ils apprennent en lisant des livres. Mais nous, nous prenons juste ce liquide, nous suivons le régime, et, alors, nous apprenons.” Don Alejandro me dit, quant à lui, qu’il apprit très vite beaucoup plus de choses que son maitre, un indien qui avait été capturé par des caucheros (ouvriers qui travaillent le caoutchouc), parce que les esprits des plantes lui avaient beaucoup enseigné. Don josé estime que ses murrayas lui ont appris tout ce qu’il sait. (…) Il les identifie aux esprits de chamanes décédés, qui, lorsqu’il est en transe, pénètrenent dans son corps et lui parlent en cocama, un langage tribal péruvien. Don José est le seul qui, de nos quatre interlocuteurs, manifeste ce qui pourrait être qualifié de possession par les epsrits. Il entretient parfois de longues discussions avec les esprits, qui parlent à voix haute par sa bouche.

Les esprits, qui sont parfois appelés doctorcitos (petits docteurs) ou abuelos (grands-pères), se présentent pendant les visions et dans les rêves, montrant quel disgnostic poser sur la maladie, quelles plantes utiliser et de quelle manière, comment utiliser la fumée du tabac de manière appropriée, comment extirper la maladie par succion ou réinsuffler l’esprit dans une patient, comment les chamanes se défendent, ce qu’ils doivent manger, et, le plus important, ils leur enseignent les icaros, ces chants magiques ou mélodies chamaniques, qui représentent le principal instrument des séances chamaniques.

Pour clôturer les ami(e)s et puisque les mots de la fin sont orientés sur les icaros, je vous laisse découvrir ce dont il est question par la bouche de ma bien aimée Maestra Olivia:

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LA CONCEPTION DE L’ÂME CHEZ LES BAKONGOS:

La conception de la personnalité chez les Bakongos était pluraliste. Cette croyance contribua certainement à la fusion des deux conceptions de l’homme — dahoméenne et congo — dans le vaudou Haïtien.

Pour les Bakongos, en effet, l’homme “se compose de quatre éléments: le corps (nitu), le sang (menga) qui contient l’âme (moyo) et le mfumu kutu, sorte de double âme. Venant donner à l’être humain sa personnalité parfaite, le nom (zina) constitue l’homme complet”.

C’est grâce à l’âme (moyo), nous dit Van Wing, “que l’homme vit sa vie”. Cette âme résiste victorieusement à la mort et se retire ku masa (à l’eau) que les bakongos désignent d’une manière très caractéristique:  Ku Banzingila ( là ou l’on vit).  L’eau est le monde des ancêtres. “Dans leur village, les ancêtres ont leurs maisons, leurs champs, ils ont de grandes richesses, des étoffes, de l’argent, du gibier, du vin de palme. Ce village est situé ku masa, dans l’eau, du côté de la forêt, car la forêt se trouve près des rivières”. Il existe donc un point commun entre la conception dahoméenne des âmes et de la mort et celle des Bakongos: Une âme, à la mort de l’homme, entre en contact avec l’eau. Ce contact, chez les dahoméens, était transitoire: l’eau est un élément de passage, un lieu où l’on récupère les âmes pour les déifier. Chez les Bakongos, l’eau était le séjour permanent du moyo après la mort. Cela explique que l’eau joue un rôle primordial dans le monde funéraire en Haïti.

Si la mort du Vaudouisant haïtien s’inscrit très nettement dans un contexte Dahoméen, une variante assez importante dans l’itinéraire post mortem de l’âme témoigne de l’influence des Bakongos: l’âme, qui sera récupérée pour être divinisée, va directement sous l’eau où elle séjournera en attendant qu’on “la fasse lever”. Cette modification est très certainement due au bouleversement de la géographie; il est beaucoup plus facile de rejoindre l’élément liquide omniprésent — et qui pour les Congos coïncide avec le monde des ancêtres — que de gagner le monde des ancêtres du Dahomey resté quelque part en Afrique.

L’autre âme, que van Wing appelle âme sensible, “principe de la perception sensible”, le mfumu kutu, a pour siège l’oreille: elle est “le seigneur de l’oreille”.

Mais les Bakongos disent qu’elle est “chose de Nzambi”, qu’elle vient de Dieu. Or cette âme présente une des caractéristiques de l’âme dahoméenne qui vient du culte de mawu. La ressemblance ne s’arrête pas là: quand le mfumu kutu “entre dans l’enfant, il vient de loin; lorsqu’il quitte le cadavre, il s’en va loin, ku katalukidi”.

Autrement dit, elle vient de Dieu et s’en retourne à Dieu. Elle n’aura plus de contact avec les vivants après la mort de son propriétaire.

À l’intérieur de cette structure résolument héritée de l’Afrique occidentale, les analogies sont troublantes entre l’idée que le vaudouisant haïtien se fait de la vie de l’une de ses âmes, et celle que se fait le Bakongo de l’activité de mfumu kutu: “la nuit, (le mfumu kutu) erre par les campagnes, aussi le sommeil s’empare-t-il de l’homme; le jour, s’il s’en va, l’homme tombe évanoui (…). Si le matin l’on éprouve quelque peine à éveiller quelqu’un, c’est que son mfumu kutu n’est pas revenu, il s’en est allée trop loin (…). Lorsque le mfumu kutu s’en est allé, son activité ne se ralentit pas mais elle est autre; il se promène partout, il rencontre ce que l’on rencontre dans la nuit obscure (…). Tout cela, l’homme endormi s’en rend compte parfois : c’est le rêve. Quand au matin le “gros bon ange” ne réintègre pas son enveloppe corporelle, la personne qui l’a perdu tombe dans une profonde léthargie” Les éléments pivots, les seuls clairement exprimés, de la conception de l’âme en Haïti, sont ceux qui coïncident ainsi à l’intérieur des philosophies des deux principaux groupes en présence à SAINT DOMINGUE: les dahoméens et les congos. Ces deux points acquis, les seuls qui réalisent un accord unanime, la philosophie vaudoue tombe dans la confusion quand elle doit se prononcer sur la nature, le rôle, la vocation des âmes de l’homme…

UNE RELIGION MONOTHÉISTE?

Toute la littérature ethnologique qui a précédé Herkovits (Bosman, Skerthchly-Burton) fait état de la croyance des Dahoméens dans un Dieu créateur Omnipotent, qui , une fois son oeuvre accomplie, se serait retiré, livrant le monde à des divinités subalternes. De là, à l’affirmation suivant laquelle ;a religion Dahoméenne serait monothéiste, il n’y avait qu’un pas, que franchirent les missionnaires et les ethnologues catholiques.

Cependant la distance est grande entre Mawu et le Dieu éternel des judéo-chrétiens. Mawu est une créature — avant elle, a existé un être qui l’a créée. La seule étape explicite formulée par la pensée mythologique avant Mawu et Nana Buluku. Le refus d’accepter une origine première à toute existence, caractéristique de la pensée religieuse dahoméenne, amène les théologiens à affirmer que Nana Buluku est lui-même le produit d’une création et qu’il y a eu une multitude de Mawu.

Il est cependant légitime de se demander si sa conception hiérarchisée du monde ne conduit pas le Dahoméen à considérer un personnage divin qui, par l’étendue de ses pouvoirs et l’absolue nécessité de sa présence comme condition de l’ordre, relègue les autres divinités au rang d’inférieurs. Infériorité qui tendrait à ne leur laisser que certains pouvoirs limités et spécialisés, et qui exclurait en eux l’essence divine transcendante, celle-ci restant l’apanage de Mawu. Il serait alors plus facile de comprendre qu’en Haïti l’identification de Mawu avec le “Bon Dieu” des chrétiens se soit opérée sans grande difficulté.

 

CONGO EN HAÏTI:

L’influence de la culture Congo sur la mentalité générale de l’Haïtien contemporain est donc très subtile, beaucoup moins apparente que celle exercée par les peuples d’Afrique occidentale — ce que nous pourrions résumer ainsi: une religion d’inspiration soudanaise est vécue par une population en majorité d’origine bantoue. Cette situation curieuse a plusieurs conséquences.

Ainsi, la vie profane du paysan Haïtien est à bien des égard profondément marquée par les Bantous: par exemple toute l’imagination non religieuse s’exprime dans la tradition bantoue; une multitude de “contes” profanes et de devinettes sont des traductions fidèles  ou des transpositions de légendes et de devinettes congos.

Quant à la vie religieuse, dominée à l’origine par des leaders venus d’Afrique occidentale, on y retrouve de nombreuses traces de ré-interprétations en termes de culture Bantoue (place de certains dieux ancestraux, rôle de la magie, etc.), mais aussi certains traits particulièrement vigoureux qui se sont insérés tels quels dans le cadre dahoméen: c’est ainsi que le Mawu déhoméen, le Nzambi des Bantous et le Dieu catholique concourent à donner sa physionomie propre au “Grand Maître”, Dieu suprême des vaudouisants.

Il est source de toute vie; à la mort de ses crétures humaines, il récupère une de leurs âmes; il est au dessus des esprits auxquels s’adresse le culte (on ne lui rend aucun culte); comme Nzambi, il est législateur des règles morales, punit les hommes quand ils transgressent celles-ci de leur vivant, mais ne récompense jamais.

Le culte des ancêtres des Bantous a disparu avec l’éclatement des groupes de parenté. Ce qui subsiste de religion familiale en Haïti est résolument dahoméen (présence des ancêtres dans des cruches, transes etc..), mais les bakongos ont influencé ce nouveau culte des ancêtres: Comme chez les Bantous, c’est le chef de famille qui officie, et non plus un prêtre spécialisé comme au Dahomey. De nombreux traits du rituel vaudou sont typiquement congos: par exemple, l’utilisation de la poudre, que l’on ne retrouve pas au Dahomey mais qui se pratique en Haïti dans les cérémonies dites de rites congo ou de rite pétro (le rite pétro est un rite créole de forte inspiration congo); la forme des tambours utilisés lors des cérémonies congo ou pétro; de nombreux pas de danse.

Mais le domaine où l’influence bantoue s’est exercée avec le plus de force reste la magie. La magie des Bantous s’est exprimée à l’intérieur comme à l’extérieur du cadre religieux dahoméen. La religion a récupéré la magie positive, bénéfique (curative essentiellement), laissant aux spécialistes  non religieux et aux prêtres maudits la magie offensive (antisociale) et les pratiques de protection en général.

LA MAGIE BANTOUE DANS LE VAUDOU

Les Bakongos ont apporté au vaudou une importante catégorie d’esprits: les esprits de l’eau, les bisimbi. En Afrique centrale, ces esprits aquatiques  dominent un important secteur de la magie et entrent dans la composition de nombreux nkisi (talismans).

Chez les bakongos, les rapports avec les esprits bisimbi sont des rapports individuels établis dans le secret. En Haïti, intégrés dans le culte collectif, ces esprits constituent une famille importante qui se manifeste – comme les dieux dahoméens – par la transe, qui a ses initiés. Ils gardent cependant les mêmes caractéristiques que les bisimbi congos: ce sont des esprits d’eau douce, de sources et de rivières.

“Le sanctuaire des dieux Simbi est pourvu de petits autels sur lesquels on remarque des chromos de saints et de mages – les trois rois mages sont assimilés à trois rois congos dont la mythologie haïtienne a gardé le souvenir –, une lampe à huile d’olive, des govi (cruches) qui servent à les invoquer. Comme les simbi sont des dieux guérisseurs, des paquets dits paquets simbi sont aussi placés sur leur tables-autels. Ces paquets simbi sont la réplique exacte des nkisi congos. Les paquets sont des talismans thérapeutiques qui contiennent des matières végétales et minérales: encens, poudre à canon, écorces, tiges, vivres, feuilles desséchées (dont la feuille dite trois paroles – allophys occidentalis – est indispensable pour toute cure parce que sans elle on ne peut obtenir la protection du père, du fils et du Saint Esprit), le tout pulvérisé est mêlé à une pâte tirée des animaux sacrifiés. On prépare les paquets au cours d’une cérémonie faite en l’honneur d’un loa guérisseur. Au moment de la nouvelle lune, on les attache et les enveloppe de satin  ou de soie aux couleurs consacrées aux dieux intéressés. Ils sont ensuite parfumés et déposés dans des assiettes de faïence blanche ou dans des sortes de gourdes en terre cuite.

Les paquets mâles sont confectionnés par les houngan et les paquets femelles par les mambo. Et comme les simbi sont des Loa aquatiques, on place toujours dans leur Hounfor une cuvette pleine d’eau.

On retrouve les paquets congo ou paquets simbi dans tous les sanctuaires d’inspiration Bantoue – dans les rites congo et pétro – où les guérisseurs sont nombreux: ordinairement des poupées de toile bourrées avec des feuilles, des herbes et des racines pulvérisées et parfumées. Si, en Haïti, la maladie est ainsi intégrée dans le contexte religieux (dans de nombreux cas seul le prêtre pourra guérir le mal), il faut y voir un apport bantou: cette notion est totalement absente au Dahomey.

LA MAGIE BANTOUE HORS DU CADRE RELIGIEUX EN HAÏTI

Dans le cadre du Vaudou, les sortilèges ne sont envisagés que dans une perspective curative. Hors de celui-ci, ils peuvent être utilisés pour la protection et l’attaque. Cette “magie profane” est désignée par le mot wanga. pour la confection de nombreux wanga, le magicien utilisera un peu de terre prélevée dans un cimetière comme un collègue congo utilise pour ses nkisi de l’argile “prise au fond d’une rivière, d’un étang, séjour des esprits des morts”. Wanga désigne souvent un talisman puissant qui protège un individu, un champs ou une maison. l’expression “accomplir le wanga” renvoie en général à une action plutôt inquiétante. En effet, ce secteur de magie fréquenté par tous ceux qui, par désir de puissance ou de vengeance illicite, veulent causer du tort à autrui – toutes actions maléfiques qui par essence ne peuvent s’exercer dans le cadre de la religion.

Voici cher Ami(e)s un petit tour d’horizon des origines Vodùn… nous établiront prochainement les corrélations entre le panthéon Dahoméen et Haïtien.

À tout bientôt

 

Lila Desquiron pour l’Abbaye Doualas / Loray Gwondé Bon Bòkò.

 

 

 

Le vaudou d’Haïti est un syncrétisme, une structure religieuse issue de l’assemblage d’éléments empruntés à plusieurs autres religions. En élaborant ce langage, au coeur même des plantations de Saint-Domingue, les esclaves mirent en lumière ce qu’il y avait de commun aux différentes ethnies brassées par le commerce négrier; il a fallu en effet que s’accomplisse une profonde synthèse entre les différents patrimoines traditionnels des tribus dont les représentants, parqués au hasard des plantations, se trouvaient pour la première fois soumis au même sort.

Par delà la diversité des origines, s’est formée une religion qui témoigne d’une grande unité d’inspiration. En Haïti, il n’existe pas comme au brésil de culte séparés suivant les ethnies inspiratrices: Le vaudou englobe et harmonise en une même structure les alluvions déposées en son sein par les cultures qui l’ont alimenté. Et c’est par cet héritage, pieusement conservé, qu’aujourd’hui encore leur descendants continuent à penser et à exister…

Malgré la variété du paysage ethnique de Saint-Domingue, deux lignes de force dominent la composition des populations réduites en esclavage: d’une part, les peuples de l’ancienne côte des Esclaves et, en particulier, les Dahoméens, qui ont donné au vaudou son cadre général, sa structure; d’autre part, les Bantous d’Afrique centrale qui ont recueilli cette impulsion fondamentale, l’ont enrichie et transformée, et ont été l’affluent le plus considérable de la source dahoméenne.

LE PEUPLEMENT DE SAINT DOMINGUE ET LA NAISSANCE DU VAUDOU

Les esclaves traités à la côte des Esclaves sont désignés dans les registres du temps par plusieurs vocables dont celui d’Aradas, “prononciation corrompue d’Ardra, nom de l’un des royaumes de la côte des Esclaves”.

Plusieurs groupes sont réunis sous ce vocable. L’histoire de la formation du royaume du Dahomey nous apprend que les ethnies dont les prisonniers de guerre furent vendus aux négriers, vu la similitude de leurs cultures, se sont très aisément fondues en une seule entité: “Sous cette expression, on désignait les esclaves venant de l’est du Ghana actuel, du Togo et du Dahomey. Ils avaient presque tous été embarqués sur la côte de Juda, Wuyda, ou Ouida de nos jours, et c’est la communauté de langue (arada) qui, aux yeux des colons, faisait leur unité.”

Parmi les esclaves traités à Ouida, il se trouvait peu de Fons. Les sujets du roi d’Abomey, en effet, ne pouvaient être vendus comme esclaves: “Tout individu, au Dahomey, qui n’était ni noble ni esclave était anato (roturier) (…) parce qu’il était danhoménou (une chose du Dahomey), personne ne pouvait le vendre comme esclave, pas même le Roi.”

Le Roi essayait même le plus souvent de racheter ses sujets faits prisonniers par l’ennemi afin qu’il ne fussent pas vendus aux négriers.

Il se trouvait cependant des Fons parmi les esclaves – mais il s’agissait alors de criminels ou de rebelles que le Roi vendait au lieu de les tuer. Par contre, les Gédévis (fils de Gédé), anciens habitants de la région, furent vendus en bloc par les envahisseurs aux marchands d’esclaves et furent transportés en majorité, semble t’il, en Haïti. Le culte de Gédé a en effet presque disparu à Abomey, tandis qu’en Haïti, c’est une famille  de vodoun des plus importantes. Quatre de leur vodoun sont des divinités importantes du panthéon Haïtien: Azake, Agassou, Bossou, Dossou.

Les premiers esclaves traités à Saint Domingue, ouolofs, toucouleurs, peuls, mandingues, bambaras, avaient été achetés à Saint-Louis au Sénégal. Très appréciés par les colons, il ne furent jamais à Saint-Domingue qu’en nombre restreint, tenus pour de véritables “produits de luxe” que les grands planteurs s’offraient à prix d’or. Ces esclaves étaient en général islamisés. Disons tout de suite, puisque nous n’y reviendrons plus, qu’ils ont laissé des traces dans le Vaudou Haïtien: “Certains groupes de loa proches des Congos et des pétros parlent un langage où se retrouvent des mots, des phrases arabes, ainsi: ‘SALAM! salam Malékoum! Salay! Salam ma SALAY!’ (Loa dits loa sinégal).

À partir de 1777 commence à Saint-Domingue l’âge d’or des Congos. Ils arrivent très nombreux car, dans les vingt dernières années de la traite, les grandes cannaies atteignaient leur plein épanouissement. “On plaçait sous ce nom les esclaves traités au sud du Bénin sur les rivages du Cameroun, de la Guinée espagnole et d’une partie de l’Angola. Quand il s’agissait de vrais congolais, on parlait de francs-Congos. Beaucoup de Congos arrivent baptisés en Amérique: ” Il y a beaucoup de Congos qui ont des idées de catholicités, notamment ceux de la rivière Zaïre. Elles leur sont venus des portugais.” Les Congos du Brésil seront eux aussi christianisés et joueront un rôle actif dans le syncrétisme des religions d’Afrique occidentale avec le catholicisme. Il en fut certainement de même à Saint-Domingue. Face au vide laissé par l’arrachement à la terre originelle, les esclaves durent se trouver un langage commun, se redéfinir en tant que groupe homogène. Ce trait est encore plus évident en Haïti qu’au Brésil, et c’est bien cela qu’en Haïti eut lieu la seule révolte d’esclaves au monde qui ait réussi. Demeure encore au Brésil un clivage assez net entre différents rites ethniques. En Haïti, tous les rituels se sont fondus au sein d’une seule et même religion, qui reste pour le peuple haïtien le facteur d’unité le plus puissant, face au malheur commun: Le vaudou.

LES SOURCES HISTORIQUES DU VAUDOU: LE DAHOMEY (ACTUEL BÉNIN)

On n’insiste généralement pas assez sur ce fait, pourtant décisif: L’harmonisation des différents systèmes religieux africains, dans ce que l’on dira le Vaudou, n’a pu s’accomplir, avec une si étonnante souplesse, que parce que les tribus d’afrique occidentale qui en furent les iniatrices avaient une très vieille pratique de ce genre de démarche.

La côte des Esclaves était une région à “Histoire chaude”. la mémoire des groupes culturels qui formèrent le royaume du Dahomey est hantée par la guerre, les conquêtes, les migrations. Ce mouvement continuel de populations la transforma en creuset bien avant l’arrivée des marchands d’esclaves européens. Ceux-ci ne firent qu’ajouter une motivation de plus  la guerre de conquête commencée par les rois du Dahomey dès le XVIe siècle. Or la religion avait toujours joué au cours de leur histoire un rôle intégrateur: C’est en accueillant les dieux vaincus que les rois du Dahomey avaient ainsi l’habitude de voir le roi “acheter” les divinités qui servaient sa politique.

Une extraordinaire histoire, qui commence avec la migration des Alladahonous, ancêtres des Rois du Dahomey…. Petit groupe de scissionnaires ajas, ceux ci édifièrent par la force des armes l’un des grands royaumes d’Afrique. “On le voit d’abord, horde proscrite, se fixer au milieu des tribus étrangères, s’y créer des alliances, puis, à l’abri de celles-ci et par la force et la ruse, s’étendre comme une tache d’huile, autour du point où il est venu s’échouer. Bientôt, ayant absorbé ses voisins, il dépasse leurs frontières naturelles, fonde un empire (…)” Cette fraction de la tribu aja aurait abandonné Tado (sado), sa ville d’origine à la suite d’une querelle.

Les dissidents étaient dans une telle colère, dit-on, qu’ils ne voulurent plus rien avoir en commun avec ceux qu’ils quittaient. Ils créèrent alors leur propre Vodoun, Ayizan, un vodoun qui devait symboliser à la fois leur exode et un nouveau culte des ancêtres: “Pour marquer le jour de notre départ vers l’inconnu, nous instituons l’Ayizâ, et nous l’adorons désormais.”

C’est également à cette époque que la figure d’Agassou prit toute son importance. Selon la légende, un monstre demi-homme demi-fauve était né des amours d’une femme de la tribu des Ajas et d’une panthère; Il eut lui-même un fils dont la lignée adora la panthère fabuleuse, sous le nom d’Agassou – lignée qui essaya de supplanter les gens de sado dans le commandement de la tribu. Le complot découvert, celle-ci dut fuir, après une lutte au cours de laquelle le roi Sado périt. Dès lors, en exil, elle ne rendit plus de culte à leur ako vodoun et ne reconnut que leur hënnou vodoun (dieu du clan), Agassou, “fondateur miraculeux de leur branche familiale”. Ils arrivèrent à Allada, s’y fixèrent et s’y développèrent au point de supplanter les populations autochtones et prirent le nom d’Agassouvis-Alladas, jusqu’à ce qu’une nouvelle querelle de succession les divisent – une branche partit vers Porto Novo où elle donna naissance à une royauté puissante, l’autre partit vers le plateau d’Abomey et se donna le nom d’Alladahonou (les rois d’Abomey considèrent toujours Allada comme leur berceau, leur lieu d’origine).

Les Alladahonous s’établirent d’abord à Oua Oué, où le culte d’Agassou fut imposé à la population autochtone, tandis que les fils d’Agassou, en contrepartie, adoptaient le Vodoun de Oua Oué, avant que le premier grand roi des Alladahonous, Dako, d’Abomey (vers 1625), entreprenne de conquérir le plateau.

L’unification ne se fit pas trop péniblement marquée par l’intégration de Gédé dans le panthéon, puis de Dan Aïdo Hwèdo, “le seprent arc-en-ciel, un vodun mahi particulier à la tribu des Djinous”. Le plateau d’Abomey conquis, le roi Agadja (vers 1708) ouvrit la route vers le littoral en soumettant le royaume de Savi. C’est ainsi que Dangbé, le serpent de Ouida, entra dans la religion dahoméenne: “Agadja, vainqueur d’un pays où on l’honorait, voulut se ménager sa faveur. Il l’acheta et le fit connaitre au Dahomey.”

Agadja fit également l’acquisition auprès des dassas d’une famille de vodoun qui devait devenir la plus populaire du Dahomey: Sakpata. “Le roi envoya des hommes de confiance chez les Dassas, qui revinrent avec les connaissances nécessaires pour établir au Dahomey le culte Vodoun redoutable.

Puis Hwandjele, mère de Tegbessou qui devait succéder à Agadja, fit preuve de décision pour ajouter le culte de Mawu Lisa: afin d’asseoir l’autorité de son fils, compromise par un autre prétendant au trône, elle se rendit en effet à Ajahomé, son pays natal, chercher le couple céleste, dont elle se fit la prêtresse à son retour. Tegbessou introduisit à son tour le culte d’Hévioso, à la suite d’une longue sécheresse. Il fît tomber la pluie. La légende ajoute que, profitant de ses grands pouvoirs, il fit installer en même temps “le vodun Akolombe  qu’il avait ramené de Djekin.”

L’essentiel du panthéon dahoméen se trouvait ainsi constitué. Dans les temps qui suivirent, le culte se structura, les cosmogonies acquirent de la cohérence, de nouvelles divinités continuèrent à arriver suivant le même processus mais elles devaient rester mineures.

L’AFRIQUE CENTRALE

Le rôle créateur joué pr les Bantous dans l’élaboration du Vaudou n’a guère été étudié jusqu’à présent: il est cependant capital. Certes, les Bantous, ou Congos, n’ont pas modifiés la structure religieuse dahoméenne, mais, en l’adoptant, ils l’ont enrichie d’éléments nouveaux et, parfois, l’ont réinterprétée d’après leur propre culture. Deux facteurs ont contribué à cette assimilation des Congos aux Aradas. Ce que l’on pourrait appeler “le snobisme de la créolisation”, d’abord. Le phénomène a été constaté dans toutes les colonies alimentées par la traite. Il se créait sur les plantations un personnage nouveau, le créole, c’est à dire un hybride culturel. Un groupe fermé se constituait avec ses lois strictes, son étiquette, sa morale, ses sanctions. Les nouveaux débarqués ne rentraient pas de plain-pied dans le groupe d’accueil; les anciens se moquaient d’eux, les traitaient de bossales (barbares). Pour avoir accès à ce monde où ils allaient vivre désormais.

Les nouveaux esclaves devaient se conformer aux valeurs qui y avaient cours. Le baptême était le plus souvent le premier rite de passage exigé. L’accès aux cérémonies vaudoues se faisait par la suite graduellement.

Pour les congos qui débarquaient dans les colonies en ayant été baptisés, en série, sur les rives du Zaïre, la créolisation se faisait donc par l’unique biais de la religion arada.

Le deuxième facteur tient à ce que les seuls rites collectifs des Bakongos étaient des rites liés au groupe clanique: pour eux, il n’existait pas de vie religieuse possible hors du clan. Celui-ci éclaté, il fallait trouver une nouvelle structure permettant de rétablir la liaison  avec l’au-delà: dans la colonie, la religion dahoméenne offrait un cadre collectif à la vie religieuse – la voie d’accès n’était plus la naissance mais l’initiation. Le faste des cérémonies, leur grande théâtralité, la personnalité des grands dieux, le privilège de la transe achevèrent sans doute de fasciner ces hommes et ces femmes qui avaient à combler un vide culturel crucial.

Dans une deuxième partie, nous tenterons de pointer l’influence subtile de la culture Congo sur l’Haïtien contemporain ainsi que la Magie Bantoue dans le Vaudou et hors du cadre religieux en Haïti

Lila Desquiron pour l’Abbaye Doualas / Loray Gwondé Bon Bòkò.

 

 

Pour maitriser la part d’ombre du pouvoir et ne pas être tentés d’en abuser, les chamanes ont besoin d’une cosmologie bien définie, ainsi que de l’appui et des critiques de leur communauté. Avec perspicacité, l’anthropologue  américaine Eleanor Ott pose les questions suivantes: Comment des gens, qui se font appeler “chamanes” et agissent individuellement hors de ce contexte, peuvent-lis pratiquer avec éthique? Et, dans un monde où le tissu communautaire fait place à un réseau d’individus interconnectés à l’échelle planétaire, y a-t-il encore de la place pour les chamanes?

Jusqu’à peu , le chamane était le coeur palpitant de la communauté indigène ou traditionnelle, dont le tissu serré intégrait les règnes de l’esprit, de la matière et du mythe. En sa qualité  de dépositaire d’un savoir et d’une expérience accumulés pendant des générations, le chamane accomplissait des vols extatiques non pour son propre bénéfice ni pour nourrir son développement intérieur, mais pour préserver une relation de réciprocité entre le monde humain et l’autre, le “différent-de-l’humain”, converser avec les esprits et revenir chargé de sagesse et de pouvoirs de guérison. À l’heure actuelle, de nombreux individus qui se sont donné le titre de chamanes n’appartiennent plus à une culture ou à une communauté partageant cette perspective chamanique et se rattachent plutôt à la génération de ceux qui cherchent avant tout à ce trouver eux-mêmes. Ainsi, bon nombre de nouveaux chamanes sont insuffisamment outillés pour pratiquer ou travailler avec des clients qui font appel à eux pour toutes sortes de maux physiques, psychiques et spirituels. Le chamane indigène traditionnel est dépositaire d’une sagesse et d’une expérience culturelles accumulées au fil des générations de guérisseurs et liées à une cosmologie qui donne un sens, non seulement aux maladies, mais aussi aux techniques de guérison chamaniques. Par contraste, bon nombre de nouveaux chamanes n’ont qu’une connaissance très limitée d’une quelconque cosmologie qui pourrait les informer et les encadrer en leur donnant un sentiment d’enracinement et de raison ultime. Ils sont nombreux à n’avoir reçu qu’une formation très sommaire qui, pour certains, n’est que de deuxième ou de troisième main , provenant notamment d’anthropologues autrefois confrontés au chamanisme pendant leur travail sur le terrain ou d’individus qui n’ont eu aucune expérience personnelle directe ou puisée à la source du savoir-faire chamanique. Et, pire que tout peut-être, certains nouveaux chamanes croient que ce genre d’informations ou d’expériences peut être glané dans les livres, sans avoir nullement recours à un maître en chair et en os. Tout cela a pour effet que les nouveaux chamanes se retrouvent coupés de toute communauté conceptuelle ou contextuelle disposant d’une vision du monde intégrée et d’un mythos.

Cette absence de contrôles et de mécanismes d’équilibre, de soutien et de critiques  qu’une communauté donnée fournit au chamane présente un problème éthique sérieux. Elle contraint les nouveaux chamanes à faire appel à certaines traditions chamaniques – telles que les pratiques visant à soigner les troubles physiques, de la pensée ou de l’esprit -, hors du contexte qui, autrefois, informait et rattachait le chamane à sa communauté culturelle. Ces nouveaux chamanes, à vrai dire, se trouvent en dehors de toute tradition bien établie. Et ce même isolement qui est à l’origine de bon nombre des problèmes qu’ils rencontrent. Cette remarque vaut tout particulièrement pour les questions éthiques qui, pour être résolues, doivent être replacées dans la perspective d’un contexte culturel spécifique (…)

Bien qu’un spécialiste de l’envergure de Mircea Éliade applique le terme de chamane de manière plus ou moins indifférenciée à quiconque entreprend des “vols magiques” et “qui est le spécialiste d’une transe pendant laquelle son âme est censée quitter son corps pour entreprendre des ascensions célestes ou des descentes infernales”, ce dernier ajoute cette remarque essentielle, dont nous aurons avantage à nous à nous souvenir:

“Quant aux techniques chamaniques de l’extase, elles n’épuisent pas toutes les variétés de l’expérience extatique attestées dans l’histoire des religions et l’ethnologie religieuse; on ne peut donc pas considérer n’importe quel extatique comme un chamane.”

Une telle définition nous offre-t-elle une image claire de qui est le chamane et de ce qu’il fait concernant la transe et le vol magique? Non, et c’est bien là la question: nous ne sommes pas confrontés à une, mais à plusieurs images, vi l’incroyable richesse et la diversité des expériences culturelles enregistrées dans le monde, ce qui rend l’application du terme chamane à la fois facile et problématique. Problématique, parce qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer lesquels, parmi les différents praticiens d’une société données sont des chamanes ou plutôt des guérisseurs, des rêveurs, des sorcières et des sorciers, des prêtresses et des prêtres par exemple. Les délimitations de ces différentes catégories diffèrent suivant les peuples considérés. Facile, parce que le terme “chamane” peut ainsi être aisément appliqué, comme on enfilerait un chandail usagé, sans pour autant se justifier.

Malgré le frein mis par les spécialistes, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, usurpé par l’imagination et le marché populaires, le terme “chamane” est appliqué par surimposition à toutes sortes d’individus qui n’ont pas ou plus grand chose à voir avec le chamane traditionnel d’une quelconque culture. Vu l’inexistence d’une communauté qui reconnaisse les nouveaux chamanes comme une partie intégrante de la culture, qu’est-ce qui permet alors à ces gens de s’accorder ce titre, à part le simple fait qu’ils se le sont donné eux-même? Ce qui nous amène à nous poser la question relative aux types de techniques et de pratiques que le nouveau chamane est en mesure de mettre en oeuvre, et à la manière dont il évite les problèmes d’inflation de l’égo, de soif de pouvoir, de cupidité et autres questions pouvant se poser sur le plan psychologique pour tester son intégrité. (…)

Ceux qui cherchent à manipuler le monde quotidien, ordinaire, en s’immisçant dans le monde des esprits pour en rapporter des pouvoirs terrestres supplémentaires risquent autant d’être confrontés à des esprits maléfiques qu’à des entités bénéfiques. Oserions-nous douter d’une telle éventualité? Frank Speck nous a pourtant rendus attentifs au fait que, chez les penoscot, le mede’olinu, le mede’olinas.kwe est “accrédité du pouvoir de tuer ou de blesser les créatures pointant le doigt contre elles”. La capacité d’effectuer ces travaux maléfiques prend sa source du côté obscur du monde des esprits, auquelon peut aussi être confronté pendant la transe et qu’on peut invoquer si on cède au désir de faire le mal. Tout comme il peut être motivé à travailler avec les esprits qui donnent un pouvoir pour le bien d’autrui, le pouvoir qui guérit, il arrive également que le chamane soit possédé de l’envie de s’assurer un pouvoir sur les autres, celui qui blesse.

Examinons la question de plus près: le pouvoir est dirigé par la volonté propre du chamane vers le mal ou le bien. En ce sens, le pouvoir, qui est neutre en lui-même, peut être mis à disposition du chamane, qui le modèlera selon son intention, son désir, sa motivation, ses instincts ou sa volonté personnels. Ainsi, tout particulièrement lorsqu’il ne peut s’appuyer sur la vigilance de sa communauté, le chamane aura davantage de difficulté à garder un coeur pur face aux questions de pouvoir. Le fait que le demandeur reçoive des informations ou des conseils du monde des esprits pour agir d’une certaine manière ou faire quelque chose de particulier ne justifie ni ne garantit nullement, en soi, que cette action sera forcément bien intentionnée. Toutes sortes d’esprits sont prêts à guider ceux qui se tournent vers leur monde. Quant à savoir quels esprits entrent en contact avec celui ou celle qui recherche leur contact. Ce n’est donc que lorsqu’il maitrise parfaitement la cartographie du mythe de la communauté que le chamane peut distinguer ces différents esprits et comprendre la signification ou la vraie nature des messages délivrés.

La personne qui s’adresse aux esprits doit être capable de discerner la bonne information de la mauvaise. Ce qui importe, ici, c’est le but et la raison motivant la recherche d’un contact avec les entités spirituelles. Selon Éliade, le chamane est capable de communiquer avec les esprits de l’autre monde “sans pour autant se transformer en leur instrument”. Ce à quoi il nous faut ajouter que le chamane est capable, dans un premier temps, d’identifier qui sont les esprits répondant à l’appel du tambour, puis, dans un deuxième temps, de ne pas être séduit ni possédé par eux. La possession par des esprits pendant la transe se produit même chez les chamanes, mais le signe distinctif principal du chamane est qu’il ou elle est capable d’être à cheval sur deux mondes, ici-bas et dans l’autre monde simultanément.

La question de savoir quel type d’esprit décide de parler au praticien ne se pose pas quand la personne est disciplinée, consciente des dangers, qu’elle connait clairement ses motivations personnelles sous-jacentes et qu’elle fait attention à qui sont les esprits qui répondent.

Le problème est, par contre, davantage susceptible de se présenter lorsque le praticien oublie ou ignore la discipline et qu’il relâche sa vigilance. Dans ces circonstances, la personne risque de ne pas être consciente de combien il est difficile de reconnaitre ou d’admettre que l’esprit visiteur n’est peut-être qu’une projection de son propre monde intérieur et non pas une vision authentique recueillie lors d’un voyage extatique dans le monde des esprits. Consciemment ou inconsciemment, chacun d’entre nous peut être suffisamment dupe pour penser ou croire avec complaisance ce qui sert ses propres fins.

Sans cartographie du mythe culturel et contextuel auquel il appartient, comment le praticien pourra-t-il évaluer ce que le prétendu monde des esprits manifeste? Comment pourra-t-il savoir s’il s’agit de la chose véritable et non pas d’un désir pris pour la réalité ou de la réalisation d’un désir personnel? Ce n’est qu’en s’armant de vigilance et d’une discipline constante pour examiner honnêtement ses propres motivations et faire le jour sur ses désirs de pouvoir et de contrôle les plus profonds que le praticien pourra triompher de sa propre ombre.

À l’heure actuelle, où se trouve la communauté qui veillerait sciemment sur ce que font le magicien, le chamane, et qui serait capable et prête à lui tendre le miroir de la critique et de la censure?

Peut-être les nouveaux chamanes devraient-ils examiner s’il est véritablement important et fondé de s’appeler chamanes pour pratiquer les éventuelles techniques qu’ils auraient maîtrisées pour le bien de leur prochain. Une telle démarche pourra bien être appropriée pour la poignée d’individus qui ont la volonté et la capacité de s’engager à vie dans la discipline requise. Pour la plupart des autres, par contre, le manteau du chamane n’est qu’un vernis, un revêtement extérieur, qu’ils mettent et enlèvent quand bon leur semble. Il serait mieux, et plus honnête de se penser et de se nommer par un autre nom, qui ne comporterait pas le poids et la responsabilité du terme “chamane”. Toutefois, quel que soit le titre qu’on décide de porter, des questions subsistent sur le plan éthique. Dès qu’on estime être en contact avec des esprits et des pouvoirs de l’autre monde, le monde qui peut être contacté par la transe, alors on assume, pour le moins, la responsabilité d’agir avec une éthique claire. (…)

Les nombreux rôles du chamane d’autrefois ne pourront plus jamais être joués dans toutes leur variations, le monde étant trop changé et altéré. Cependant, certains aspects de l’ancien travail chamanique sont toujours valables aujourd’hui, parce que tous les humains ont fondamentalement besoin de pourvoir à la nourriture et au bien être du corps, de la pensée, et de l’esprit. Aussi longtemps que ces aspect de vie demeureront éphémères et incertains, il y aura toujours une place pour celui ou celle qui a le pouvoir de soulager les maladies, les douleurs et les insécurités qui accablent les humains. Le défi qui attend le chamane d’aujourd’hui, s’il faut vraiment qu’il y ait des nouveaux chamanes, est de préserver un équilibre stable sur le plan de son éthique, dépourvu de toute illusion personnelle, ce qui requiert sagesse, savoir, ainsi qu’un engagement à vie vis-à-vis de cette responsabilité écrasante. peut-être certains y parviendront-ils. Quant aux autres, il est préférable qu’ils mettent leur capacités à profit de manière plus limitée mais tout aussi effective, comme ce sera le cas pour les docteurs, les psychothérapeutes, les enseignants, les artistes, les écrivains, les prêtres, bref, tous ceux pour lesquels la relation avec le monde des esprits est essentielle à l’accomplissement de leurs activités. pour ces derniers, par contre, le titre de chamane est non fondé et non nécessaire. (…)

Par le passé, le chamane se trouvait au centre d’une petite communauté au tissu serré, qui s’imaginait être au centre du monde. Aujourd’hui, aucun peuple ne peut plus s’offrir ce luxe, chacun étant interconnecté à l’autre quel que soit l’endroit de la planète. S’ils peuvent encore exister, les chamanes d’aujourd’hui doivent don s’affranchir de la vue ethnocentrique, limitée et bien circonscrite du passé, transcender toutes les barrières nationales, culturelles et ethniques, pour regarder le monde entier comme leur lieu d’attache. Le terme chamane n’est peut-être plus à même de supporter la signification additionnelle de celui ou celle qui se rattache à la communauté planétaire et dont la mission est de s’engager à guérir le monde.

Dans son livre La pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss, le maitre de la dialectique en anthropologie, place la magie, qui inclut le chamanisme, au même niveau intellectuel que la science…

Au lieu d’opposer magie et science, il vaudrait mieux les mettre en parallèle, comme deux modes de connaissance, inégaux quant aux résultats théoriques et pratiques (car, de ce point de vue, il est vrai que la science réussit mieux que la magie, bien que la magie préforme la science en ce sens qu’elle aussi réussit quelquefois), mais non par le genre d’opérations mentales qu’elles supposent toutes deux, et qui diffèrent moins en nature qu’en fonction des types de phénomènes auxquels elle s’appliquent.

Ces relations découlent, en effet, des conditions objectives où sont apparues la connaissance magique et la connaissance scientifique. L’histoire de cette dernière est assez courte pour que nous soyons bien informés à son sujet; mais que l’origine de la science moderne remonte seulement à quelques siècles pose un problème auquel les ethnologues n’ont pas suffisamment réfléchi; le nom de paradoxe néolithique lui conviendrait parfaitement.

C’est au néolithique que se confirme la maîtrise, par l’homme, des grands arts de la civilisation: poterie, tissage, agriculture et domestication des animaux.

Nul, aujourd’hui, ne songerait plus à expliquer ces immenses conquêtes par l’accumulation fortuite d’une série de trouvailles faites au hasard, ou révélées par le spectacle passivement enregistré de certains phénomènes naturels.

Chacune de ces techniques suppose des siècles d’observation active et méthodique, des hypothèses hardies et contrôlées, pour les rejeter ou pour les avérer au moyen d’expériences inlassablement répétées (…)

Pour transformer une herbe folle en plante cultivée, une bête sauvage en animal domestique, faire apparaitre chez l’une ou chez l’autre des propriétés alimentaires ou technologiques qui, à l’origine, étaient complètement absentes ou pouvaient à peine être soupçonnées; pour faire d’une argile instable, prompte à s’effriter, à se pulvériser ou à se fendre, une poterie solide et étanche (mais seulement à la condition d’avoir déterminé, entre une multitude de matières organiques et inorganiques, la plus propre à servir de dégraissant, ainsi que le combustible convenable, la température et le temps de cuisson, le degré d’oxydation efficace); pour élaborer les techniques, souvent longues et complexes, permettant de cultiver sans terre ou bien sans eau, de changer des graines ou racines toxiques en aliments, ou bien encore d’utiliser cette toxicité pour la chasse, la guerre, le rituel, il a fallu, n’en doutons pas, une attitude d’esprit véritablement scientifique, une curiosité assidue et toujours en éveil, un appétit de connaitre pour le plaisir de connaitre, car une petite fraction seulement des observations et des expériences (dont il faut bien supposer qu’elles étaient inspirées, d’abord et surtout, par le goût du savoir) pouvaient donner des résultats pratiques, et immédiatement utilisables. Encore laissons-nous de côté la métallurgie du bronze et du fer, celle des métaux précieux, et même le simple travail du cuivre natif par martelage qui a précédé la métallurgie de plusieurs millénaires, et qui tous exigent déjà une compétence technique très poussée.

L’homme du néolithique ou de la protohistoire est donc l’héritier d’une longue tradition scientifique; pourtant, si l’esprit qui l’inspirait ainsi que tous ses devanciers avait été exactement le même que celui des modernes, comment pourrions-nous comprendre qu’il se soit arrêté, et que plusieurs millénaires de stagnation s’intercalent comme un palier, entre la révolution néolithique et la science contemporaine? Le paradoxe n’admet qu’une solution: c’est qu’il existe deux modes distincts de pensée scientifique, l’un et l’autre fonction, non pas certes de stades inégaux du développement de l’esprit humain, mais des deux niveaux stratégiques où la nature se laisse attaquer par la connaissance scientifique: L’un approximativement ajusté à celui de la perception et de l’imagination, et l’autre décalé; comme si les rapports nécessaires, qui font l’objet de toute science – qu’elle soit néolithique ou moderne –, pouvaient être atteints par deux voies différentes: L’une très proche  l’intuition sensible, l’autre plus éloignée.

 

L‘anthropologue américain Michael F.Brown a effectué des recherches sur les pratiques magiques des Jivaro Aguaruna d’Amazonie péruvienne. Il a ensuite passé une année à Santa Fe (Nouveau Mexique), où il s’est trouvé confronté à des personnes appliquant certains éléments du chamanisme, tout en négligeant délibérément son côté obscur, de façon à intégrer cette pratique dans leur vie de citoyens modernes.

Bonne lectures les Ami(e)s.


Les chamanes, qu’on rencontre dans toutes les sociétés de la planète, sont réputés communiquer directement avec les esprits pour soigner les malades. Les anthropologues aiment bien rappeler à leurs étudiants que c’est le chamanisme, et non pas la prostitution, qui constitue le plus vieux métier du monde. Lorsque, jouant mon rôle d’ethnographe curieux, j’ai demandé aux habitants de Santa Fe pourquoi ils s’intéressaient à cette forme de soins exotique, ces derniers m’ont dit admirer la beauté de la tradition chamanique, la capacité qu’ont les chamanes de “se brancher sur les pouvoirs de guérison intérieurs”, et la supériorité des traitements spirituels par rapport à la pratique médicale impersonnelle de notre société. Il y a quinze ans, je me serais rallié à ces vues romantiques. Mais mes deux années de recherche sur le terrain parmi une peuplade amazonienne m’ont appris que le métier de chamane n’est pas sans comporter certains périls.

Un homme que j’appellerai Yankush est un chamane réputé chez les Aguaruna, un peuple indigène de la forêt tropicale au nord-ouest du Pérou. Craints autrefois comme chasseurs de têtes, les Aguaruna investissent aujourd’hui une énergie considérable dans des cultures qui leur rapportent de l’argent et la défense de leurs terres contre l’invasion des colons fuyant la pauvreté des hauts plateaux péruviens et des régions côtières.

Yankush est un homme vigoureux d’âge moyen, connu pour son esprit subtil et son rire facile. Comme tout homme en bonne santé de son village, Yankush travaille dur pour nourrir sa famille des produits de la chasse et de la pêche et aide sa femme à cultiver leur champs. Mais, lorsqu’un parent ou un ami tombe malade, il assume alors son rôle d’iwishin — Chamane —, pour diagnostiquer la cause du problème et ensuite, si possible, extirper la racine du mal du corps du patient.

Comme la plupart des peuples qui ont su préserver leur tradition chamanique, les Aguaruna croient que toute maladie potentiellement mortelle est infligée par des sorciers. Les sorciers sont des gens ordinaires, qui, aiguillonnés par la malveillance ou l’envie, introduisent secrètement des fléchettes-esprit dans les corps de leurs victimes. Si la fléchette n’est pas immédiatement extraite par un chamane, la victime décède. Souvent, le chamane décrit cette fléchette magique comme un morceau d’os, une minuscule épine, une araignée ou un brin d’herbe.

Les Aguaruna ne considèrent pas la sorcellerie comme une composante pittoresque et originale de leur savoir traditionnel; à leurs yeux, il s’agit, ni plus ni moins, d’une tentative de meurtre. Le fait que la preuve de l’ensorcellement ne puisse être décelée que par le chamane ne diminue en rien la croyance des personnes ordinaires en la réalité du travail du sorcier, de même qu’il ne nous vient pas à l’esprit de remettre en cause l’existence des virus sous prétexte que nous ne pouvons pas les voir à l’oeil nu. Les Aguaruna mettent donc un point d’honneur à ce que, une fois découverts, les sorciers soient mis à mort pour le bien de la société.

On pourrait croire que le chamane et le sorcier sont les protagonistes d’une lutte opposant distinctement le bien au mal, l’ordre au chaos, mais les choses ne sont pas aussi simples que cela. En effet, le chamane et le sorcier tirent tous deux leur pouvoir de la même source, tous deux recevant leurs fléchette-esprit d’un instructeur réputé. Comme les fléchettes cherchent à regagner leur propriétaire initial, les apprentis chamanes et les sorciers doivent s’efforcer de les faire rester dans leur corps en se purifiant, raison pour laquelle ils s’isolent des mois durant dans la jungle, jeûnant et pratiquant l’abstinence sexuelle. C’est en luttant contre les terrifiantes apparitions qui viennent hanter leurs rêves qu’ils se forgent une cuirasse qui les protègera dans les combats spirituels qu’ils mèneront toute leur vie.

C’est ici que les pistes du sorcier et du chamane se séparent: le sorcier travaille dans le secret, utilisant ses fléchettes pour infliger des souffrances à ses ennemis, tandis que le chamane travaille au vu et au su de tout le monde, tirant parti de ses propres fléchettes pour déjouer les plans du sorcier qui cherche à provoquer la douleur et la mort prématurée. (Je dis “il”, car, à ce que je sache, tous les chamanes Aguaruna sont des hommes. Parfois il arrive néanmoins qu’une femme soit accusée de sorcellerie) Cependant, vu que le chamane possède lui aussi des fléchettes magiques, qui donnent également le pouvoir de tuer, il est parfois difficile d’opérer une distinction claire entre le sorcier et le chamane.

Le rôle ambigu du chamane s’est révélé à moi lorsque j’ai participé à une séance de soins dans la maison de Yankush. Les patients en question étaient deux femmes: Yamanuanch, qui se plaignait de vives douleurs à l’estomac et à la gorge, et Chapaik, qui ressentait des douleurs diffuses dans le dos et le bas-ventre. Même si leurs maladies ne semblaient pas mettre leur vie en danger, elles étaient suffisamment persistantes pour laisser planer des doutes quant à l’implication éventuelle d’un sorcier dans les malheurs des deux femmes.

Lorsque la nuit tomba, les patients et leurs familles attendaient que Yankush entre en transe suite à l’ingestion, avant le coucher du soleil, d’une amère décoction au pouvoir hallucinogène. Tandis que les visiteurs bavardaient et échangeaient des potins, Yankush était assis face au mur de sa maison, sifflant des mélodies de guérison et agitant un bouquet de feuille sen guise d’éventail et de souple hochet. Puis, abruptement, il dit aux deux femmes de se coucher sur les feuilles de bananier qui avaient été étendues sur le sol, afin qu’il puisse utiliser ses pouvoirs visionnaires pour examiner leurs corps à la recherche de minuscules points de lumière, qui constituent la marque révélatrice des fléchettes du sorcier. Son intoxication augmentant, Yankush mit un terme à ses mélopées méditatives sous l’effet de violents hauts-le-coeur. Parvenant néanmoins à garder le contrôle, il se mit à sucer bruyamment le corps de ses patientes pour en extraire les fléchettes.

Les membres des familles des deux patientes criaient des mots d’encouragement et de sympathie: “les autres savent que tu es en train de soigner. Ils peuvent te blesser, fais attention!”, avertit l’un des spectateurs, faisant allusion aux travaux des sorciers que le chamane essayé de contrer. Terriblement angoissé, le mari de Chapaik dit à l’assemblée: “Qui a lancé ce sort? Si ma femme meurt, je pourrais tuer n’importe qui par colère!” Parmi les exclamations d’encouragement qu’ils lançaient à Yankush, les participants exprimaient leur haute considération pour le travail du chamane, qui, à ce moment donné, se tordait sous l’effet des nausées causées par la drogue.

Tout à coup, l’atmosphère changea radicalement. Une femme nommée Chimi cria avec agitation: “Si il y a encore la moindre fléchette une fois qu’elle sera rentrée à la maison, ils pourront dire que Yankush les a mises là. Alors enlève-les toutes!”

Les propos de Chimi étaient étonnamment tranchants, traduisant l’ambivalence implicite qui sous-tend les relations que les chamanes aguaruna entretiennent avec leurs clients. Comme les chamanes contrôlent les fléchettes-esprit, les gens craignent que le chamane soit tenté d’utiliser le prétexte des soins pour ensorceler ses propres clients à des fins personnelles. C’est la raison pour laquelle les clients rappellent au chamane qu’ils escomptent des résultats — en l’absence de tels résultats, le chamane risque donc d’être suspecté de sorcellerie et puni en conséquence.

Yankush est un guérisseur si talentueux que la menace ne l’ébranla guère. Il poursuivit ses succions bruyantes sur le cou de Yamanuanch pour la guérir de ses maux de gorge et, après avoir chanté à propos des fléchettes ensorcelées qui s’étaient fichées dans son corps, il annonça qu’elle guérirait. En guise de précaution il prescrivit des injections d’un antibiotique vendu dans le commerce. Yankush se donna également la peine d’insister sur l’intensité de l’intoxication.  Le fait qu’il accepte les rigueurs d’une forte dose d’ayahuasca est un signe de sa bonne foi de guérisseur. “Ne dites pas que je n’étais pas suffisamment intoxiqué”, rappela-t-il aux participants.

En même temps qu’il intensifiait ses chants et agitait son hochet plus énergiquement, Yankush se mit à visualiser des évènements se déroulant dans des villages lointains. Tout à coup, il cria: “A Achu, ils ont tué une personne. Un sorcier a été tué.” “Qui est-ce que ça pourrait être?” se demandèrent les participants. Mais avant qu’ils aient eu le temps d’y réfléchir, Yankush s’était déjà consacré à d’autres tâches.

(…)

Pendant l’année que je passai aux côtés de Yankush, il pratiqua des séances de guérison comme celle que je viens de décrire environ deux fois par mois. Je finis par comprendre que sa pratique n’était que partiellement le résultat de son choix. Pour ne pas éveiller les soupçons et démontrer qu’il était guérisseur de bonne foi, il se sentit obligé d’accepter des cas qu’il aurait autrement refusés. Malgré cela, cependant, il arriva que des gens d’autres villages où j’étais en visite me demandent comment je pouvait vivre dans une communauté où un “sorcier” pratiquait de façon régulière.

Lorsque, en 1976, un ancien respecté décéda subitement sans motif apparent, des pressions incroyables furent exercées à l’encontre de Yankush pour qu’il identifie le sorcier responsable. Ses visions sous ayahuasca lui indiquèrent le nom  d’un jeune homme habitant une région lointaine, qui se trouvait en visite dans un village voisin. IL ne fallut pas plus de quelques jours pour que l’homme en question soit mis à mort. La rumeur selon laquelle Yankush avait déniché le sorcier s’étendit, et il devient la cible potentielle d’un raid de représailles des membres de la famille du jeune homme. En acceptant ce genre de risque pour protéger sa communauté d’éventuels actes de sorcellerie, Yankush était certes à asseoir son prestige social, mais la tâche représentait aussi un fardeau. Je l’ai rarement vu quitter sa maison sans emporter un fusil de chasse chargé.

Si j’attire l’attention sur les aspects violents et sous jacents du chamanisme, ce n’est pas dans l’idée de dénigrer les soins traditionnels des Aguaruna ni d’aucun autre peuple. À mes yeux, en effet, il ne fait nul doute que le drame cathartique auquel j’ai pu assister dans la maison de Yankush a permis aux deux patientes de se sentir mieux. Les anthropologues spécialisés dans le domaine médical conviennent, en effet, que les rituels qui mettent en jeu des expressions de soutien et d’empathie communautaires à l’égard des malades aboutissent souvent à une amélioration notable de leur bien-être. Les chamanes servent aussi leur communauté en leur administrant différents remèdes, dont des préparations à base de plantes; il leur arrive également, comme ce fut le cas pour Yankush, de combiner des pratiques traditionnelles avec le recours aux pharmaceutiques modernes. Dans le même temps, toutefois, ces pratiques contribuent à maintenir en vie la croyance en la sorcellerie, avec son lourd tribut d’angoisse et, parfois, de vies humaines.

Dans leurs tentatives de comprendre le côté obscur du chamanisme, les anthropologues ont étudié comment cette tradition et les accusations de sorcellerie définissent les structures de pouvoir et de contrôle locales. Par les règles et les sanctions qui s’y rattachent, la croyance en la sorcellerie peut, par exemple, permettre de pallier certaines lacunes dans les sociétés qui ne comportent pas de forces de police, de lois écrites ou de système judiciaire formel. Elle aide aussi les individus à trouver une cause à leurs malheurs et nourrit les religions qui établissent un lien entre les humains, le monde des esprits et la forêt tropicale.

Ce qui me semble troublant, par contre, c’est que l’Amérique du New Age cherche à embrasser le chamanisme sans aucunement en apprécier le contexte: pour certains de mes pairs de Santa Fe, le savoir Tribal s’apparente à un supermarché où ils vont choisir certains types de friandises au détriment des autres. (…) A leurs yeux, la discipline à laquelle Yankush se soumet pendant toute sa vie n’est rien de plus qu’un ensemble de techniques de développement personnel, n’entretenant aucun lien avec un contexte spécifique.

Ainsi, bien qu’ils aient raison d’admirer la tradition chamanique, les enthousiastes du New Age en omettent certaines rudes vérités, lorsqu’ils ne voient en cette pratique qu’une alternative à nos protocoles de soins occidentaux. Dans le monde entier, en effet, les chamanes se considèrent comme guerriers aux prises avec les ombres qui peuplent le coeur de l’homme. Le chamanisme affirme la vie, mais il sème aussi violence et la mort. La beauté du chamanisme n’a d’égal que son pouvoir —et, comme toutes les formes de pouvoir social, il génère son lot de mécontentement et de malaise.

Depuis un certain temps, la communauté Hoodoo s’agrandit et cette notion de magie des Lampes à Huile qui l’accompagne s’étend sur le vieux continent. En ma qualité de Bòkò, je ne peux que me réjouir de cela.

Tout au long de l’histoire, le feu a captivé l’humanité, c’est une forme d’énergie pure et ambivalente, une puissance qui peut créer de la chaleur, transformer les ténèbres en lumière ou bien détruire toute une forêt. La présence divine ressentie dans le feu a été reconnue et embrassée aussi longtemps que l’humanité l’a tenu comme un cadeau sacré. Selon le mythe Grec, le feu fut donné à l’homme par les Dieux, pris par Zeus comme punition, et libéré par le Titan Prométhée.

Cet outil important transporte tant de pouvoir que sans lui la vie humaine cesserait d’exister. Il est purificateur, il est le lien direct avec les hautes sphères, il est un véhicule d’intention.

Dans les traditions Celtes, Aztèques, Amérindiennes, Mayas, Africaines et j’en passe, tout s’accorde à dire que le feu est l’incarnation du Grand Esprit, rattaché à la source et que ce dernier possède sa conscience propre. Un confrère qui m’est cher précise également que le Feu outre le fait d’être relié à l’énergie primordiale relie cette dernière à notre feu intérieur.  Les Lakota le nomme “Tunkashila”, les Aztèques “Huehueteotl”… Sa présence dans les pratiques Magico-Religieuses est effective depuis des millénaires.

Alors quid des lampes Magiques à huile?

Peu de temps après que la civilisation ait commencé à s’épanouir, les premières lampes à huile ont commencé à apparaitre. Ces lampes ont illuminé l’obscurité et ont porté une signification spirituelle profonde. Avec le temps, le but religieux des lampes a commencé à croitre. Dans la plupart des cultures et des foyers, des lampes étaient allumées sur les autels en l’honneur des dieux ou des esprits à différents moments de la journée, par exemple à l’aube pour saluer le soleil, au crépuscule pour percer les ténèbres, ou maintenu perpétuellement pour représenter la continuité de la vie, de la famille ou de la communauté. La prière et la dévotion commencent généralement lorsque l’on allume la lampe. C’est souvent le privilège sacré du patriarche de maintenir la lampe allumé et de réciter les prières sacrées. Une simple prière à la lampe domestique, représentant les dieux ou l’esprit peut être:

“Je prie devant cette lampe sacrée, dont la lumière est la plus parfaite des représentation de l’esprit de (nom de la déité ou de l’esprit), qui perce dans les ténèbres et révèle tous les secret cachés, grâce auxquels la bénédiction divine est accordée. Salut à toi, O^(nom de la déité ou de l’esprit)”

Dans le monde d’aujourd’hui, on peut voir de plus en plus d’autels ornés de lumière électrique ou artificielle et il est à notre sens important de faire la distinction entre une lumière sacrée comme une lampe à huile, et une lumière décorative comme une ampoule électrique.

Dans le cadre de leur conception chaque éléments d’une lampe à une représentation sacrée et une signification spirituelle. Les huiles ont longtemps été recherchées comme outil primordial, offert aux dieux et aux esprits, ointes sur les objets de dévotion et les objets de l’art mais également utilisées comme condensateur ionique. Dans les lampes, l’huile peut signifier le monde physique, le plan matériel, et l’imperfection humaine. Le feu représente le divin, l’énergie primordiale, notre foi, nos Dieux et nos Esprits. C’est une manifestation physique de l’énergie. La mèche représente le lien entre le physique et le divin, attirant le monde physique vers elle et la destination finale de tout ce qui existe.

LA PUISSANCE DES LAMPES À HUILE MAGIQUES:

Les lampes à huile traditionnelles ont été utilisées partout dans le monde, à travers les temps et à de nombreuses fins, comme lumière de dévotion ou magie puissante et efficace.

Les temps anciens ont utilisé les lampes à huile et les torches, puis les bougies ont représenté la magie dans une forme plus raffinée dès les premiers temps. Mais la lampe était de loin le moyen le plus sophistiqué d’éclairage et devenait omniprésente dans la majeur partie du monde méditerranéen à la fin du premier millénaire avant J.C.

Une lampe est essentiellement un récipient qui contient un combustible et un endroit où la mèche peut brûler. Cette simple exigence a évolué à partir d’un fourneau ouvert, quelquefois une coquille ou une roche sculptée, où la mèche reposait sur le bord d’un dispositif très efficace dans lequel le réservoir de carburant et la buse étaient fermés et décorés.

L’huile d’olive semble avoir été le carburant le plus populaire pour les lampes dans le bassin méditerranéen, bien que d’autres types d’huile aient également été utilisées, mais cette dernière reste également le principe d’onction primordiale lorsque son procédé de conception respecte certaines règles. Les mèches ont besoin  d’une capacité importante d’absorption et peuvent être fabriquées à  partir de matériaux tels qu’un linge, du papyrus et d’autres matières fibreuses. Les lampes pouvaient effectuer une variété de fonctions: En plus d’une utilisation domestique quotidienne ou commerciale, les lampes peuvent être utilisées à des fin de magie.

À travers les âges, de nombreuses incantations ont impliqué les lampes, vecteurs de l’intention lancée dans l’ether… Aujourd’hui encore, les lampes à huile magique sont utilisées dans la Hodoo, dans le Vodou Haïtien ainsi que dans pléthore de système de croyance.

En pays Ayiti, ces dernières sont conçues avec les fameuses chaudières trois pieds et servent à accompagner les demandes faites aux lwas… le contenu des chaudières sera varié mais en majeur parti du temps basé sur un mélange de racines, d’herbes et bien d’autres curiosités en correspondance avec soit la demande, soit la déité invoquée.

L’efficacité de cette démarche n’est plus à prouver et aussi longtemps que les traditions continueront d’être perpétuées, les flammes des lampes continueront d’éclairer nos nuits et nos journées.

Ayibobo.

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