Dans le nuit du 04 au 05 Janvier 2018 nous avons perdu, une Manbo, un anthropologue de renom, une Soeur mais également une Amie.

Rachel Beauvoir-Dominique fût de tout les combats pour défendre la culture, le patrimoine et les valeurs d’Haïti. Une personne inspirée et inspirante qui fût également me concernant une sage conseillère, une confidente… Je ne pouvais passer outre un modeste hommage et quoi de mieux que de vous partager, en ce matin ou le chagrin se mêle à l’espoir de voir l’énergie qui l’habitait aller dans l’eau pour rejoindre les ancêtres bienveillants, la première partie d’un article écrit de sa main pour l’abbaye doualas.

Bonne lecture les Ami(e)s.

Dans la vallée de Marbial, non loin de la ville de Jacmel, dans le sud -est des Caraïbes, un vieil Houngan du nom de Charbonnière, renommée pour sa grande sagesse, vécut les derniers mois de sa vie durant le Déchoukaj (déracinement). Voyant arriver la mort et le moment de son départ pour Ginen (La terre des ancêtres et l’ultime destination), il prononça de nombreuses paroles, dont la suivante: “le Ginen est un vent. Qu’ils brûlent les tambours, qu’ils détruisent les temples: les arbres restent debout, le ciment demeure abondant. Tout peut être remplacé. C’est comme le vent: Il va et il vient, jamais le même.”

Le vénérable étirait ensuite le son “vaudoun” pour lui prêter à la fois plus de légèreté et plus de profondeur. Le mot dans sa bouche se transformait en vent. Le mot dans sa bouche se transformait en vent. Vaudoun: un vent qui ne peut être déraciné. De nos jours, il est d’usage d’orthographier “vaudou” le terme qualifiant la religion traditionnelle du peuple haïtien. Ce qui ne résout pas la transcription de phonèmes relevant, jusqu’à il y a peu, d’une langue exclusivement orale. Écrire “Vaudoun” plutôt que “vaudou” permet en fait d’élargir le concept et, comme charbonnière, de ne pas se contenter d’invoquer un système religieux mais aussi l’expérience même du vaudoun, sa présence au quotidien: vent, son, souffle. L’indicible, l’instable. La non-parole, le non écrit, le non-discours. Le contre-discours.

Contrairement au langage soumis à la syntaxe et à des usages figés, on a affaire ici à un flux d’images et de métaphores qui se caractérisent par leur spontanéité. Un mode d’expression qui, à certains moments de l’histoire, en certains lieux, a engendré des manifestations d’une tout autre nature. Les rituels visant à ordonner la vie sociale correspondent au niveau occulte d’une réalité magique où l’idéologie trompeuse de la séparation des sphères s’efface. Seule s’affirme la globalité – politique, économique, culturelle – liée à un système soit de libération, soit d’oppression. C’est ce domaine qu’explore la magie du Vaudoun.

Nul n’est à même de sonder les réseaux de significations forgés depuis la nuit des temps par ces peuples en lutte. En revanche, il nous est possible d’explorer des facteurs concrets ayant contribué à la création du système de symboles dynamiques tel qu’il se manifeste dans les arts vaudoun. On se concentrera en particulier sur la dynamique de la transformation, des tensions intérieures et des structures fondatrices de l’action qui constituent l’essence du temps présent: la logique des puissances invisibles. Émanations subversives, explosions latentes.

KALFOU, GRAN BWA, SIMITYÈ: LES TROIS STATIONS DE LA MAGIE VAUDOUE

Né de la nécessité, le vaudoun embrasse dans une vision fondamentale la magie et la religion de manière à la fois autonome et fusionnelle. De ce point de vue, il se démarque de la tradition judéo-chrétienne, laquelle, depuis le Moyen Âge, s’est purgée de son côté magique. Dans le vaudoun, chaque temple, même celui d’aspect le plus religieux au sens conventionnel, est placé sous le patronage de plusieurs lwa travay, des divinités qui, comme l’indique la phonétique, travaillent. Elles rendent aussi des services et veillent à la prospérité de ceux auxquelles elles appartiennent.

Au cours de la cérémonie, les loa sont convoqués. Il n’est pas question de leur rendre un hommage religieux, ce qui est en soi révélateur d’une pratique magique. Le loa, en échange de dons réguliers en provisions de bouche, offre sa protection et ses prédictions aux fidèles pendant les séances de divination. On attend aussi de lui la guérison, sous la forme de traitements thérapeutiques (il chasse le mauvais oeil), et on tolère mal ses insuffisances dans ce domaine. Bien entendu, l’importance de la magie se retrouve dans les mythes, sources des pratiques rituelles. Dans le soukri lakou (regroupement de plusieurs ménages ou familles sur une grande habitation rurale) du royal Kongo, par exemple, les principaux mythes cosmogoniques retracent l’arrivée du peuple Kongo en Haîti et, de ce fait, la création du monde, à travers les exploits d’un esclave, Figao (ou Gao), lequel, armé d’une chanson et d’une boite à outils magiques, gagne sa liberté en multipliant les guérisons.

Les serviteurs de lwa prennent des “Bain de chance” sous la spectaculaire cascade de saut d’eau, ou villebonheur.

S’il veut exister, ce corps mystico-religieux se trouve en quelque sorte dans l’obligation de prouver l’efficacité de sa magie. Toutes les techniques utilisées doivent être considérées à la lumière d’une représentation du soi où des esprits manipulables entrent en permanence en contact avec d’autres forces, l’ensemble étant soumis à une puissance supérieure. Cette vision à la fois présuppose et façonne un monde en constante évolution caractérisé par une aptitude à l’adaptation, au changement et au progrès. L’obligation d’efficacité a une deuxième conséquence. Dans un monde qui bouge, l’ensemble des connaissances, si on ne veut pas que celles-ci deviennent caduques, doit lui aussi évoluer dans le sens de l’optimisation. Nous trouvons l’illustration de constat dans le témoignage suivant d’un chef Bizango: “Bizango sert à prouver qu’un homme peut apprendre à changer. C’est pourquoi “Bizango” signifie: apprendre à changer. On vit dans un monde et on peut changer ce monde. Dans ce monde, les gens qui nous regardent peuvent nous voir nous transformer, devenir cochons, poulets, ânes, n’importe quel animal ou juste des objets.

C’est ça qu’on appelle Bizango – le changement –, c’est à ça que ça revient, à la forme mouvante.”

Accumulation et transformation œuvrent en commun pour élargir la vision du monde. l’esprit salvateur tchaka ou callallou reconstruit par couches successives, tel que dans la soupe rituelle tchaka à sept ingrédients. Nous avons donc là une culture de l’accumulation ayant la rare faculté de digérer des singularités propres à diverses  cultures d’origine, certaines ayant même des interêts tout opposés.

Mais en accumulant sans cesse, ne risque-t-on pas de diluer les énergies? C’est pourquoi il est indispensable de trouver un moyen de canaliser et de concentrer les forces vitales. D’où l’existence du régléman, règlement ou protocole. Ces formalités qui doivent être observées sont d’une extraordinaire complexité en regard d’un système de croyance et de culte en apparence simple. Elles sont apprises pendant l’initiation puis au cours de l’apprentissage. Ces principes régissent l’art du tambour, de la danse, de l’invocation d’esprits, de la divination et du file farine (farine dont le tireur se sert en la laissant filer entre ses doigts pour tracer les vèvè –les dessins symboliques du vaudoun). Car en organisant la matière, on se donne la possibilité de la manipuler. La distribution des rôles au panthéon, l’ordonnance des pratiques rituelles en fonction de l’origine, du rythme, du temps et de la référence spatiale, le langage symbolique utilisé, tout cela se trouve ordonné  par le régléman.

Arbre reposoir

Dérivé du système de croyance Ginen, en relation en particulier avec le Panthéon Petwo, le domaine spécialisé du Bizango se consacre à la manipulation des énergies – de la nature ou du groupe – et des objets. Ces exercices, quoique considérés comme partie intégrante du vaudoun, occupent une place discutable dans le système religieux. C’est un domaine que l’on dit associé aux forces de la nature. Les gens vous affirment que “Bizango est une rite du vaudoun… comme tous les rites, il fait partie du vaudoun. Seule la société est un circuit fermé, elle est secrète”. Ou bien on entend: “Il y a un seul Ginen, parce qu’en fin de compte il n’y a qu’un seul père, une seule mère. Alors les sociétés font partie du tout. Nous sommes une part du Un. “Dans les foyers traditionnels, toutefois la présence des Gad (Gardiens spirituels) ou des pwen (esprits dela famille Petwo ou Bizango) est indiquée par des dessins marquant les frontières symboliques. l’art de la transformation s’est forgé à partir de la difficulté à synthétiser une réalité fragmentée. Trois divinités, Kalfou, Gran Bwa et simityè, chacune à ses attributs propres, incarnent et délimitent ce domaine de la transformation que l’on associe volontiers au vaudoun et surtout au bizango. Ce trio de loa préside au rite de passage commun à tous les initiés vaudoun, ou à tous ceux qui doivent se rendre maitres des techniques rituelles. ILs répondent aux contradictions humaines, jouant sur la question de l’identité, du seuil, de l’inconnu et éveillant la sphère de l’imagination.

 

C’est dans les interactions complexes de ces trois divinités, Kalfou, Gran Bwa et Simityè, qu’il faut chercher les racines du mystère de la création, d’où surgissent les facultés d’introspection et d’empathie. Il s’agit d’établir une poétique, tel qu’elle se manifestera dans la cérémonie d’invocation et les rituels de cure et de divination. On prendra pour exemple le dessin symbolique à la farine, la fabrication de pakèt kogo, des colliers et des hochers rituels, les ason.

Autel Bizango

Autel Petwo/ Kongo

L’art et le rituel se rejoignent ici pour déconstruire l’émotion, le rythme, l’espace et le temps. l’un et l’autre sont en quête de cette charge d’énergie qui permettra d’ouvrir les portes de la perception. L’un et l’autre se servent de la force du symbole pour libérer les images latentes, prémonitoires, qui projettent un contenu interne et permettent d’aller au-delà du tangible. On y retrouve comme en parallèle les mouvements intrinsèques au dynamisme de la trilogie Kalfou / Gran Bwa / Simityè. Chaque être-mouvement (loa) s’exprime à travers son propre rituel et le vévé, ces dessins invocatoires qui révèlent le tout au moyen de visions de facettes, avec au centre , toujours, l’homme, celui qui voit, emprisonné dans le prisme de la société et du cosmos, reflet de sa propre projection déformée.

Examinons pour commencer Kalfou, le dieu des carrefours. Au lieu qui anéantit.  Un lieu qui anéantit l’abondance avec ses trois, quater ou cinq chemins qui s’entrecroisent, où l’on se perd. On invoque donc Kalfou pour lui demander son appui et éviter les incidents de parcours, lui demander la bonne direction. Car à telle croisée de routes que l’on ignore, on risque la chute dans le plus profond des abîmes. Le vèvè de cette divinité est tracé à la cendre sous la bila (la table des offrandes petwo) du signe rituel de la pénétration de la terre: Une croix et deux marque de partage, le tout aspergé d’eau bénite et enterré. L’identité bascule dans le gouffre, la conscience se fissure… Le vaudoun cherche délibérément le décrochage, prélude au décollage. Ce choc émotionnel. Tout comme dans l’art, l’effet de surprise altère nos ondes cérébrales. Les ondes linéaires se trouvent tout à coup brouillées, tout se précipite , des masses compactes se heurtent. Et ce mouvement est d’autant plus puissant quand il s’agit de l’être non pas individuel mais collectif.

Kalfou tient la baguette mystique qui le qualifie de médiateur entre les mondes du visible et de l’invisible au travers du jeu de miroir reflétant le carrefour de ces mondes. Le geste rituel, consistant à envoyer des poignées d’offrandes aux quatre coins de l’univers, ou au quatre points cardinaux, est analogue aux traditionnelles cérémonies d’offrandes de calebasses qui se déroulent aux carrefours. Les sursauts spasmodiques de la transe, la lumière dansante des flammes révèle des jambes qui donnent des coups de pied jusqu’aux confins de la terre, et la voilà qui roule sur elle-même, et sa jupe qui se soulève, culotte en dentelle qui apparait, disparait. Des objets sacrés jaillissent des forces jusqu’ici muselées. Les mains viennent serrer les cous. Les malades sont secoués  de grands frissons, des frissons qui indiquent une transformation. Tourbillonnant aux limites de la réalité dans le seul but d’effectuer la traversée. Et dans ce but, on emploie des techniques précises pour instaurer la discontinuité, comme des pauses dans les rythmes du tambour ou des blu notes introduisant une distorsion dans la gamme provoquant de brusques torsions la structure de l’être. De la tension, de l’angoisse, lesquels sont des moteurs poussant à l’accouchement de nouvelles visions.

La clé des principes universels de la magie peut se résumer par l’association de deux termes: transgressions / transcendance. Au-delà de la sphère rationnelle de la science s’étend une région occulte que l’on peut toucher du doigt par l’analogie et la métaphore. Le temps et l’espace se trouvent enfin vaincus grâce à un usage singulier de la logique. Le pas est sauté, du connu à l’inconnu. On associe désormais des phénomènes qui a priori n’ont rien à voir les uns avec les autres. Cela s’appelle la voyance ou double vue.

Le prétendu immobilisme rationnel est brisé. Une fois que la carapace paralysante de l’identité s’est détachée, l’esprit acquiert une spontanéité, une fécondité, une faculté de glisser et de bondir, un pouvoir de déplacement instantané… Tout d’une coup deviennent possibles d’extraordinaires mises en relations qui nous projettent, stupéfiés, au-delà  de l’espace et du temps, au-delà de l’ordinaire de la vie et des habitudes. Cet enlèvement émotionnel pourrait s’appeler absolu ou poésie….La finalité de cette dernière étant de se multiplier dans les forces brutes de la foule.

cette dernière analogie procède de la logique de l’accumulation. De manière à entrer en relations, deux particules doivent être contrôlées. C’est pourquoi, à la base de la magie vaudoun, il y a la science empirique. En soi, ce mouvement est essentiel: concentration, brassage – c’est tout le symbolisme de la magie qui nous vient à l’esprit, dans le vaudoun, l’expression ” tout ko li se wanga” (des fétiches sur tout le corps) exprime une disposition du même ordre, ce que reprennent un bon nombre de formes d’art rituel. Dans la thérapie ou le culte, les tentatives de toucher l’au-delà sont innombrables pour la bonne raison que, pour guérir l’autre, il faut d’abord mache chache (marche cherche), autrement dit, il ne faut pas ménager sa peine.

L’empilage, l’ajout sans fin dans un univers en transformation, a pour premier objectif d’établir une analogie: lorsque je deviens l’autres et un autre je, et que tous deux nous devons l’univers, alors la lumière jaillit. De sorte que les références répétées à la transmutation et à la mimesis s’illustrent dans ce moment important du rituel appelé wete po, mete po (où est ta peau, mets ta peau). Change ta peau. Une fois cette étape franchie, on parvient à un autre état de la perception. Même à distance, grâce aux rognures d’ongles ou à des mèches de cheveux, à des photographies, à des morceaux de vêtements, les esprits sont attirés ou projetés sans difficulté. Il suffit d’esquisser les gestes appropriés, que l’on peut emballer ou détacher, épingler ou enfermer.

Pourtant Kalfou, dans ses fonctions d’inducteurs d’états d’hypnose, s’avère néanmoins insuffisant. Il doit être lié, au travers de l’initiation, à l’apprentissage de la différenciation et de l’orientation.

Gran Bwa associe identité / anonymat, netteté / flou et orientation / désorientation. Les diagonales, les éléments en suspens: lignes de fuite, déplacement dans l’hypnose, répétition des gestes. une fois franchie la frontière de la conscience, reste à explorer des régions inconnues, terrifiantes, les ténèbres débouchant sur des espaces vierges de l’être et des perspectives de transformation insoupçonnées.

Les offrandes rituelles à Gran Bwa sont placées dans un petit sac de paille, le makout , ou dans une calebasse, le kwui. On ne prononce le nom de cette divinité omniprésente, collective, que dans le plus grand secret. Les cérémonies de récolte des feuilles ont lieu la nuit, dans une atmosphère de communion clandestine. Le forêt se resserre autour du groupe pour former un espace traversé d’ondes, un temple naturel offert à ceux qui sont déterminés à cheminer au-delà. Le processus de transformation a déjà commencé à éclairer cette aire du songe qui s’était ouverte après la traversée de Kalfou. La conscience ordinaire rencontre la conscience liminale, crant un nouvel espace-temps.

À l’initié se dévoilent des perspectives singulières – des réseaux géométriques de symboles, des jeux de lignes et de signes. L’iconographie de Gran Bwa telle que la représente les vèvè montre l’humanité dans son espace physique. On est frappé par l’image d’un corps auquel est appliquée une grille, dont chaque triangle-carré enferme un pwen. Par sa structure répétitive elle rappelle une marelle dessinée par la main d’un enfant plein d’insouciance. Capitale pourtant est la maitrise de la séquence et du nombre, le Kontwol, le contrôle. Cet art, d’une complexité inouïe, culmine dans le tracé des vèvè où i synthétise des relations encore cachées. Les danses rituelles se déroulent autout du poto mitan, le pilier qui se trouve au centre du hounfor (temple), et qui est le chemin par lequel les loa arrivent parmi les hommes. De même, la disposition de tous les objets à l’intérieur est calculée de manière à contrôler des forces qui, autrement, poursuivraient une errance inutile.

Du fond des bois surgit “la direction”, apparement inhérente, générée par les instincts de survie de ceux qui s’y sont perdus. Pour les voyageurs égarés, paradoxalement, la force qui a provoqué leur perte d’orientation dans l’espace est justement ce qu’ils qualifient de direction, car seule cette dernière en a la maitrise. Automatisme, spontanéité – ces deux mots semblent caractériser la substance de la magie et des loa, ces forces de la création que les hommes forcent à jaillir apparemment de nulle part alors qu’ils les tirent d’une réalité matérielle objective, couches en surimpression de “coïncidences” dans un univers infiniment plus organisé qu’il n’y parait.

La magie, au même titre que la création, est le fruit de contradictions internes arrivées à maturité. Ici il n’est pas question de reproduction, mais plutôt de la naissance d’une force nouvelle.

Simityè: le cimetière – dernière station de l’humanité, station où l’homme se trouve libéré de sa présumée destinée. Ici se produit tout à la fois une juxtaposition et une opposition du passé, du présent et de l’avenir de la société. Le cimetière accouche d’un être nouveau dans la dissolution / coagulation.

Appel de la terre, poussière originelle à laquelle retourne l’humanité, force passive de concentration, genius loci, esprit du lieu. La terre et les rochers sont les seuls témoins éternels du tournoiement éphémère des hommes. Ce sont des marqueurs de réalité, d’où leur importance dans la magie. Quand les chrétiens enterrent l’un des leurs, ils jettent des poignées de terre sur le cercueil avant le moment où, justement, ce sol se referme sur le défunt. Le vaudoun fait de la terre un usage multiple.  C’est la terre des carrefours et des marchés, la terre des forêts et des cimetières, la terre du seuil de la maison, du village, du temple. C’est le sept priz tè (sept poignées de terre) qui figure symboliquement entre autres, dans le pakèt kongo et la calebasse d’offrandes. Par ailleurs, la mise en terre symbolique a une action thérapeutique par le contact régénérateur avec ses nutriments. Emblème de l’économie rurale, la terre est ce qui enracine et attache, c’est la valeur suprême, surtout dans la société féodale.

En regroupant les tombes qui, chacune, témoignent d’une aspiration à la vie éternelle et d’une décision de marcher ensemble vers une destinée collective, le cimetière abolit les séparations terrestres et reconstitue le clan originel. Le moun (le peuple) haïtien, tout comme le muntu congolais, englobe non seulement les vivants, mais tous les ancêtres, population omniprésente du simityè.

Les cimetières, en Haïti, sont des lieux “surréalistes” par le bigarré des couleurs et des constructions, bien plus solides que les maisons d’habitation. Qu’il soit vaste ou modeste, citadin ou rural, le cimetière est le centre par excellence de la magie, où Kalfou et Gran Bwa deviennent accessibles. L’issue devient palpable: la mort et la renaissance, la transfiguration à travers le triple mouvement de la magie. Équipée de trois bêches, trois pelles, trois pioches, la société émerge armée des outils de son émancipation et s’apprête à connaitre une résurrection sur de nouvelles bases.

L’émotion est présente, les conflits oubliés, les doubles unis. Tout ce qui était à l’état latent se manifeste.

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