Un été, dans un quartier pauvre de Port-au-Prince, je me suis engagée dans une ruelle poussiéreuse bordée de maisons peintes de couleurs vives pour aller rendre visite à la mère d’un ami Haïtien de New York. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé allant de bras en bras, de foyer en foyer, embrassant sur les deux joues les cousins et cousines des différentes branches de la famille de mon ami, épuisée par la chaleur et le battement sonore de la musique compas que déversaient des haut-parleurs extérieurs. À un moment donné, je me suis retrouvée à serrer la main d’un homme qui me souriait de toutes ses dents, des dents extraordinairement petites pour quelqu’un de sa stature. “Si vous êtes vraiment ethnologue, vous devriez aller le voir, c’est un bòkò”, me souffla une bonne âme.

Un bòkò en Haïti, est un spécialiste des questions surnaturelles. Contrairement au houngan ou à la mambo, qui sont au centre d’un réseau communautaire religieux, il agit seul, en franc-tireur. Il a en outre la réputation de “travailler à deux mains”, autrement dit de posséder tout à la fois le pouvoir de guérison et celui de la vengeance. L’anthropologie traditionnelle le qualifierait de sorcier.

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Bòkò Saint-Jean 1968

Le lendemain, je repris le chemin de Monatuf, ce bidonville au centre de Port-au-Prince, et m’employai à chercher sa maison parmi les nombreux cubes en ciment colorés coiffés de tôles ondulées qui se pressaient, accrochés au bord d’un ravin servant à la fois d’égoût et de décharge. Le Bòkò répondant au nom de Saint-Jean m’invita à entrer. Il affichait toujours ce sourire découvrant des dents de bébé jaunies par le tabac et s’exprimait dans un créole haché. La conversation se cantonna à des échanges polis, style “quelle belle journée, quelle jolie maison” tandis qu’il m’offrait des rasades d’alcool de canne, ou kleren, arrosé, à l’en croire, d’un remède anti-poison. Je ne pus m’empêcher d’attacher mon regard à son autel, qui occupait la plus grande partie de la pièce, et en particulier à un objet qui me paraissait aussi étrange que beau: une bouteille enveloppée dans un tissu rouge, blanc et noir, et ceinturée de miroirs brillants comme des phares. Des ciseaux ouverts, accrochés au goulot, formaient deux grands X.  ” Quelle belle bouteille”, commentai-je. “Merci me dit-il. Vous voulez que je vous en fabrique une?”

C’est ainsi que fut commandée la bouteille; je la considérai comme la première pièce de ma collection d’objets d’art. Avais-je tort ou raison? Avant de me la donner, le bòkò la transforma en objet magique, en wanga, au cours d’un rituel dont le sens m’échappa. Je rapportai la bouteille chez moi comme on rapporte une énigme. Comment une personne appartenant à une culture donnée pourrait-elle comprendre un objet ayant sa place dans une autre culture? Je décidai de mener une enquête pour découvrir de quoi retournait justement cet objet, comment fonctionnait un wanga et pourquoi il était aussi interessant d’un point de vue purement visuel. Tandis que je le contemplai, j’eus la bizarre impression qu’à son tour l’objet m’observait. Non seulement me regardait, mais me dévoilait, par des signes imagés, les interrelations entre le secret et le savoir dans les arts magiques haïtiens, la poétique de la volonté et du désir, la réalité de l’esclavage et de la mort. Ensemble, l’objet et moi, nous avons sondé la profondeur des racines centres-africaines des religions d’Haïti et examiné comment se transcrit l’histoire dans un pays où personne ne lit ni n’écrit. Mes entretiens avec la bouteille se mua en une véritable voyage initiatique.

La bouteille qui ne “S’arrêtait jamais”

IMG_2192.jpegLa bouteille est non seulement une création artistique, mais aussi un wanga, ou travay maji (travail magie). Cela dit, comment opère-t-elle dans cette dernière fonction? Les récentes études sur la culture matérielle m’ont ouvert la voie: tout objet manufacturé, même celui dont le sens parait le plus évident, comporte une multitude de strates de signification d’usages, de symboles et de connotations. Et de ce fait, il est souvent susceptible de servir de clé pour comprendre la culture dont il est issu.

Quelle qu’ait été sa signification aux yeux de celui qui l’avait fabriquée, dès lors qu’elle entra en ma possession, la bouteille se mit à fonctionner au sein d’un “système des objets”: une chose achetée et exposée sur ma table basse pour être offerte au regard admiratif de tous. Par la suite, prenant conscience de son importance, je la rangeai hors de vue. Il n’en restait pas moins que s’agissant d’un objet construit, visuellement codé, d’une sophistication esthétique remarquable. Il était bien question d’art. Et pourtant, c’était un fétiche fabriqué par un sorcier, et à titre il tombait dans la catégorie des objets ethnographiques. À moins qu’il ne relevât de ce que James Clifford qualifie “d’opposition institutionnalisée entre art et culture”, une place qui échoit aux objets acquis dans les pays non occidentaux. D’après Clifford, tout objet exotique collectionné se trouve confronté à choisir entre un milieu d’accueil ethnographique ou un milieu esthétique. Aussi, à mesure que je me frottais à cette pièce haïtienne, je me pris à penser que ce qui lui conviendrait le mieux, c’était une exposition dans un espace public, ou ses qualités esthétiques seraient appréciées au même titre que son inscription culturelle.

En attendant, la bouteille, sur ma table basse, suscitait des commentaires de mes amis. “Tu sais, me lança l’un d’eux distraitement au cours de la conversation, cette chose n’arrête jamais.” En effet, elle bougeait, ondoyait à sa manière. Et si l’on partait du principe que tout objet artisanal incarnait les croyances de sa culture auquel il se rattachait, je pouvais commencer mon analyse par une étude sensorielle. L’objet devait livrer de lui-même les données de la recherche et de l’interprétation. De sorte que je me retrouvai, dans mon salon, en train d’inspecter ma bouteille à la recherche d’indices.

“Cette chose n’arrête jamais”. Si c’était une bouteille, c’était une bouteille extraordinaire. Une bouteille de rhum barbancourt (un rhum de fabrication haïtienne), comme on le constatait à la lecture de l’étiquette transparaissant à travers l’étoffe. Elle ne contenait plus de rhum, mais un liquide à l’arôme puissant. Une odeur forte de parfum, oui, ainsi que ses sédiments que l’ont voyait collés au verre du goulot. La présence de liquide rendait l’objet pesant du bas quand je le tenais. Je le décapsulai pour constater que trois épingles traversaient horizontalement l’intérieur du goulot, tenues de l’extérieur par des aimants. Elles ne semblaient être là que pour représenter l’élément métal.

IMG_2193La bouteille était lourde du haut, aussi, à cause des trois aimants qui encerclaient le goulot. Ceux-ci étaient de fabrication industrielle, des pastilles de deux centimètres d’épaisseur, couleur d’acier inoxydable. Ils dépassaient du mince goulot à la façon d’un col, ou d’un collier. Une boucle d’oreille féminine était fixée à l’un des aimants, ce qui donnait à l’ensemble un air guilleret. Les aimants sont des forces élémentaires, la terre étant entourée d’un champ magnétique qui, par l’intermédiaire de la boussole, permet aux voyageurs de s’orienter: l’aiguille indique toujours le nord. On plongeait là au coeur des forces les plus primitives. dans cette bouteille, les aimants créaient une dynamique telle que les épingles à l’intérieur collaient à la paroi de verre. Ils formaient une polarité en vase clos, un discret écosystème.

À l’exception de la capsule Barbancourt, la bouteille était tout entière couverte d’une étoffe noire, blanche et rouge réparties en trois bandes verticales. Ces couleurs, dans toutes les cultures, ont de puissants symbolismes. À l’exception des aimants, l’ensemble se conjuguait sur le thème de l’emballage. On enveloppait et pour mieux cacher un secret. Ici, ce qui était à l’intérieur de la bouteille était en effet dissimulé.

Deux paires de ciseaux ouverts étaient ficelés de part et d’autre du goulot avec du fil rouge. outil basique dans de nombreuses cultures, le ciseau coupe aussi bien le papier que le tissu, le carton et la ficelle. Au même titre que les épingles, ils peuvent se révéler dangereux. Par ailleurs, le ciseau est anthropomorphe: il a quatre “membres.” Attachés en position ouverte, en vis-à-vis de part et d’autre de la bouteille, ils introduisaient une illusion de symétrie. Impression contredite par la présence de trois plutôt que quatre bandes d’étoffe colorée, ainsi que par la disposition des quatre miroirs attachés à la bouteille juste sous les ciseaux mais légèrement décalés. C’est cette concomitance entre asymétrie ternaire et symétrie binaire qui obligeait l’oeil du spectateur à tourner autour de l’axe de l’objet et lui faisait dire qu’il ne “s’arrêtait jamais”.

Les quatre miroirs, de forme ronde, avaient à peine quatre centimètres de diamètre. Cerclés de plastique vert, ils avaient été ficelés à la bouteille avec du fil rouge, de sorte qua chaque miroir était traversé en son centre par une série de traits verticaux et horizontaux. La surface polie était poussiéreuse. Entre les fils et la poussière on ne distinguait qu’un vague reflet. Les miroirs semblaient plutôt réfracter que réfléchir. Brillants capteurs de jour, ils attiraient l’oeil et reflétaient la lumière.

Parfum, épingles, aimants, ciseaux, miroirs: voilà des composantes simples, élémentaires. Et chacune possédait des caractéristiques opposées qui menaient à une impasse pratique: l’eau parfumée contenait des impuretés, les gros aimants attiraient de minuscules épingles, les ciseaux aiguisés étaient rendus inutilisables parce que liés en position ouverte, les miroirs, barrés de liens en croix ne reflétaient pas votre image. Que signifiait le parfum, l’épingle, l’aimant, les ciseaux et le miroir dans le code symbolique haïtien? Que signifiaient-ils dans leurs rapports entre eux?

Au-dessous des miroirs, rien ne dépassait plus de la forme, laquelle, dans sa jupe d’étoffe, se prolongeait, fluide, jusqu’en bas. La moitié de la bouteille semblait correspondre à la ligne horizontale des liens qui fixaient les miroirs. Cette ligne coupait l’objet en deux à l’horizontale tandis que les ciseaux, qui étaient symétriquement opposés, la coupaient à la verticale. Cela dit, cette symétrie binaire se heurtait à l’asymétrie en différents points du fourreau coloré, si bien que l’oeil du spectateur, happé par le déséquilibre, était pris de vertige. Les lignes des ciseaux et des miroirs le faisait tourner autour de la bouteille dans une spirale sans fin, rouge, blanche et noire…. couleurs du Rite Petwo

… / …

En fin de compte ma bouteille vaudoue allait beaucoup plus loin que je ne me l’était figuré au départ. Habitée par un esprit qui lui était attaché , elle était chargée d’une mission et elle affirmait sa personnalité, se présentant dans un habit imaginé codé et drapé de rutilance artistique. Dès lors que vous étiez capable de déchiffrer son message, elle se révélait porteuse d’un condensé matériel historique et d’un système cosmologique miniature. Cela dit, elle n’était pas faite pour être contemplée comme un objet d’art. Elle semblait animée d’une vie propre, se parler à elle-même, à l’esprit qui se trouvait enfermé à l’intérieur. Vivante donc, elle tournait sur elle-même, colorée, provocante, métaphore complexe de ce que le wanga était censé accomplir et non pas de ce qu’il était.

Mais si cette bouteille est bien un écosystème habité par un esprit, comment peut-on l’exposer dans la vitrine d’un musée? me demandai-je. James Clifford suggère que “nous pouvons leur rendre leur statut perdu de fétiches, en faire non pas une production perverse ou exotique, mais nos fétiches propres. Grâce à cette stratégie, forcément personnelle, on accorderait aux choses exposées le pouvoir de fixer plutôt que la seule faculté d’édifier ou d’informer. Les artefacts africains et océaniens pourraient redevenir des objets sauvages, sources de fascination et dorés du pouvoir de déconcerter.

Le wanga en question m’avait en effet “fixée” pendant des années, et édifiée, et informée. La bouteille ait tout à la fois été un objet d’art, un souci et un objet d’étude. Les zombi, s’ils sont encore là, se sont tenus tranquilles dans leur bouteille qui porte toujours sa coquette boucle d’oreille sur le côté. Peut-être sont-ils déjà mort ” par la main de Dieu”. Il est possible q’ils soient encore enfermés dans la bouteille, veillant avec leurs grands yeux miroirs sur mon bonheur.

Je ne crois pas me tromper en affirmant que le wanga a une personnalité. Mac Gaffey a comparé le nkisi à “un ancêtre dans sa tombe” et lui concède une sorte de caractère. À voir un nkisi, écrit-il, “on identifie une personnalité autonome qui semble latente à l’objet et s’éveille grâce  à la relation sans être pour autant limitée par elle.

Désormais je traite ma bouteille comme une chose vivante, détentrice d’une identité, une chose qui respire. Non seulement elle est susceptible de dévoiler des connaissances vieilles de plusieurs siècle sur l’existence de tout un peuple, mais elle porte aussi en elle un eu de la vie des deux âmes qui ont passé un peu de temps sur terre à un jet de pierre du cimetière de Port-au-Prince.

où ma bouteille doit-elle vivre? Elle a passé cinq ans dans mon bureau, à me regarder travailler à ma table. L’exposition Sacred Art of Vaudou lui a permis de trouver une autre place, une place qui privilégie simultanément l’approche esthétique et l’insistance sur le contexte et l’histoire, une place où elle peut être considérée à la fois comme un art et un artefact, comme un fétiche et comme le support d’une histoire culturelle.

“Mes zombis vont enfin prendre le chemin du musée, lançai-je en plaisantant à mes amis. Ils vont pouvoir travailler; nouer de nouvelles connaissances, rencontrer des gens passionnants.” En fait, je me dis que cette exposition va peut-être décupler leur puissance: plus il y a de monde pour les regarder, plus les esprits ont peut-être l’occasion d’être activés. Je vais leur faire de la cuisine sans sel avant leur départ. Ces zombis sont sans doute à ranger dans la catégorie des zombis travailleurs. je souhaite que chaque personne qui rendra visite à la bouteille vaudoue reçoive une part de la chance qui m’a été échue.

Elizabeth McAlister

Traduit de l’américain par Isabelle Chapman

LA CONCEPTION DE L’ÂME CHEZ LES BAKONGOS:

La conception de la personnalité chez les Bakongos était pluraliste. Cette croyance contribua certainement à la fusion des deux conceptions de l’homme — dahoméenne et congo — dans le vaudou Haïtien.

Pour les Bakongos, en effet, l’homme “se compose de quatre éléments: le corps (nitu), le sang (menga) qui contient l’âme (moyo) et le mfumu kutu, sorte de double âme. Venant donner à l’être humain sa personnalité parfaite, le nom (zina) constitue l’homme complet”.

C’est grâce à l’âme (moyo), nous dit Van Wing, “que l’homme vit sa vie”. Cette âme résiste victorieusement à la mort et se retire ku masa (à l’eau) que les bakongos désignent d’une manière très caractéristique:  Ku Banzingila ( là ou l’on vit).  L’eau est le monde des ancêtres. “Dans leur village, les ancêtres ont leurs maisons, leurs champs, ils ont de grandes richesses, des étoffes, de l’argent, du gibier, du vin de palme. Ce village est situé ku masa, dans l’eau, du côté de la forêt, car la forêt se trouve près des rivières”. Il existe donc un point commun entre la conception dahoméenne des âmes et de la mort et celle des Bakongos: Une âme, à la mort de l’homme, entre en contact avec l’eau. Ce contact, chez les dahoméens, était transitoire: l’eau est un élément de passage, un lieu où l’on récupère les âmes pour les déifier. Chez les Bakongos, l’eau était le séjour permanent du moyo après la mort. Cela explique que l’eau joue un rôle primordial dans le monde funéraire en Haïti.

Si la mort du Vaudouisant haïtien s’inscrit très nettement dans un contexte Dahoméen, une variante assez importante dans l’itinéraire post mortem de l’âme témoigne de l’influence des Bakongos: l’âme, qui sera récupérée pour être divinisée, va directement sous l’eau où elle séjournera en attendant qu’on “la fasse lever”. Cette modification est très certainement due au bouleversement de la géographie; il est beaucoup plus facile de rejoindre l’élément liquide omniprésent — et qui pour les Congos coïncide avec le monde des ancêtres — que de gagner le monde des ancêtres du Dahomey resté quelque part en Afrique.

L’autre âme, que van Wing appelle âme sensible, “principe de la perception sensible”, le mfumu kutu, a pour siège l’oreille: elle est “le seigneur de l’oreille”.

Mais les Bakongos disent qu’elle est “chose de Nzambi”, qu’elle vient de Dieu. Or cette âme présente une des caractéristiques de l’âme dahoméenne qui vient du culte de mawu. La ressemblance ne s’arrête pas là: quand le mfumu kutu “entre dans l’enfant, il vient de loin; lorsqu’il quitte le cadavre, il s’en va loin, ku katalukidi”.

Autrement dit, elle vient de Dieu et s’en retourne à Dieu. Elle n’aura plus de contact avec les vivants après la mort de son propriétaire.

À l’intérieur de cette structure résolument héritée de l’Afrique occidentale, les analogies sont troublantes entre l’idée que le vaudouisant haïtien se fait de la vie de l’une de ses âmes, et celle que se fait le Bakongo de l’activité de mfumu kutu: “la nuit, (le mfumu kutu) erre par les campagnes, aussi le sommeil s’empare-t-il de l’homme; le jour, s’il s’en va, l’homme tombe évanoui (…). Si le matin l’on éprouve quelque peine à éveiller quelqu’un, c’est que son mfumu kutu n’est pas revenu, il s’en est allée trop loin (…). Lorsque le mfumu kutu s’en est allé, son activité ne se ralentit pas mais elle est autre; il se promène partout, il rencontre ce que l’on rencontre dans la nuit obscure (…). Tout cela, l’homme endormi s’en rend compte parfois : c’est le rêve. Quand au matin le “gros bon ange” ne réintègre pas son enveloppe corporelle, la personne qui l’a perdu tombe dans une profonde léthargie” Les éléments pivots, les seuls clairement exprimés, de la conception de l’âme en Haïti, sont ceux qui coïncident ainsi à l’intérieur des philosophies des deux principaux groupes en présence à SAINT DOMINGUE: les dahoméens et les congos. Ces deux points acquis, les seuls qui réalisent un accord unanime, la philosophie vaudoue tombe dans la confusion quand elle doit se prononcer sur la nature, le rôle, la vocation des âmes de l’homme…

UNE RELIGION MONOTHÉISTE?

Toute la littérature ethnologique qui a précédé Herkovits (Bosman, Skerthchly-Burton) fait état de la croyance des Dahoméens dans un Dieu créateur Omnipotent, qui , une fois son oeuvre accomplie, se serait retiré, livrant le monde à des divinités subalternes. De là, à l’affirmation suivant laquelle ;a religion Dahoméenne serait monothéiste, il n’y avait qu’un pas, que franchirent les missionnaires et les ethnologues catholiques.

Cependant la distance est grande entre Mawu et le Dieu éternel des judéo-chrétiens. Mawu est une créature — avant elle, a existé un être qui l’a créée. La seule étape explicite formulée par la pensée mythologique avant Mawu et Nana Buluku. Le refus d’accepter une origine première à toute existence, caractéristique de la pensée religieuse dahoméenne, amène les théologiens à affirmer que Nana Buluku est lui-même le produit d’une création et qu’il y a eu une multitude de Mawu.

Il est cependant légitime de se demander si sa conception hiérarchisée du monde ne conduit pas le Dahoméen à considérer un personnage divin qui, par l’étendue de ses pouvoirs et l’absolue nécessité de sa présence comme condition de l’ordre, relègue les autres divinités au rang d’inférieurs. Infériorité qui tendrait à ne leur laisser que certains pouvoirs limités et spécialisés, et qui exclurait en eux l’essence divine transcendante, celle-ci restant l’apanage de Mawu. Il serait alors plus facile de comprendre qu’en Haïti l’identification de Mawu avec le “Bon Dieu” des chrétiens se soit opérée sans grande difficulté.

 

CONGO EN HAÏTI:

L’influence de la culture Congo sur la mentalité générale de l’Haïtien contemporain est donc très subtile, beaucoup moins apparente que celle exercée par les peuples d’Afrique occidentale — ce que nous pourrions résumer ainsi: une religion d’inspiration soudanaise est vécue par une population en majorité d’origine bantoue. Cette situation curieuse a plusieurs conséquences.

Ainsi, la vie profane du paysan Haïtien est à bien des égard profondément marquée par les Bantous: par exemple toute l’imagination non religieuse s’exprime dans la tradition bantoue; une multitude de “contes” profanes et de devinettes sont des traductions fidèles  ou des transpositions de légendes et de devinettes congos.

Quant à la vie religieuse, dominée à l’origine par des leaders venus d’Afrique occidentale, on y retrouve de nombreuses traces de ré-interprétations en termes de culture Bantoue (place de certains dieux ancestraux, rôle de la magie, etc.), mais aussi certains traits particulièrement vigoureux qui se sont insérés tels quels dans le cadre dahoméen: c’est ainsi que le Mawu déhoméen, le Nzambi des Bantous et le Dieu catholique concourent à donner sa physionomie propre au “Grand Maître”, Dieu suprême des vaudouisants.

Il est source de toute vie; à la mort de ses crétures humaines, il récupère une de leurs âmes; il est au dessus des esprits auxquels s’adresse le culte (on ne lui rend aucun culte); comme Nzambi, il est législateur des règles morales, punit les hommes quand ils transgressent celles-ci de leur vivant, mais ne récompense jamais.

Le culte des ancêtres des Bantous a disparu avec l’éclatement des groupes de parenté. Ce qui subsiste de religion familiale en Haïti est résolument dahoméen (présence des ancêtres dans des cruches, transes etc..), mais les bakongos ont influencé ce nouveau culte des ancêtres: Comme chez les Bantous, c’est le chef de famille qui officie, et non plus un prêtre spécialisé comme au Dahomey. De nombreux traits du rituel vaudou sont typiquement congos: par exemple, l’utilisation de la poudre, que l’on ne retrouve pas au Dahomey mais qui se pratique en Haïti dans les cérémonies dites de rites congo ou de rite pétro (le rite pétro est un rite créole de forte inspiration congo); la forme des tambours utilisés lors des cérémonies congo ou pétro; de nombreux pas de danse.

Mais le domaine où l’influence bantoue s’est exercée avec le plus de force reste la magie. La magie des Bantous s’est exprimée à l’intérieur comme à l’extérieur du cadre religieux dahoméen. La religion a récupéré la magie positive, bénéfique (curative essentiellement), laissant aux spécialistes  non religieux et aux prêtres maudits la magie offensive (antisociale) et les pratiques de protection en général.

LA MAGIE BANTOUE DANS LE VAUDOU

Les Bakongos ont apporté au vaudou une importante catégorie d’esprits: les esprits de l’eau, les bisimbi. En Afrique centrale, ces esprits aquatiques  dominent un important secteur de la magie et entrent dans la composition de nombreux nkisi (talismans).

Chez les bakongos, les rapports avec les esprits bisimbi sont des rapports individuels établis dans le secret. En Haïti, intégrés dans le culte collectif, ces esprits constituent une famille importante qui se manifeste – comme les dieux dahoméens – par la transe, qui a ses initiés. Ils gardent cependant les mêmes caractéristiques que les bisimbi congos: ce sont des esprits d’eau douce, de sources et de rivières.

“Le sanctuaire des dieux Simbi est pourvu de petits autels sur lesquels on remarque des chromos de saints et de mages – les trois rois mages sont assimilés à trois rois congos dont la mythologie haïtienne a gardé le souvenir –, une lampe à huile d’olive, des govi (cruches) qui servent à les invoquer. Comme les simbi sont des dieux guérisseurs, des paquets dits paquets simbi sont aussi placés sur leur tables-autels. Ces paquets simbi sont la réplique exacte des nkisi congos. Les paquets sont des talismans thérapeutiques qui contiennent des matières végétales et minérales: encens, poudre à canon, écorces, tiges, vivres, feuilles desséchées (dont la feuille dite trois paroles – allophys occidentalis – est indispensable pour toute cure parce que sans elle on ne peut obtenir la protection du père, du fils et du Saint Esprit), le tout pulvérisé est mêlé à une pâte tirée des animaux sacrifiés. On prépare les paquets au cours d’une cérémonie faite en l’honneur d’un loa guérisseur. Au moment de la nouvelle lune, on les attache et les enveloppe de satin  ou de soie aux couleurs consacrées aux dieux intéressés. Ils sont ensuite parfumés et déposés dans des assiettes de faïence blanche ou dans des sortes de gourdes en terre cuite.

Les paquets mâles sont confectionnés par les houngan et les paquets femelles par les mambo. Et comme les simbi sont des Loa aquatiques, on place toujours dans leur Hounfor une cuvette pleine d’eau.

On retrouve les paquets congo ou paquets simbi dans tous les sanctuaires d’inspiration Bantoue – dans les rites congo et pétro – où les guérisseurs sont nombreux: ordinairement des poupées de toile bourrées avec des feuilles, des herbes et des racines pulvérisées et parfumées. Si, en Haïti, la maladie est ainsi intégrée dans le contexte religieux (dans de nombreux cas seul le prêtre pourra guérir le mal), il faut y voir un apport bantou: cette notion est totalement absente au Dahomey.

LA MAGIE BANTOUE HORS DU CADRE RELIGIEUX EN HAÏTI

Dans le cadre du Vaudou, les sortilèges ne sont envisagés que dans une perspective curative. Hors de celui-ci, ils peuvent être utilisés pour la protection et l’attaque. Cette “magie profane” est désignée par le mot wanga. pour la confection de nombreux wanga, le magicien utilisera un peu de terre prélevée dans un cimetière comme un collègue congo utilise pour ses nkisi de l’argile “prise au fond d’une rivière, d’un étang, séjour des esprits des morts”. Wanga désigne souvent un talisman puissant qui protège un individu, un champs ou une maison. l’expression “accomplir le wanga” renvoie en général à une action plutôt inquiétante. En effet, ce secteur de magie fréquenté par tous ceux qui, par désir de puissance ou de vengeance illicite, veulent causer du tort à autrui – toutes actions maléfiques qui par essence ne peuvent s’exercer dans le cadre de la religion.

Voici cher Ami(e)s un petit tour d’horizon des origines Vodùn… nous établiront prochainement les corrélations entre le panthéon Dahoméen et Haïtien.

À tout bientôt

 

Lila Desquiron pour l’Abbaye Doualas / Loray Gwondé Bon Bòkò.

 

 

 

Depuis un certain temps, la communauté Hoodoo s’agrandit et cette notion de magie des Lampes à Huile qui l’accompagne s’étend sur le vieux continent. En ma qualité de Bòkò, je ne peux que me réjouir de cela.

Tout au long de l’histoire, le feu a captivé l’humanité, c’est une forme d’énergie pure et ambivalente, une puissance qui peut créer de la chaleur, transformer les ténèbres en lumière ou bien détruire toute une forêt. La présence divine ressentie dans le feu a été reconnue et embrassée aussi longtemps que l’humanité l’a tenu comme un cadeau sacré. Selon le mythe Grec, le feu fut donné à l’homme par les Dieux, pris par Zeus comme punition, et libéré par le Titan Prométhée.

Cet outil important transporte tant de pouvoir que sans lui la vie humaine cesserait d’exister. Il est purificateur, il est le lien direct avec les hautes sphères, il est un véhicule d’intention.

Dans les traditions Celtes, Aztèques, Amérindiennes, Mayas, Africaines et j’en passe, tout s’accorde à dire que le feu est l’incarnation du Grand Esprit, rattaché à la source et que ce dernier possède sa conscience propre. Un confrère qui m’est cher précise également que le Feu outre le fait d’être relié à l’énergie primordiale relie cette dernière à notre feu intérieur.  Les Lakota le nomme “Tunkashila”, les Aztèques “Huehueteotl”… Sa présence dans les pratiques Magico-Religieuses est effective depuis des millénaires.

Alors quid des lampes Magiques à huile?

Peu de temps après que la civilisation ait commencé à s’épanouir, les premières lampes à huile ont commencé à apparaitre. Ces lampes ont illuminé l’obscurité et ont porté une signification spirituelle profonde. Avec le temps, le but religieux des lampes a commencé à croitre. Dans la plupart des cultures et des foyers, des lampes étaient allumées sur les autels en l’honneur des dieux ou des esprits à différents moments de la journée, par exemple à l’aube pour saluer le soleil, au crépuscule pour percer les ténèbres, ou maintenu perpétuellement pour représenter la continuité de la vie, de la famille ou de la communauté. La prière et la dévotion commencent généralement lorsque l’on allume la lampe. C’est souvent le privilège sacré du patriarche de maintenir la lampe allumé et de réciter les prières sacrées. Une simple prière à la lampe domestique, représentant les dieux ou l’esprit peut être:

“Je prie devant cette lampe sacrée, dont la lumière est la plus parfaite des représentation de l’esprit de (nom de la déité ou de l’esprit), qui perce dans les ténèbres et révèle tous les secret cachés, grâce auxquels la bénédiction divine est accordée. Salut à toi, O^(nom de la déité ou de l’esprit)”

Dans le monde d’aujourd’hui, on peut voir de plus en plus d’autels ornés de lumière électrique ou artificielle et il est à notre sens important de faire la distinction entre une lumière sacrée comme une lampe à huile, et une lumière décorative comme une ampoule électrique.

Dans le cadre de leur conception chaque éléments d’une lampe à une représentation sacrée et une signification spirituelle. Les huiles ont longtemps été recherchées comme outil primordial, offert aux dieux et aux esprits, ointes sur les objets de dévotion et les objets de l’art mais également utilisées comme condensateur ionique. Dans les lampes, l’huile peut signifier le monde physique, le plan matériel, et l’imperfection humaine. Le feu représente le divin, l’énergie primordiale, notre foi, nos Dieux et nos Esprits. C’est une manifestation physique de l’énergie. La mèche représente le lien entre le physique et le divin, attirant le monde physique vers elle et la destination finale de tout ce qui existe.

LA PUISSANCE DES LAMPES À HUILE MAGIQUES:

Les lampes à huile traditionnelles ont été utilisées partout dans le monde, à travers les temps et à de nombreuses fins, comme lumière de dévotion ou magie puissante et efficace.

Les temps anciens ont utilisé les lampes à huile et les torches, puis les bougies ont représenté la magie dans une forme plus raffinée dès les premiers temps. Mais la lampe était de loin le moyen le plus sophistiqué d’éclairage et devenait omniprésente dans la majeur partie du monde méditerranéen à la fin du premier millénaire avant J.C.

Une lampe est essentiellement un récipient qui contient un combustible et un endroit où la mèche peut brûler. Cette simple exigence a évolué à partir d’un fourneau ouvert, quelquefois une coquille ou une roche sculptée, où la mèche reposait sur le bord d’un dispositif très efficace dans lequel le réservoir de carburant et la buse étaient fermés et décorés.

L’huile d’olive semble avoir été le carburant le plus populaire pour les lampes dans le bassin méditerranéen, bien que d’autres types d’huile aient également été utilisées, mais cette dernière reste également le principe d’onction primordiale lorsque son procédé de conception respecte certaines règles. Les mèches ont besoin  d’une capacité importante d’absorption et peuvent être fabriquées à  partir de matériaux tels qu’un linge, du papyrus et d’autres matières fibreuses. Les lampes pouvaient effectuer une variété de fonctions: En plus d’une utilisation domestique quotidienne ou commerciale, les lampes peuvent être utilisées à des fin de magie.

À travers les âges, de nombreuses incantations ont impliqué les lampes, vecteurs de l’intention lancée dans l’ether… Aujourd’hui encore, les lampes à huile magique sont utilisées dans la Hodoo, dans le Vodou Haïtien ainsi que dans pléthore de système de croyance.

En pays Ayiti, ces dernières sont conçues avec les fameuses chaudières trois pieds et servent à accompagner les demandes faites aux lwas… le contenu des chaudières sera varié mais en majeur parti du temps basé sur un mélange de racines, d’herbes et bien d’autres curiosités en correspondance avec soit la demande, soit la déité invoquée.

L’efficacité de cette démarche n’est plus à prouver et aussi longtemps que les traditions continueront d’être perpétuées, les flammes des lampes continueront d’éclairer nos nuits et nos journées.

Ayibobo.

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