Afin de rendre Honneur & respect à notre amie, soeur, mentor Rachel Beauvoir Dominique, partit pour l’orient éternel dans la nuit du 04 au 05 Janvier de cette année, je vous offre en partage la suite et fin de ce fabuleux texte.41168_1610681427396_595455_n

Bonne lecture.

L’IMAGERIE VAUDOUN: HAUTE ET BASSE MAGIE

Si l’art de la magie vaudoun repose sur l’esthétique du signe et symbole, producteur d’un sens qui parle au for intérieur de chacun, il n’est activé que par l’existence d’interactions au niveau de l’inconscient collectif. Dans la vie quotidienne, la présence de calebasses d’offrandes que l’on place aux carrefours frappe la corde sensible de passants, tout comme le tambours, la nuit, font vivre des scènes précises. Le proverbe Haïtien kreyol palé, kreyol konprann (créole parlé, créole compris) ne fait pas référence à la langue elle-même, mais plutôt à la qualité de son expression qui a pour fonction d’évoquer et non de décrire.

Dans le domaine magico-religieux, le domaine symbolique est de plus en plus réglementé: le tracé de vèvè, le langaj (éléments linguistiques africains associés au langage corporel), le déroulement des cérémonies, la chorégraphie des danses, la musique, les vêtements, les gestes… L’ensemble se rattache à un système complexe et signifiants. Les pratiques relevant de la trilogie Kalfou / Gran Bwa / Simityè stimulent les facultés symboliques dans le graphisme et favorisent la révélation des correspondances cachées. Ces éléments doivent être extraits d’un passé plus lointain que le passé immédiat de la société Haïtienne. Ils s’adressent à l’humanité dans son essence, ils communiquent avec les racines universelles du mysticisme ésotérique. La franc maçonnerie, la rose croix, la kabbale… Toutes traditions qui trouvent d’ardents adeptes en Haïti, aujourd’hui comme hier. Voilà pourquoi il est important de comprendre pour qu’elle raison elles jouissent d’une telle popularité auprès de la population Haïtienne.

La réalité du syncrétisme vaudoun se traduit dans la forme d’un récipient en bois oblong, réceptacle des feuilles frottées au cours de la cérémonie du rite petwo, récipient qui symbolise le bateau mystique, son axe vertical représentant une hampe de drapeau. Il recueille en même temps des traditions pré-et para-chrétiennes classées comme hérétiques depuis toujours. Ranmasé, nous pral ranmasé zafè sa ki sot ki pa ranmase pa yo. (Ramasser, nous allons ramasser les affaires, dommage pour les sots qui n’ont pas ramassé les leurs.)

Les feuilles que l’ont amoncelle dans le réceptacle représentent un amalgame de plusieurs choc de civilisations. On y trouve les religions révélées, le christianisme comme l’islam, l’un et l’autre produits et producteurs de différenciation. Dans un mouvement à la fois de rapprochement et d’éloignement, tout finis par se confondre à la fin dans le rituel des feuilles. Mapou tombe kabrit manje fey Dan Petwo. (le baobab tombe, les biques mangent les feuilles, à petwo.)

Les représentants vaudoun stimulent des régions cachées du cerveau. Comme dans un film surréaliste, des images d’un temps passé très lointain et pour tout étrangement familier passent devant nos yeux , de manière désordonnée, éveillant des odeurs et des sensations tactiles, flirtant avec la conscience avec une cohérence qui  demeure encore voilée.

Le bois, la pierre: la planète terre. L’univers, le cosmos. La matière, la masse originelle, reconnue, palpée, tenue à la lumière. Dotée d’une forme. De très longues sculptures… des séries d’êtres munis de racines. Simbi peigne ses longs cheveux. La vieille barbe de Loko fait jaillir le tourbillon du temps et les langues de feu de djab (diable) pénètrent la terre.

L’homme africain dans son environnement premier. Homo Erectus. L’art paléolithique de Tassili, la magie des cavernes ressurgie du plus profond des âges. Force du point, précission de la ligne, une ligne continue puis brisée. On pense à l’art vaudoun d’Hectr Hyppolite, dans le tracé de vèvè comme sur toile: la légèreté et la masse de cette énergie canalisée. Un énergie jaillie du berceau de l’humanité, le cri de la vie.

Cercle, carré, alphabet et chiffre, éléments de classification…., l’écrire en soi plus signifiant que ce qui est écrit. E.T.C.**.I.BA.L.F.S.NJ. EZ. N’importe quoi, automatisme, à déchiffrer, l’alphabet de Napata et Méroé, les capitales successives de l’antique royauté koushite, dans ce qui est à l’heure actuelle le Soudan. Code hermétiques qui restent à déchiffrer, rupture ésotérique des processus de pensées. Délire du scribe et magie du nombre enrobés d’un vernis de signifiant. Baka – génies malfaisants, terrifiantes figures de l’inversion, évocations spéctrales et anthropomorphiques du malheur.

Crachats, serpents lovés, dragons majestueux. Femmes à la poitrine fièrement bombée et aux solides jambes de bovin. Le culte voluptueux de Mithra, la déesse égorgeant un taureau dont les pattes émergent de sous les drapés de sa robe tandis que ses bras de femme enlacent le cou de l’animal en une étreinte teintée d’érotisme…

Bosou Twa Kon Kandonble, le djab taureau tricorne qui forme une trinité avec Bosou Marasa, les jumeaux divins. On retrouve des représentations originaires de Sumer et d’ancienne Egypte, de la Rome Antique aussi, ainsi que de Grèce, de l’Europe médiévale, d’Afrique à travers les âges. Ces figures mythologiques ayant surgi dans des civilisations très anciennes, et dont se servent les initiés des cultes mystiques, constituent les principaux adversaires du pouvoir naissant de l’Église.

Le phœnix des cathédrales nubiennes du XVIIe siècle, au confluent de l’Egypte pharaonique, de l’Egypte copte du Soudan.

La culture de la création mystique. Des rangées successives de statues bizangos, droites comme des soldats, noires et rouges, évocatrices par leur puissance des colonnes de Louxir. Effets d’orientation / désorientation, symbole du dilemme identité/ collectivité. Le bizango se dépêchant d’aller s’habiller pour le rite magique après l’introduction rituelle rata, empilant les adeptes dans la minuscule salle de préparation… Sensualité de la chair, de la chair se fondant dans la chair comme l’être se fond dans l’être.

La baguette mystique, emblème du pouvoir pharaonique, qui a continué à occuper dans la tradition judéo-chretienne (Moïse) aussi bien que dans les ordres médiévaux comme les Templiers, une place centrale qu’il retrouve dans le vaudoun. Dans la cérémonie rituelle, les femmes se connectent avec la société matrilinéaire de l’ancienne Egypte, de Méroé et de l’ensemble du continent africain.

Défilé fantastique: Belzébuth, divinité cananéenne devenue via le catholicisme le prince des démons, entièrement équipé au combat avec ailes dorsales, main dans la main avec Adonaï Astaroth, Lucifer, et une bonne escorte de “diaboliques” Sarazen (Sarrasins) à la barbe espagnole… Un légion des ténèbres aux tenues martiales surgies du Moyen Âge, épée au poing, saint Jacques à la conquête de ces mêmes Arabes, couvert de pentacles et d’osselets.

On trouve dans les grimoires aussi bien que dans la chromolithographie de quoi alimenter cette extraordinaire magie néo-pythagoricienne. L légende d’Hermès Trismégiste et la tradition ésotérique arabe mélangée à l’iconographie catholique. Les ennemis de toujours s’unissent pour ne former qu’un.

Sisya, victime de cette coalition contre nature: une figure d’une mélancolie poignante, tragique. Des yeux noirs dénués d’expression, un fichu noir sur la tête, elle repousse avec un calme glaçant un crâne posé sur un plateau. Le crâne est plein d’humanité privée de vie – la tragédie des pouvoirs détournés. Ainsi se déploient les visions magiques du vaudoun. La population dans sa très grande majorité ne recueille que des miettes de cet ensemble de connaissances. Isolées de leur contexte, les bribes dégénèrent en superstitions, en code cryptiques et étranges; Ce qui reste de la sagesse ancienne, désormais élitiste, est conservée dans les grimoires. Ces derniers, au départ recueil de préceptes à l’avant-garde du progrès, deviennent peu à peu des livres bourrés de vulgaires formules, de recettes simplistes depuis longtemps surannées. Privée du soutien de la machine à penser, la haute magie se dégrade pour ne plus être qu’une basse magie ne reculant pas devant la mystification avec l’usage de futiles pratiques de sorcellerie. Ceux qui contrôlent le pays sont heureux de diffuser ces reliques – surtout si elles donnent lieu à une opération marchande – de façon à canaliser la volonté de transformation naïves  du peuple dans des activités stériles. On fait prendre à la nouvelle population vaudoun des objets sans significations pour l’acte de représentation lui même, la force de désignation de l’objet, la capture du double grâce à sa matérialisation. Verbe, nommo. De sorte que de nos jours nous nous trouvons très souvent confrontés à l’amalgame entre signe éclectique et signe creux ou vide.

La puissance de la haute magie vaudoun repose sur une toute autre base. Visant au coeur de l’expérience humaine, elle a tissé un fondement qui se traduit par un système de perception et de pratiques d’une grande rigueur. Cette évolution exige une liberté d’expression exceptionnelle, que l’on peut qualifier d’artistique, tout en précisant que cette expression est anti-individualiste, soumise à la volonté de changement collective. Dans la danse comme dans les autres domaines, le vaudoun lie le corps à la psyché afin d’atteindre une expérience bouleversante et transformatrice. Ceci est possible grâce au regroupement d’effets à la fois universels et singuliers. D’où l’importance capitale de l’imagerie active, du symbole de projection et du rituel cérémoniel. mais n’accèdent à ce domaine que ceux-là qui sont passés maitres de l’art de provoquer et de signifier une réaction.

L’inspiration poétique soumise aux forces de la lutte violente, tel est le thème de cet art magique. Le calme absolu de la haine à son plus haut degré. L’art de dessiner des êtres multiples. La nature, l’artiste et le public, le collectif et/ou l’individuel. La rencontre de la dissonance, comme dans la musique de Thelonious Monk ou l peinture de Jean-Michel Basquiat. Le chaos, originel et social, se trouve alors contenu, ordonné, discipliné, grâce à la constante reproduction de ses effets déstabilisateurs.

La symétrie joue parfois avec l’équilibre d’ensemble: en dessinant l’être, un être  seul et néanmoins collectif se mouvant doucement dans la douceur de la nuit , avec des étoiles qui fondent, une lune qui fait pleuvoir des émotions. Harmonies singulières de formes dérangeantes à souhait. Et cette tranquillité enveloppante qui guide le “nouveau né” vers les mystères d’un univers commun à tous…

Mais, à d’autres moments, le déséquilibre se trouve provoqué de manière délibérée et uniformément. L’art de la magie vaudoun se donne pour tâche de vous déstabiliser, au moyen de techniques spécifiques de torsions et distorsions, atteignant, à son sommet, la pureté du mutant. Nous décrirons ici deux moyens de parvenir à ce résultat. Une superposition discontinue est établie à partir d’un viol de la logique du discours, ou d’une brusque substitution de grille de lecture. On peut, d’une part, aligner des termes numériques, et faire apparaitre des lettres ça et là en produisant un effet de surprise, puis glisser des images d’animaux. D’autre part, l’unité de forme donnée par celle du fauteuil rituel se trouve brutalement déchirée par l’asymétrie de son dossier, lui même perturbé par une nouvelle charte de couleurs. Chaque séquence de changement produit une rupture dans la lecture: le témoin est désarçonné.

Peu à peu, les perturbations dans les séquences s’accélèrent, les séquences raccourcissent. Les grilles se superposent aux grilles… La diversité des déséquilibres est infinie. On en a un exemple dans les sculptures du djab. Ce dernier est représenté avec un regard d’aliéné cherchant désespérément la terre ferme. En outre, sa posture semble indiquer qu’il est sur le point de trébucher et de tomber. Ces représentations son censées renforcer ou refléter l’état personnel de déséquilibre / équilibre du spectateur.

Le magicien-artiste, figure centralisatrice, qui concentre en lui la violence latente de la communauté, diffuse des signaux de dérèglement amplifiés par la centralisation dont ils font l’objet. D’où le danger associé à cette opération et l’importance primordiale de l’artiste-magicien. En qualité de médium, il/elle reflète la société: le geste magique est engendré par l’immersion dans une expérience sociale. Mais le magicien acquiert aussi des facultés spéciales lui permettant de canaliser et de concentrer la force dans le but de la projeter.

Le contenu de l’objet obtenu, qu’il soit représenté dans l’espace (sculpture) ou bidimensionnel ou encore multidimensionnel et collectif (iconographie cérémonielle), joue sur les significations sociales. En premier lieu, d’un point de vue littéral, des signifiants tels que machettes, cercueils, pierres tombales, feuilles, serpents, foudre, cornes de bélier ou de taureau, sont en soi évocateurs d’images porteuses de perspectives, de menaces, d’oppositions. Deuxièmement, les lignes de l’ensemble forment une œuvre distincte qui suggère l’existence préalable de certains états. Étant donné son évolution, sa fonction et son modus opérandi, le corpus de l’art magique vaudoun insiste, au moyen d’un subtil équilibre, sur les compositions mettant en valeur la tension et la rapidité, la centralisation et la concentration, la douleur et la violence.

La corrélation entre la figuration symbolique directe et l’intention connotative d’ensemble indique le niveau d'”occulte” inhérent à la pièce. L’œuvre plasticienne vaudoun, en particulier la sculpture, atteint sa force grâce à l’équilibre de ces deux facteurs. Elle concentre la complexité des énergies accumulées, la lutte interne d’une unité contradictoire. Cet art, comme la magie dont il est dérivé, se spécialise dans la confrontation, l’interaction et la sublimation de la contradiction.. Pour réconcilier les contraires, il commence par présenter l’impossibilité de leur résolution et ainsi dénonce le scandale et la cruauté d’une compréhension partielle. À d’autres moments, toutefois, il rend hommage à la connaissance, même fragmentaire, ou exalte des facultés précises.

L’expérience cérémonielle incarne à elle seule la maji vaudoun, les facultés de transformation de l’esprit en tant que matière. Les mécanismes du rituel agencés suivant la progression de la modalité associative, culminent dans la transe – un état combinant un libre flot d’émotions chargées d’énergie avec des codes de conduite déterminés et considérés comme sacrés. Dans le rituel, la projection de l’image est multidimensionnelle et multirelationnelle, globalisante: la forme et la couleur de l’hounfor, la décoration, la congrégation, l’odeur de feu, du rhum blanc, de la sueur, le contact de la terre sous la plante des pieds nus, le son obsédant des tambours battants sans fin. Le cosmos, uni, se “brise'” sans raison… et le corps suit, bascule, tête la première, dans l’univers global de l’occulte.

DISPARAITRE POUR DURER

Dans cet art savant de la médiation, les symboles, aujourd’hui, deviennent de plus en plus étrangers. La terre, l’eau, les feuilles, la forêt, les animaux de toutes sortes semblent se rétrécir, se retirer. La terre absorbe les réserves d’eau et n’a pas grand chose à offrir aux nouvelles générations. Les feuilles magiques du vaudoun se font rares, et les forêts d’autant plus mystiques qu’elles reculent. Les quelques serpents, oiseaux, bétail, pas encore en voie d’extinction font trembler une population qui redoute leur pouvoir vénéneux dans son inconscient collectif. En réalité, ils sont aussi peu nombreux que chétif. Au bout du compte, les seigneurs de la mythologie vaudoun, ainsi que leurs alliés d’outre-mer, sont tenus pour responsables du désastre: les divinités paternelles et les “maitres” qui ont le malheur de trop ressembler aux grandons de sinistre mémoire, ces seigneurs demi féodaux qui jouèrent le rôle de relais de transmission de la répression duvaliériste. La fin de leur règne évoqua dangereusement dans l’opinion populaire la fin du domaine magico-religieux

Par ailleurs, les modes d’expression collective d’ordre magico-religieux qui tournent autour de la figure centrale de magicien-artiste ne correspondent plus à la réalité sociale de la migration et des bidonvilles. En d’autres termes, le démantèlement du Lakou (les grandes habitations rurales) a provoqué une confrontation entre un art avant tout féodal et un système social en pleine mutation. Ce dernier souffrant d’une pénétration progressive de nouvelles relations économiques au sein d’une organisation sociopolitique qui se révèle, malgré tout, d’une stabilité surprenante.

Que peut-on dire de la survie des formes magico-religieuses vaudoun et de leur validité dans un contexte aussi changeant? Dans le cas de la diaspora haïtienne qui continue à pratiquer ce culte, la question se pose de façon encore plus aiguë. Quelles sont les limites du symbolisme compte tenu du détachement croissant de son imagerie de la réalité de tous les jours? Où faut-il chercher ses capacités d’adaptation? les richesses accumulées en des temps d’une dureté inimaginable semblent animées d’une force propre, qui, de ce point de vue, n’est égalée que par l’obstination du système social en décomposition.

Poser la question de la transformation revient à aborder celle des objectifs dans une société renouvelée. Depuis ses origines, cet art de stimuler l’imagination n’a rien de neutre, ce qui nous ramène au problème de sa finalité. Dans quelle mesure le Haïti de demain, celui de ceux qui en cultivent le sol, pourra-t-il récupérer ces techniques séculaires sinon millénaires que se sont appropriés les classes exploitantes? Jusqu’à quel point peuvent-ils les détourner à leur profit des objectifs de domination de ces classes? Comment peuvent-ils canaliser leurs capacités dans une perspective radicalement différente?

Il y a danger inhérent à la confusion de la forme et du contenu, un risque de restaurer à travers la forme un contenu qui a été rejeté avec violence. C’est le risque de régression. Avancer est le seul moyen de se soustraire à l’influence contradictoire du djab: avancer dans le temps, l’espace, le rythme, la pensée, les relations sociales. L’art magique vaudoun repose sur la force du renouveau qui jaillit de ces moments d’antinomie, ces temps productifs de l’histoire des hommes.

Les rois et le clergé d’Abomey, annexant les vodoun des peuples conquis s’attachèrent à centraliser ces éléments disparates en une synthèse nouvelle, aussi peut-on parler du culte de ces grands dieux comme d’une tentative de “religion d’État” par opposition aux aspects strictement familiaux ou même individuels de la religion dahoméenne.

La classification proposée par Herskovits présente l’avantage d’être simple, claire et cohérente. De plus, elle présente une analogie structurelle avec le vaudou Haïtien qui ne nous a pas semblé fortuite. D’après cette classification, les cultes publics se divisent en trois grands panthéons autonomes, mais qui se cherchent sans cesse des points de contact: au premier rang, le panthéon des dieux du ciel, puis vient celui des deux de la terre et enfin celui des dieux du tonnerre, qui contrôlent le tonnerre et la mer.

LE PANTHÉON CÉLESTE:

Le culte des dieux du ciel fut institué officiellement par la mère du roi Tegbesou (1728 -1775). Il est celui qui, au dahomey, recueille le plus faible nombre d’adeptes. Il n’en occupe pas moins le tout premier rang de la hiérarchie religieuse. Sa liaison avec la famille royale donnait à lui sel droit à des sacrifices humains.

Pour les prêtres du panthéon céleste, le monde a été créé par un dieu hermaphrodite, Nana Buluku, qui, en se fécondant lui-même, à donné naissance à deux jumeau: mawu et Lisa, auxquels a été confié le commandement du monde.

Mawu, la femme, a pour domaine la nuit, elle gouverne la lune. Le peuple préfère à son frère époux car,  elle est plus clémente, plus sage, plus douce. La nuit, son royaume, est le temps du repos, de la fraicheur, des rapprochements.

Lisa, l’homme, règne sur le jour. Son élément est le soleil. Vif, rude, il est associé à l’effort, car le jour est le temps du travail.

Autre personnage du panthéon céleste: Gu, dieu du fer et des forgerons. Gu est un civilisateur, c’est lui qui a rendu la terre habitable aux hommes, et son oeuvre n’aura jamais de fin. Il est devenu, dans le Dahomey moderne, le protecteur des chauffeurs et des mécaniciens. C’est le Vodoun du progrès, le symbole de l’intelligence agissante de l’homme.

LE PANTHEON TERRESTRE:

Pour les prêtres de Sagbata, les enfants de Mawu Lisa sont les principaux vodoun de la terre – le couple céleste est ainsi repris comme géniteur des vodoun terrestres.

Les ainés de ses enfants, Dada Zodji et Nyawé Ananu, sont des jumeaux de sexes différents. Ils représentent Sagbata et sont chargés du gouvernement de la terre. Ensuite vient Sô, ou Sogbo, androgyne comme son géniteur Mawu Lisa et resté au ciel près de lui. D’après les prêtres de sagbata , il a donné naissance aux dieux du panthéon du tonnerre (Hévioso). Le panthéon du tonnerre est donc le cadet du panthéon de la terre. Si la domination de la terre est acquise à Sagbata, il est cependant dépendant de son cadet Sogbo,  maitre de la pluie, sans lequel il ne peut rien – une situation fort mal ressentie, source de querelles sans fin.

Viennent ensuite les jumeaux Agbé et Naété, dont le domaine est la mer (Agbé est probablement devenu Agoué, loa de la mer en Haïti), puis Cu, vodoun du fer, puis Agê, le chasseur, Djo, l’air, le souffle, la vie et enfin Legba dans son rôle d’ambassadeur et d’interprète.

Chaque dieu parle une langue incompréhensible pour ceux des autres panthéons. Legba est le seul à les connaitre toutes, en plus de celle des hommes. IL est donc le “linguiste des dieux” et l’envoyé de Mawu.

LE PANTHÉON DU TONNERRE

Le nom générique de ce panthéon est Hévioso. Comme Sabgbata, Hévioso désigne une famille de dieux et ne renvoie à aucun personnage individualisé. Au Dahomey, Hévioso est constitué par la réunion de deux groupes de vodoun aux caractéristiques très différentes: un premier groupe dont la vocation justicière s’exerce pa r la foudre et un second groupe lié à la mer, source de toutes les eaux car d’elle vient la pluie.

Sogbo, Agbé et Badé, la voix la plus formidable du tonnerre, le sorcier maléfique, sont parvenu en Haïti. Au Dahomey, Badé commande à Aido Wédo, le serpent arc en ciel qui transporte l’éclair meurtrier sur la terre.

Ces panthéons, en tant que familles de dieux dominants les éléments naturels, disparaissent en Haïti: chaque dieu transplanté garde ses attributions, mais de manière individuelle. Cependant, le chiffre trois, qui domine tout l’ésotérisme dahoméen, domine aussi l’espace religieux haïtien. Il  y a trois panthéons dans le vaudou haïtien qui portent les noms des trois grandes classes ethniques de la colonie: Le panthéon rada, pour les dieux dahoméens et yoroubas, le panthéon congo, où l’influence des Bantous est plus nette , et le panthéon pétro, d’élaboration créole. Tous les éléments légués par les autres peuples seront intégrés dans ces grandes catégories.

LES CULTES PERSONNELS

Il existe dans la religion dahoméenne des vodoun qui, sans appartenir à un panthéon déterminé, sont présents dans tous les rituels. Il s’agit de divinités personnalisées, comme Legba, ou bien de principes plus abstraits, comme Dan ou Fa. Ce qui créé une parenté entre ces différents vodoun , c’est leur richesse philosophique et le caractère indispensable des notions qu’ils incarnent dans la cosmologie dahoméenne.

Dan: Dans est un principe divin complexe aux multiples avatars. Associé au serpent, il est plus qu’un serpent: il est la qualité de ce qui est vivant, exprimée par toutes les choses flexibles, sinueuses, humides, par tout ce qui rampe se plie, se déplie, n’a pas de jambes, l’arc en ciel, la fumée, le cordon ombilical, les racines, les nerfs, le sexe de l’homme sont des choses Dan. Dan est la vie, Mawu, la pensée.

Dan représente le caractère aléatoire de la vie, la mémoire dans ce qu’elle a a à la fois de fluctuant, d’insaisissable et de permanent. Ses principales manifestations sont Aido Wéo et Danbada Wédo.

Aido Wédo exprime la négation du commencement absolu, l’idée d’une succession infinie de mondes et de créateurs dont l’homme a perdu le souvenir, mais qu’il se doit d’honorer avec le plus grand soin. Danbada wédo est le souvenir du clan, l’incarnation des parents puissants mais trop anciens pour vivre encore individuellement dans la mémoire de leurs descendants. Grâce à Danbada wédo, le clan peut leur rendre un culte collectif.

Dan est donc la continuité: c’est pourquoi on le présente comme un serpent qui se mord la queue. Continuité du temps religieux, du temps biologique, de la présence matérielle du clan.

Legba et Fa: Legba et Fa sont des divinités étroitement liées dans leurs rapports avec les hommes: fa est l’ordre, la parole de Mawu, le destin du monde et de l’homme dans ce qu’il a d’inexorable; Legba est la personnification de l’accident dans le monde, il est le moyen pour l’homme d’échapper à son destin, de tricher; il est la colère des dieux, la colère de l’homme, cette impulsion qui a pour siège le nombril et que l’homme se doit d’apaiser.

Fa et Legba, en somme, sont des compagnons médiateurs entre les dieux et les hommes. Fa est le principe de la certitude et de la prédiction; à l’opposé, Legba provoque volontairement contestation et désordre, il est le principe de l’incertitude. Legba pousse les hommes à offenser les dieux, Fa leur apprend le moyen de se réconcilier. L’existence de l’un est nécessaire à celle de l’autre. Leur relation est un exemple frappant de dualisme équilibré: il est nécessaire que l’ordre soit rompu pour le renouveau et le changement de la vie. Le conflit est valorisé et considéré comme constructif. On ne le supprime pas, et l’équilibre s’installe dans la dialectique des oppositions.

Legba est craint, c’est un tricheur qu’il est indispensable de se concilier pour échapper à ses mauvais tours; mais on a pour lui une immense affection , car il est capable du meilleur comme du pire. Il déjoue surtout les pièges que les dieux tendent aux hommes. En tant que messager et linguiste des dieux on lui offre toujours un sacrifice avant de s’adresser à eux: tous les grands couvents initiatiques possèdent un legba, un danseur voué à Legba. L’affection que lui portent les Dahoméens est pleine de sympathie indulgente, car Legba c’est l’humour, la truculence , la sexualité débridée. Il est le vagabond, celui qui n’a ni temple ni prêtre, qui n’exige aucune initiation: legba fait en quelque sorte parti intégrante de l’homme.

Par un curieux revirement, Legba est devenu en Haïti un personnage éminemment respectable: il a perdu sa truculence, son caractère perturbateur pour se transformer en un très vieil homme, perclus de rhumatismes, frigide, entouré par l’immense déférence de ses fidèles. Il est resté cependant le messager des dieux, le maitre des carrefours, celui qui ouvre toutes les barrières, que l’on invoque le premier, et qui inaugure les cérémonies.

Fa, lui, “nest pas une force naturelle, il est la sollicitude de Dieu pour sa création”. Il est très important pour chaque homme responsable, ayant charge d’âmes, de maitriser son destin: l’initiation au culte de Fa, conduite par le bokono (devin, prêtre de Fa), assure à toute sa famille et à lui-même une vie harmonieuse.

Le mode de divination le plus suivi, avant l’importation de Fa, était Bo: “Bo était un dieu, mais personne ne peut dire au juste d’ouù il est venu, ni à quelle époque” Le roi (Agadja), “qui haïssait ce Bo parce qu’il permettait trop d’alliances contre lui”, le remplaça par Fa, mais il eut à vaincre une sérieuse résistance, et c’est certainement pour cela qu’il vendit aux négriers tous les spécialistes de Bo — lesquels se retrouvèrent en Haïti: le rélé loa nâ govi (appel aux lwas dans une cruche) ou le rélé mô nâ dlo (appel du mort dans l’eau) constituent un mode de divination extrêmement courant en Haïti — Or il s’agit de l’exacte reproduction de la divination Bo.

LISA DESQUIRON POUR L’ABBAYE DOUALAS –

LORAY GWONDÉ BON BÒKÒ

 

De retour sur ce petit blog, j’ajoute aujourd’hui une nouvelle section qui sera dédiée au chamanisme de manière global (dans le contexte magique comme dans celui de la médecine). En effet depuis quelques temps je me suis réfugié dans l’étude des coutumes de confrères avec qui je partage de nombreux points de vue sur l’invisible, les trois mondes et les états modifiés de conscience. De nombreuses corrélations existent entre les différents “chamanismes” ou cultures animistes des grands continents et il semble intéressant de pouvoir échanger à ce sujet.

Pour le premier partage je vais tâcher de rester accès sur le Vodùn Africain, en vous offrant l’extrait d’un ouvrage de Malidoma Patrice Somé.

Ce dernier est un Boburo (homme médecine) ainsi qu’un devin de culture Dagara, au Burkina Faso. Titulaire  de deux doctorats (la sorbonne et Brandeis University),il est l’auteur d’un ouvrage intitulé D’eau et d’Esprit: Rituel, magie et initiation dans la vie d’un chamane Africain. Dans l’extrait que vous allez lire, l’auteur évoque des projectiles invisibles utilisés par les hommes-médecine Dagara. Ces derniers travaillent “en privé”, ce qui veut dire qu’ils pratiquent leur art en cachette et sans se soucier du bien de la communauté. Ces projectiles ne sont pas sans rappeler ceux dont parlent les chamanes de l’Australie à l’Amazonie. Bien loin du monde des bisounours cher à de nombreux néo-chamanes, ce petit extrait montre que la frontière entre sorcellerie et chamanisme est infime. Certains jugeront ce récit totalement absurde mais pour les plus avisés, il reste le reflet d’une réalité invisible.

Bonne lecture


 

La technique la plus commune dont se servent ceux qui travaillent dans le privé est le lobir, un projectile invisible connu des guerriers des sociétés secrètes. Un lobir peut assumer n’importe quelle forme, le plus primitif se limitant a un objet projeté dans le corps de l’individu, le plus perfectionné étant une chose vivante. Dans ce cas la taille du lobir peut ne pas dépasser celle d’un ver, mais elle peut aussi être bien supérieure, étant uniquement limitée par la capacité qu’a le praticien de guider le projectile.

Les funérailles constituent un contexte idéal pour toutes sortes de guerres de magiciens. Après chaque célébration, un certain nombre d’hommes et de femmes ont la malchance de tomber gravement malades, parce qu’ils ont été, sans le savoir, la cible d’un ennemi ou ont été atteints par un lobir destiné à quelqu’un d’autre. Ceux qui attaquent les gens avec des lobie se cachent et oeuvrent clandestinement. Il arrive qu’ils se rendent à l’enterrement en portant sur le dos d’étranges petits sacs en peau de félin qui contiennent un arsenal invisible pour un observateur non avisé. Ils peuvent aussi se mêler aux chanteurs sans que personne soupçonne leur présence.

Le contenu de ces sacs reste secret, car personne ne vérifie ce que renferme le sac d’un autre. La plupart des hommes, d’autre part, notament les parents proches du défunt, portent sur le dos des sacs de peaux d’animaux lorsqu’ils assistent à un enterrement. Ces sacs constituent une sorte de trousse de premiers secours dagara et renferment des cauris et des objets médecine utilisés pour les soins. Comme les funérailles ne se déroulent pas en cercle fermé, et comme chacun est moralement obligé d’y participer à un moment ou à un autre, différents types de personnes peuvent s’y présenter.

Ceux qui travaillent dans le privé sont capables, la plupart du temps, de frapper leur victime désignée sans se faire remarquer. D’un simple geste de la main, ils peuvent envoyer des projectiles invisibles contre leur ennemi. Une fois touchée, la malheureuse victime ne ressent pas de vive douleur. En fait, elle a avant tout envie de se gratter. Plus tard, toutefois, la démangeaison empire à tel point que la victime, totalement affaiblie, est forcée de quitter l’assemblée à la recherche d’un guérisseur.

Pourquoi une personne vivant au sein d’une communauté tribale voudrait-elle blesser les autres par un tel procédé? Simplement parce qu’une personne mauvaise ressent du plaisir à commettre de tels actions. On dit que cette personne est possédée par les mauvais esprits. Que cela serve d’avertissement à ceux d’entre vous qui s’étaient mis à se représenter la vie indigène sous un jour romantique: Le monde indigène n’est pas un univers où tout se déroule harmonieusement, mais un monde où les gens doivent constamment rester sur le qui-vive, de façon à détecter et à corriger les déséquilibres et les maladies qui affectent aussi bien la vie de l’individu que de la communauté.

Comme les balles tirées du barillet d’un revolver, les lobie peuvent atteindre n’importe qui. De la même façon qu’on doit porter un gilet pare-balles pour ne pas être atteint par des projectiles, on peut avoir un gilet “pare-lobie” magique tout autour de son corps.Toutefois contrairement au gilet pare-balles, dont l’action est limitée, le gilet “pare-lobie” est sans faille.

Une fois construit sur le modèle du système énergétique du corps, il devient une partie de l’individu pout tout le temps qui lui reste à vivre. Qui plus est, quiconque envoie un projectile contre une personne qui bénéficie d’une telle protection risque de se voir frappé en retour pour son propre lobir, étant donnée que ce “gilet” a le pouvoir de défléchir la trajectoire du projectile nocif en direction de celui qui a fait le mal, car , comme on dit dans ma tribu, il est impossible de se défendre contre son propre projectile une fois qu’on le reçoit en retour.

Je me souviens d’une histoire que mon père me raconta un jour au sujet d’un lobir. Il assistait au funérailles d’un ami. Au cours de l’une des danses cathartiques communautaires, il fut frappé à la main gauche par quelque chose qui ressemblait à une abeille. Cette abeille, toutefois, traversa directement sa peau pour disparaitre dans son bras. Mon père pouvait la sentir bourdonner sous sa peau.

La douleur était telle qu’il tomba sur le sol poussiéreux et s’évanouit. On l’emmena à la salle des urgences du guérisseur local, qui examina le lobir qui bougeait et reconnut son fabricant à la vitesse à laquelle la main de mon père se mettait à enfler. Après avoir immobilisé le lobir, le guérisseur, pratiqua une minuscule incision et chassa l'”abeille” en plongeant une fléchette dans le corps de mon père. Lorsque l’abeille-lobir tenta de s’échapper, il l’écrasa avant qu’elle ne puisse prendre son envol. Il donna une potion à mon père pour qu’il puisse reprendre des forces. Avant de regagner la cérémonie, il lui fallut toutefois se laver avec une décoction spéciale, destinée à former un bouclier contre ce type de projectiles invisibles. Depuis ce jour, quoique immunisé, mon père fit très attention aux lobie. J’ai souvent entendu parler d’histoires similaires. Quand j’avais quatre ans, j’ai notamment vu mon grand père extraire du corps des victimes de lobie qui ressemblaient à des os, des aiguilles, des plumes ou de la fourrure. Quiconque, dans ma tribu, ignore ce genre d’avertissement, sous prétexte qu’il ou elle se sent invulnérable, n’exhibe qu’une dangereuse vanité.

Le deuxième jour des funérailles de grand-père, les nimwiedem, “ceux qui ont des yeux” des membres de sociétés de médecine, des initiés, ainsi que des gens qui ont des dons d’observation particuliers  gardèrent un oeil sur ce qui se passait dans leur entourage, de façon à prendre les mesures qui s’imposaient. Une personne ordinaire ne peut pas voir les lobie. Pour avoir cette capacité, il faut savoir comment s’en servir ou être dûment immunisé. Pour le commun des mortels, les lobie peuvent ressembler à quelque chose d’aussi inoffensif que les rayons du soleil, mais pour des voyants confirmés, ils peuvent apparaitre sous la forme, par exemple, d’une multitude de petites étoiles filantes, traversant l’espace à différentes vitesses. Certaines de ces étoiles disparaissent lorsqu’elles entrent en collision avec le corps d’un humain.

Si quelqu’un est touché par un lobir, il ou elle se mettra inévitablement à se gratter quand la chose aura disparu, avertissant ainsi la tireur que le lobir atteint sa cible. Mais, parfois ces minuscules “étoiles” atterrissent sur le sol, mettant en danger quiconque poserait le pied sur elles. La malheureuse victime  peut alors sursauter comme un chat qui aurait accidentellement mis la patte sur un charbon ardent, mais aucune complication ne se manifestera à part une légère brûlure de la peau. Un lobir ne peut faire du mal qu’a celui ou celle qu’il est censé blesser. Mon père m’expliqua un jour que l’une des raisons pour lesquelles certains projectiles manquent leur cible est que celui qui les envoie ne connait pas suffisamment bien le champ énergétique de sa victime. Ainsi, peu après qu’il aura été lancé, le missile ne saura plus où se diriger. Il finit par tomber par terre et, parfois, il meurt peu de temps après avoir été tiré.

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MALIDOMA PATRICE SOMÉ

 

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