Un été, dans un quartier pauvre de Port-au-Prince, je me suis engagée dans une ruelle poussiéreuse bordée de maisons peintes de couleurs vives pour aller rendre visite à la mère d’un ami Haïtien de New York. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé allant de bras en bras, de foyer en foyer, embrassant sur les deux joues les cousins et cousines des différentes branches de la famille de mon ami, épuisée par la chaleur et le battement sonore de la musique compas que déversaient des haut-parleurs extérieurs. À un moment donné, je me suis retrouvée à serrer la main d’un homme qui me souriait de toutes ses dents, des dents extraordinairement petites pour quelqu’un de sa stature. “Si vous êtes vraiment ethnologue, vous devriez aller le voir, c’est un bòkò”, me souffla une bonne âme.

Un bòkò en Haïti, est un spécialiste des questions surnaturelles. Contrairement au houngan ou à la mambo, qui sont au centre d’un réseau communautaire religieux, il agit seul, en franc-tireur. Il a en outre la réputation de “travailler à deux mains”, autrement dit de posséder tout à la fois le pouvoir de guérison et celui de la vengeance. L’anthropologie traditionnelle le qualifierait de sorcier.

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Bòkò Saint-Jean 1968

Le lendemain, je repris le chemin de Monatuf, ce bidonville au centre de Port-au-Prince, et m’employai à chercher sa maison parmi les nombreux cubes en ciment colorés coiffés de tôles ondulées qui se pressaient, accrochés au bord d’un ravin servant à la fois d’égoût et de décharge. Le Bòkò répondant au nom de Saint-Jean m’invita à entrer. Il affichait toujours ce sourire découvrant des dents de bébé jaunies par le tabac et s’exprimait dans un créole haché. La conversation se cantonna à des échanges polis, style “quelle belle journée, quelle jolie maison” tandis qu’il m’offrait des rasades d’alcool de canne, ou kleren, arrosé, à l’en croire, d’un remède anti-poison. Je ne pus m’empêcher d’attacher mon regard à son autel, qui occupait la plus grande partie de la pièce, et en particulier à un objet qui me paraissait aussi étrange que beau: une bouteille enveloppée dans un tissu rouge, blanc et noir, et ceinturée de miroirs brillants comme des phares. Des ciseaux ouverts, accrochés au goulot, formaient deux grands X.  ” Quelle belle bouteille”, commentai-je. “Merci me dit-il. Vous voulez que je vous en fabrique une?”

C’est ainsi que fut commandée la bouteille; je la considérai comme la première pièce de ma collection d’objets d’art. Avais-je tort ou raison? Avant de me la donner, le bòkò la transforma en objet magique, en wanga, au cours d’un rituel dont le sens m’échappa. Je rapportai la bouteille chez moi comme on rapporte une énigme. Comment une personne appartenant à une culture donnée pourrait-elle comprendre un objet ayant sa place dans une autre culture? Je décidai de mener une enquête pour découvrir de quoi retournait justement cet objet, comment fonctionnait un wanga et pourquoi il était aussi interessant d’un point de vue purement visuel. Tandis que je le contemplai, j’eus la bizarre impression qu’à son tour l’objet m’observait. Non seulement me regardait, mais me dévoilait, par des signes imagés, les interrelations entre le secret et le savoir dans les arts magiques haïtiens, la poétique de la volonté et du désir, la réalité de l’esclavage et de la mort. Ensemble, l’objet et moi, nous avons sondé la profondeur des racines centres-africaines des religions d’Haïti et examiné comment se transcrit l’histoire dans un pays où personne ne lit ni n’écrit. Mes entretiens avec la bouteille se mua en une véritable voyage initiatique.

La bouteille qui ne “S’arrêtait jamais”

IMG_2192.jpegLa bouteille est non seulement une création artistique, mais aussi un wanga, ou travay maji (travail magie). Cela dit, comment opère-t-elle dans cette dernière fonction? Les récentes études sur la culture matérielle m’ont ouvert la voie: tout objet manufacturé, même celui dont le sens parait le plus évident, comporte une multitude de strates de signification d’usages, de symboles et de connotations. Et de ce fait, il est souvent susceptible de servir de clé pour comprendre la culture dont il est issu.

Quelle qu’ait été sa signification aux yeux de celui qui l’avait fabriquée, dès lors qu’elle entra en ma possession, la bouteille se mit à fonctionner au sein d’un “système des objets”: une chose achetée et exposée sur ma table basse pour être offerte au regard admiratif de tous. Par la suite, prenant conscience de son importance, je la rangeai hors de vue. Il n’en restait pas moins que s’agissant d’un objet construit, visuellement codé, d’une sophistication esthétique remarquable. Il était bien question d’art. Et pourtant, c’était un fétiche fabriqué par un sorcier, et à titre il tombait dans la catégorie des objets ethnographiques. À moins qu’il ne relevât de ce que James Clifford qualifie “d’opposition institutionnalisée entre art et culture”, une place qui échoit aux objets acquis dans les pays non occidentaux. D’après Clifford, tout objet exotique collectionné se trouve confronté à choisir entre un milieu d’accueil ethnographique ou un milieu esthétique. Aussi, à mesure que je me frottais à cette pièce haïtienne, je me pris à penser que ce qui lui conviendrait le mieux, c’était une exposition dans un espace public, ou ses qualités esthétiques seraient appréciées au même titre que son inscription culturelle.

En attendant, la bouteille, sur ma table basse, suscitait des commentaires de mes amis. “Tu sais, me lança l’un d’eux distraitement au cours de la conversation, cette chose n’arrête jamais.” En effet, elle bougeait, ondoyait à sa manière. Et si l’on partait du principe que tout objet artisanal incarnait les croyances de sa culture auquel il se rattachait, je pouvais commencer mon analyse par une étude sensorielle. L’objet devait livrer de lui-même les données de la recherche et de l’interprétation. De sorte que je me retrouvai, dans mon salon, en train d’inspecter ma bouteille à la recherche d’indices.

“Cette chose n’arrête jamais”. Si c’était une bouteille, c’était une bouteille extraordinaire. Une bouteille de rhum barbancourt (un rhum de fabrication haïtienne), comme on le constatait à la lecture de l’étiquette transparaissant à travers l’étoffe. Elle ne contenait plus de rhum, mais un liquide à l’arôme puissant. Une odeur forte de parfum, oui, ainsi que ses sédiments que l’ont voyait collés au verre du goulot. La présence de liquide rendait l’objet pesant du bas quand je le tenais. Je le décapsulai pour constater que trois épingles traversaient horizontalement l’intérieur du goulot, tenues de l’extérieur par des aimants. Elles ne semblaient être là que pour représenter l’élément métal.

IMG_2193La bouteille était lourde du haut, aussi, à cause des trois aimants qui encerclaient le goulot. Ceux-ci étaient de fabrication industrielle, des pastilles de deux centimètres d’épaisseur, couleur d’acier inoxydable. Ils dépassaient du mince goulot à la façon d’un col, ou d’un collier. Une boucle d’oreille féminine était fixée à l’un des aimants, ce qui donnait à l’ensemble un air guilleret. Les aimants sont des forces élémentaires, la terre étant entourée d’un champ magnétique qui, par l’intermédiaire de la boussole, permet aux voyageurs de s’orienter: l’aiguille indique toujours le nord. On plongeait là au coeur des forces les plus primitives. dans cette bouteille, les aimants créaient une dynamique telle que les épingles à l’intérieur collaient à la paroi de verre. Ils formaient une polarité en vase clos, un discret écosystème.

À l’exception de la capsule Barbancourt, la bouteille était tout entière couverte d’une étoffe noire, blanche et rouge réparties en trois bandes verticales. Ces couleurs, dans toutes les cultures, ont de puissants symbolismes. À l’exception des aimants, l’ensemble se conjuguait sur le thème de l’emballage. On enveloppait et pour mieux cacher un secret. Ici, ce qui était à l’intérieur de la bouteille était en effet dissimulé.

Deux paires de ciseaux ouverts étaient ficelés de part et d’autre du goulot avec du fil rouge. outil basique dans de nombreuses cultures, le ciseau coupe aussi bien le papier que le tissu, le carton et la ficelle. Au même titre que les épingles, ils peuvent se révéler dangereux. Par ailleurs, le ciseau est anthropomorphe: il a quatre “membres.” Attachés en position ouverte, en vis-à-vis de part et d’autre de la bouteille, ils introduisaient une illusion de symétrie. Impression contredite par la présence de trois plutôt que quatre bandes d’étoffe colorée, ainsi que par la disposition des quatre miroirs attachés à la bouteille juste sous les ciseaux mais légèrement décalés. C’est cette concomitance entre asymétrie ternaire et symétrie binaire qui obligeait l’oeil du spectateur à tourner autour de l’axe de l’objet et lui faisait dire qu’il ne “s’arrêtait jamais”.

Les quatre miroirs, de forme ronde, avaient à peine quatre centimètres de diamètre. Cerclés de plastique vert, ils avaient été ficelés à la bouteille avec du fil rouge, de sorte qua chaque miroir était traversé en son centre par une série de traits verticaux et horizontaux. La surface polie était poussiéreuse. Entre les fils et la poussière on ne distinguait qu’un vague reflet. Les miroirs semblaient plutôt réfracter que réfléchir. Brillants capteurs de jour, ils attiraient l’oeil et reflétaient la lumière.

Parfum, épingles, aimants, ciseaux, miroirs: voilà des composantes simples, élémentaires. Et chacune possédait des caractéristiques opposées qui menaient à une impasse pratique: l’eau parfumée contenait des impuretés, les gros aimants attiraient de minuscules épingles, les ciseaux aiguisés étaient rendus inutilisables parce que liés en position ouverte, les miroirs, barrés de liens en croix ne reflétaient pas votre image. Que signifiait le parfum, l’épingle, l’aimant, les ciseaux et le miroir dans le code symbolique haïtien? Que signifiaient-ils dans leurs rapports entre eux?

Au-dessous des miroirs, rien ne dépassait plus de la forme, laquelle, dans sa jupe d’étoffe, se prolongeait, fluide, jusqu’en bas. La moitié de la bouteille semblait correspondre à la ligne horizontale des liens qui fixaient les miroirs. Cette ligne coupait l’objet en deux à l’horizontale tandis que les ciseaux, qui étaient symétriquement opposés, la coupaient à la verticale. Cela dit, cette symétrie binaire se heurtait à l’asymétrie en différents points du fourreau coloré, si bien que l’oeil du spectateur, happé par le déséquilibre, était pris de vertige. Les lignes des ciseaux et des miroirs le faisait tourner autour de la bouteille dans une spirale sans fin, rouge, blanche et noire…. couleurs du Rite Petwo

… / …

En fin de compte ma bouteille vaudoue allait beaucoup plus loin que je ne me l’était figuré au départ. Habitée par un esprit qui lui était attaché , elle était chargée d’une mission et elle affirmait sa personnalité, se présentant dans un habit imaginé codé et drapé de rutilance artistique. Dès lors que vous étiez capable de déchiffrer son message, elle se révélait porteuse d’un condensé matériel historique et d’un système cosmologique miniature. Cela dit, elle n’était pas faite pour être contemplée comme un objet d’art. Elle semblait animée d’une vie propre, se parler à elle-même, à l’esprit qui se trouvait enfermé à l’intérieur. Vivante donc, elle tournait sur elle-même, colorée, provocante, métaphore complexe de ce que le wanga était censé accomplir et non pas de ce qu’il était.

Mais si cette bouteille est bien un écosystème habité par un esprit, comment peut-on l’exposer dans la vitrine d’un musée? me demandai-je. James Clifford suggère que “nous pouvons leur rendre leur statut perdu de fétiches, en faire non pas une production perverse ou exotique, mais nos fétiches propres. Grâce à cette stratégie, forcément personnelle, on accorderait aux choses exposées le pouvoir de fixer plutôt que la seule faculté d’édifier ou d’informer. Les artefacts africains et océaniens pourraient redevenir des objets sauvages, sources de fascination et dorés du pouvoir de déconcerter.

Le wanga en question m’avait en effet “fixée” pendant des années, et édifiée, et informée. La bouteille ait tout à la fois été un objet d’art, un souci et un objet d’étude. Les zombi, s’ils sont encore là, se sont tenus tranquilles dans leur bouteille qui porte toujours sa coquette boucle d’oreille sur le côté. Peut-être sont-ils déjà mort ” par la main de Dieu”. Il est possible q’ils soient encore enfermés dans la bouteille, veillant avec leurs grands yeux miroirs sur mon bonheur.

Je ne crois pas me tromper en affirmant que le wanga a une personnalité. Mac Gaffey a comparé le nkisi à “un ancêtre dans sa tombe” et lui concède une sorte de caractère. À voir un nkisi, écrit-il, “on identifie une personnalité autonome qui semble latente à l’objet et s’éveille grâce  à la relation sans être pour autant limitée par elle.

Désormais je traite ma bouteille comme une chose vivante, détentrice d’une identité, une chose qui respire. Non seulement elle est susceptible de dévoiler des connaissances vieilles de plusieurs siècle sur l’existence de tout un peuple, mais elle porte aussi en elle un eu de la vie des deux âmes qui ont passé un peu de temps sur terre à un jet de pierre du cimetière de Port-au-Prince.

où ma bouteille doit-elle vivre? Elle a passé cinq ans dans mon bureau, à me regarder travailler à ma table. L’exposition Sacred Art of Vaudou lui a permis de trouver une autre place, une place qui privilégie simultanément l’approche esthétique et l’insistance sur le contexte et l’histoire, une place où elle peut être considérée à la fois comme un art et un artefact, comme un fétiche et comme le support d’une histoire culturelle.

“Mes zombis vont enfin prendre le chemin du musée, lançai-je en plaisantant à mes amis. Ils vont pouvoir travailler; nouer de nouvelles connaissances, rencontrer des gens passionnants.” En fait, je me dis que cette exposition va peut-être décupler leur puissance: plus il y a de monde pour les regarder, plus les esprits ont peut-être l’occasion d’être activés. Je vais leur faire de la cuisine sans sel avant leur départ. Ces zombis sont sans doute à ranger dans la catégorie des zombis travailleurs. je souhaite que chaque personne qui rendra visite à la bouteille vaudoue reçoive une part de la chance qui m’a été échue.

Elizabeth McAlister

Traduit de l’américain par Isabelle Chapman

Afin de rendre Honneur & respect à notre amie, soeur, mentor Rachel Beauvoir Dominique, partit pour l’orient éternel dans la nuit du 04 au 05 Janvier de cette année, je vous offre en partage la suite et fin de ce fabuleux texte.41168_1610681427396_595455_n

Bonne lecture.

L’IMAGERIE VAUDOUN: HAUTE ET BASSE MAGIE

Si l’art de la magie vaudoun repose sur l’esthétique du signe et symbole, producteur d’un sens qui parle au for intérieur de chacun, il n’est activé que par l’existence d’interactions au niveau de l’inconscient collectif. Dans la vie quotidienne, la présence de calebasses d’offrandes que l’on place aux carrefours frappe la corde sensible de passants, tout comme le tambours, la nuit, font vivre des scènes précises. Le proverbe Haïtien kreyol palé, kreyol konprann (créole parlé, créole compris) ne fait pas référence à la langue elle-même, mais plutôt à la qualité de son expression qui a pour fonction d’évoquer et non de décrire.

Dans le domaine magico-religieux, le domaine symbolique est de plus en plus réglementé: le tracé de vèvè, le langaj (éléments linguistiques africains associés au langage corporel), le déroulement des cérémonies, la chorégraphie des danses, la musique, les vêtements, les gestes… L’ensemble se rattache à un système complexe et signifiants. Les pratiques relevant de la trilogie Kalfou / Gran Bwa / Simityè stimulent les facultés symboliques dans le graphisme et favorisent la révélation des correspondances cachées. Ces éléments doivent être extraits d’un passé plus lointain que le passé immédiat de la société Haïtienne. Ils s’adressent à l’humanité dans son essence, ils communiquent avec les racines universelles du mysticisme ésotérique. La franc maçonnerie, la rose croix, la kabbale… Toutes traditions qui trouvent d’ardents adeptes en Haïti, aujourd’hui comme hier. Voilà pourquoi il est important de comprendre pour qu’elle raison elles jouissent d’une telle popularité auprès de la population Haïtienne.

La réalité du syncrétisme vaudoun se traduit dans la forme d’un récipient en bois oblong, réceptacle des feuilles frottées au cours de la cérémonie du rite petwo, récipient qui symbolise le bateau mystique, son axe vertical représentant une hampe de drapeau. Il recueille en même temps des traditions pré-et para-chrétiennes classées comme hérétiques depuis toujours. Ranmasé, nous pral ranmasé zafè sa ki sot ki pa ranmase pa yo. (Ramasser, nous allons ramasser les affaires, dommage pour les sots qui n’ont pas ramassé les leurs.)

Les feuilles que l’ont amoncelle dans le réceptacle représentent un amalgame de plusieurs choc de civilisations. On y trouve les religions révélées, le christianisme comme l’islam, l’un et l’autre produits et producteurs de différenciation. Dans un mouvement à la fois de rapprochement et d’éloignement, tout finis par se confondre à la fin dans le rituel des feuilles. Mapou tombe kabrit manje fey Dan Petwo. (le baobab tombe, les biques mangent les feuilles, à petwo.)

Les représentants vaudoun stimulent des régions cachées du cerveau. Comme dans un film surréaliste, des images d’un temps passé très lointain et pour tout étrangement familier passent devant nos yeux , de manière désordonnée, éveillant des odeurs et des sensations tactiles, flirtant avec la conscience avec une cohérence qui  demeure encore voilée.

Le bois, la pierre: la planète terre. L’univers, le cosmos. La matière, la masse originelle, reconnue, palpée, tenue à la lumière. Dotée d’une forme. De très longues sculptures… des séries d’êtres munis de racines. Simbi peigne ses longs cheveux. La vieille barbe de Loko fait jaillir le tourbillon du temps et les langues de feu de djab (diable) pénètrent la terre.

L’homme africain dans son environnement premier. Homo Erectus. L’art paléolithique de Tassili, la magie des cavernes ressurgie du plus profond des âges. Force du point, précission de la ligne, une ligne continue puis brisée. On pense à l’art vaudoun d’Hectr Hyppolite, dans le tracé de vèvè comme sur toile: la légèreté et la masse de cette énergie canalisée. Un énergie jaillie du berceau de l’humanité, le cri de la vie.

Cercle, carré, alphabet et chiffre, éléments de classification…., l’écrire en soi plus signifiant que ce qui est écrit. E.T.C.**.I.BA.L.F.S.NJ. EZ. N’importe quoi, automatisme, à déchiffrer, l’alphabet de Napata et Méroé, les capitales successives de l’antique royauté koushite, dans ce qui est à l’heure actuelle le Soudan. Code hermétiques qui restent à déchiffrer, rupture ésotérique des processus de pensées. Délire du scribe et magie du nombre enrobés d’un vernis de signifiant. Baka – génies malfaisants, terrifiantes figures de l’inversion, évocations spéctrales et anthropomorphiques du malheur.

Crachats, serpents lovés, dragons majestueux. Femmes à la poitrine fièrement bombée et aux solides jambes de bovin. Le culte voluptueux de Mithra, la déesse égorgeant un taureau dont les pattes émergent de sous les drapés de sa robe tandis que ses bras de femme enlacent le cou de l’animal en une étreinte teintée d’érotisme…

Bosou Twa Kon Kandonble, le djab taureau tricorne qui forme une trinité avec Bosou Marasa, les jumeaux divins. On retrouve des représentations originaires de Sumer et d’ancienne Egypte, de la Rome Antique aussi, ainsi que de Grèce, de l’Europe médiévale, d’Afrique à travers les âges. Ces figures mythologiques ayant surgi dans des civilisations très anciennes, et dont se servent les initiés des cultes mystiques, constituent les principaux adversaires du pouvoir naissant de l’Église.

Le phœnix des cathédrales nubiennes du XVIIe siècle, au confluent de l’Egypte pharaonique, de l’Egypte copte du Soudan.

La culture de la création mystique. Des rangées successives de statues bizangos, droites comme des soldats, noires et rouges, évocatrices par leur puissance des colonnes de Louxir. Effets d’orientation / désorientation, symbole du dilemme identité/ collectivité. Le bizango se dépêchant d’aller s’habiller pour le rite magique après l’introduction rituelle rata, empilant les adeptes dans la minuscule salle de préparation… Sensualité de la chair, de la chair se fondant dans la chair comme l’être se fond dans l’être.

La baguette mystique, emblème du pouvoir pharaonique, qui a continué à occuper dans la tradition judéo-chretienne (Moïse) aussi bien que dans les ordres médiévaux comme les Templiers, une place centrale qu’il retrouve dans le vaudoun. Dans la cérémonie rituelle, les femmes se connectent avec la société matrilinéaire de l’ancienne Egypte, de Méroé et de l’ensemble du continent africain.

Défilé fantastique: Belzébuth, divinité cananéenne devenue via le catholicisme le prince des démons, entièrement équipé au combat avec ailes dorsales, main dans la main avec Adonaï Astaroth, Lucifer, et une bonne escorte de “diaboliques” Sarazen (Sarrasins) à la barbe espagnole… Un légion des ténèbres aux tenues martiales surgies du Moyen Âge, épée au poing, saint Jacques à la conquête de ces mêmes Arabes, couvert de pentacles et d’osselets.

On trouve dans les grimoires aussi bien que dans la chromolithographie de quoi alimenter cette extraordinaire magie néo-pythagoricienne. L légende d’Hermès Trismégiste et la tradition ésotérique arabe mélangée à l’iconographie catholique. Les ennemis de toujours s’unissent pour ne former qu’un.

Sisya, victime de cette coalition contre nature: une figure d’une mélancolie poignante, tragique. Des yeux noirs dénués d’expression, un fichu noir sur la tête, elle repousse avec un calme glaçant un crâne posé sur un plateau. Le crâne est plein d’humanité privée de vie – la tragédie des pouvoirs détournés. Ainsi se déploient les visions magiques du vaudoun. La population dans sa très grande majorité ne recueille que des miettes de cet ensemble de connaissances. Isolées de leur contexte, les bribes dégénèrent en superstitions, en code cryptiques et étranges; Ce qui reste de la sagesse ancienne, désormais élitiste, est conservée dans les grimoires. Ces derniers, au départ recueil de préceptes à l’avant-garde du progrès, deviennent peu à peu des livres bourrés de vulgaires formules, de recettes simplistes depuis longtemps surannées. Privée du soutien de la machine à penser, la haute magie se dégrade pour ne plus être qu’une basse magie ne reculant pas devant la mystification avec l’usage de futiles pratiques de sorcellerie. Ceux qui contrôlent le pays sont heureux de diffuser ces reliques – surtout si elles donnent lieu à une opération marchande – de façon à canaliser la volonté de transformation naïves  du peuple dans des activités stériles. On fait prendre à la nouvelle population vaudoun des objets sans significations pour l’acte de représentation lui même, la force de désignation de l’objet, la capture du double grâce à sa matérialisation. Verbe, nommo. De sorte que de nos jours nous nous trouvons très souvent confrontés à l’amalgame entre signe éclectique et signe creux ou vide.

La puissance de la haute magie vaudoun repose sur une toute autre base. Visant au coeur de l’expérience humaine, elle a tissé un fondement qui se traduit par un système de perception et de pratiques d’une grande rigueur. Cette évolution exige une liberté d’expression exceptionnelle, que l’on peut qualifier d’artistique, tout en précisant que cette expression est anti-individualiste, soumise à la volonté de changement collective. Dans la danse comme dans les autres domaines, le vaudoun lie le corps à la psyché afin d’atteindre une expérience bouleversante et transformatrice. Ceci est possible grâce au regroupement d’effets à la fois universels et singuliers. D’où l’importance capitale de l’imagerie active, du symbole de projection et du rituel cérémoniel. mais n’accèdent à ce domaine que ceux-là qui sont passés maitres de l’art de provoquer et de signifier une réaction.

L’inspiration poétique soumise aux forces de la lutte violente, tel est le thème de cet art magique. Le calme absolu de la haine à son plus haut degré. L’art de dessiner des êtres multiples. La nature, l’artiste et le public, le collectif et/ou l’individuel. La rencontre de la dissonance, comme dans la musique de Thelonious Monk ou l peinture de Jean-Michel Basquiat. Le chaos, originel et social, se trouve alors contenu, ordonné, discipliné, grâce à la constante reproduction de ses effets déstabilisateurs.

La symétrie joue parfois avec l’équilibre d’ensemble: en dessinant l’être, un être  seul et néanmoins collectif se mouvant doucement dans la douceur de la nuit , avec des étoiles qui fondent, une lune qui fait pleuvoir des émotions. Harmonies singulières de formes dérangeantes à souhait. Et cette tranquillité enveloppante qui guide le “nouveau né” vers les mystères d’un univers commun à tous…

Mais, à d’autres moments, le déséquilibre se trouve provoqué de manière délibérée et uniformément. L’art de la magie vaudoun se donne pour tâche de vous déstabiliser, au moyen de techniques spécifiques de torsions et distorsions, atteignant, à son sommet, la pureté du mutant. Nous décrirons ici deux moyens de parvenir à ce résultat. Une superposition discontinue est établie à partir d’un viol de la logique du discours, ou d’une brusque substitution de grille de lecture. On peut, d’une part, aligner des termes numériques, et faire apparaitre des lettres ça et là en produisant un effet de surprise, puis glisser des images d’animaux. D’autre part, l’unité de forme donnée par celle du fauteuil rituel se trouve brutalement déchirée par l’asymétrie de son dossier, lui même perturbé par une nouvelle charte de couleurs. Chaque séquence de changement produit une rupture dans la lecture: le témoin est désarçonné.

Peu à peu, les perturbations dans les séquences s’accélèrent, les séquences raccourcissent. Les grilles se superposent aux grilles… La diversité des déséquilibres est infinie. On en a un exemple dans les sculptures du djab. Ce dernier est représenté avec un regard d’aliéné cherchant désespérément la terre ferme. En outre, sa posture semble indiquer qu’il est sur le point de trébucher et de tomber. Ces représentations son censées renforcer ou refléter l’état personnel de déséquilibre / équilibre du spectateur.

Le magicien-artiste, figure centralisatrice, qui concentre en lui la violence latente de la communauté, diffuse des signaux de dérèglement amplifiés par la centralisation dont ils font l’objet. D’où le danger associé à cette opération et l’importance primordiale de l’artiste-magicien. En qualité de médium, il/elle reflète la société: le geste magique est engendré par l’immersion dans une expérience sociale. Mais le magicien acquiert aussi des facultés spéciales lui permettant de canaliser et de concentrer la force dans le but de la projeter.

Le contenu de l’objet obtenu, qu’il soit représenté dans l’espace (sculpture) ou bidimensionnel ou encore multidimensionnel et collectif (iconographie cérémonielle), joue sur les significations sociales. En premier lieu, d’un point de vue littéral, des signifiants tels que machettes, cercueils, pierres tombales, feuilles, serpents, foudre, cornes de bélier ou de taureau, sont en soi évocateurs d’images porteuses de perspectives, de menaces, d’oppositions. Deuxièmement, les lignes de l’ensemble forment une œuvre distincte qui suggère l’existence préalable de certains états. Étant donné son évolution, sa fonction et son modus opérandi, le corpus de l’art magique vaudoun insiste, au moyen d’un subtil équilibre, sur les compositions mettant en valeur la tension et la rapidité, la centralisation et la concentration, la douleur et la violence.

La corrélation entre la figuration symbolique directe et l’intention connotative d’ensemble indique le niveau d'”occulte” inhérent à la pièce. L’œuvre plasticienne vaudoun, en particulier la sculpture, atteint sa force grâce à l’équilibre de ces deux facteurs. Elle concentre la complexité des énergies accumulées, la lutte interne d’une unité contradictoire. Cet art, comme la magie dont il est dérivé, se spécialise dans la confrontation, l’interaction et la sublimation de la contradiction.. Pour réconcilier les contraires, il commence par présenter l’impossibilité de leur résolution et ainsi dénonce le scandale et la cruauté d’une compréhension partielle. À d’autres moments, toutefois, il rend hommage à la connaissance, même fragmentaire, ou exalte des facultés précises.

L’expérience cérémonielle incarne à elle seule la maji vaudoun, les facultés de transformation de l’esprit en tant que matière. Les mécanismes du rituel agencés suivant la progression de la modalité associative, culminent dans la transe – un état combinant un libre flot d’émotions chargées d’énergie avec des codes de conduite déterminés et considérés comme sacrés. Dans le rituel, la projection de l’image est multidimensionnelle et multirelationnelle, globalisante: la forme et la couleur de l’hounfor, la décoration, la congrégation, l’odeur de feu, du rhum blanc, de la sueur, le contact de la terre sous la plante des pieds nus, le son obsédant des tambours battants sans fin. Le cosmos, uni, se “brise'” sans raison… et le corps suit, bascule, tête la première, dans l’univers global de l’occulte.

DISPARAITRE POUR DURER

Dans cet art savant de la médiation, les symboles, aujourd’hui, deviennent de plus en plus étrangers. La terre, l’eau, les feuilles, la forêt, les animaux de toutes sortes semblent se rétrécir, se retirer. La terre absorbe les réserves d’eau et n’a pas grand chose à offrir aux nouvelles générations. Les feuilles magiques du vaudoun se font rares, et les forêts d’autant plus mystiques qu’elles reculent. Les quelques serpents, oiseaux, bétail, pas encore en voie d’extinction font trembler une population qui redoute leur pouvoir vénéneux dans son inconscient collectif. En réalité, ils sont aussi peu nombreux que chétif. Au bout du compte, les seigneurs de la mythologie vaudoun, ainsi que leurs alliés d’outre-mer, sont tenus pour responsables du désastre: les divinités paternelles et les “maitres” qui ont le malheur de trop ressembler aux grandons de sinistre mémoire, ces seigneurs demi féodaux qui jouèrent le rôle de relais de transmission de la répression duvaliériste. La fin de leur règne évoqua dangereusement dans l’opinion populaire la fin du domaine magico-religieux

Par ailleurs, les modes d’expression collective d’ordre magico-religieux qui tournent autour de la figure centrale de magicien-artiste ne correspondent plus à la réalité sociale de la migration et des bidonvilles. En d’autres termes, le démantèlement du Lakou (les grandes habitations rurales) a provoqué une confrontation entre un art avant tout féodal et un système social en pleine mutation. Ce dernier souffrant d’une pénétration progressive de nouvelles relations économiques au sein d’une organisation sociopolitique qui se révèle, malgré tout, d’une stabilité surprenante.

Que peut-on dire de la survie des formes magico-religieuses vaudoun et de leur validité dans un contexte aussi changeant? Dans le cas de la diaspora haïtienne qui continue à pratiquer ce culte, la question se pose de façon encore plus aiguë. Quelles sont les limites du symbolisme compte tenu du détachement croissant de son imagerie de la réalité de tous les jours? Où faut-il chercher ses capacités d’adaptation? les richesses accumulées en des temps d’une dureté inimaginable semblent animées d’une force propre, qui, de ce point de vue, n’est égalée que par l’obstination du système social en décomposition.

Poser la question de la transformation revient à aborder celle des objectifs dans une société renouvelée. Depuis ses origines, cet art de stimuler l’imagination n’a rien de neutre, ce qui nous ramène au problème de sa finalité. Dans quelle mesure le Haïti de demain, celui de ceux qui en cultivent le sol, pourra-t-il récupérer ces techniques séculaires sinon millénaires que se sont appropriés les classes exploitantes? Jusqu’à quel point peuvent-ils les détourner à leur profit des objectifs de domination de ces classes? Comment peuvent-ils canaliser leurs capacités dans une perspective radicalement différente?

Il y a danger inhérent à la confusion de la forme et du contenu, un risque de restaurer à travers la forme un contenu qui a été rejeté avec violence. C’est le risque de régression. Avancer est le seul moyen de se soustraire à l’influence contradictoire du djab: avancer dans le temps, l’espace, le rythme, la pensée, les relations sociales. L’art magique vaudoun repose sur la force du renouveau qui jaillit de ces moments d’antinomie, ces temps productifs de l’histoire des hommes.

Impossible de passer outre cette notion dès plus importante si il nous est donné de vouloir présenter Vodou au profane.

 

Les jumeaux (Marassa) vivants et morts sont investis d’un pouvoir surnaturel qui fait d’eux des êtres d’exception. Dans le panthéon vaudou, une place privilégiée leur est réservées à côté des grands mystères.. D’aucuns prétendent même que les marassa sont plus puissants que les Lwa. Ils sont invoqués et salués au début d’une cérémonie, tout de suite après Legba; en certaine régions, à Léogâne notamment, ils ont la préséance sur cette divinité.

Toute famille qui compte des jumeaux parmi les siens ou dans une de ses lignée ancestrales doit, sous peine de châtiment, leur faire des offrandes et des sacrifices. Parfois, une famille frappée par une succession de malheurs apprend de la bouche d’un houngan qu’elle est punie pour avoir négligé les marassa appartenant à sa lointaine parenté, “au temps de la Guinée”. On considère aussi comme marassa l’enfant qui naît avec les doigts adhérents, signe auquel on reconnait qu’il a mangé son frère dans le sein maternel.

Les jumeaux morts sont divinisés et leurs esprits sont d’autant plus redoutables qu’ils ont la réputation d’être – à l’égal des jumeaux vivants – emportés, violents et d’une extrême susceptibilité. Il existe un lien entre les marassa et la pluie. Ils en président la venue et peuvent même la hâter si on réussit à se les concilier par des offrandes. Les jumeaux sont représentés par des images de Côme et Damien, les jumeaux martyrs. Saint Nicolas (qui a ressuscité les trois enfants que le méchant boucher avait mis au saloir) passe pour être leur père, et Sainte Claire, leur mère. Pour obtenir une faveur des Marassa, il convient de s’adresser à Saint Nicolas, la face tournée vers le levant.

Tout comme les Lwa, les marassa appartiennent à différentes Nanchon (Nations). Il y a donc des Marassa Guinen, Dahomey, Nago, Ibo, Congo, Anmine, etc. On appelle “Marassa créoles” ceux qui sont nés en Haïti. Parmi les différentes catégories de marassa, certaines jouissent d’un prestige particulier en vertu de leur étroite association avec les esprit petro qui leur confèrent un certain pouvoir maléfique: ce sont les Marassa Bois. Leur culte diffère de celui des autres Marassa: la nourriture qui leur est destinée est emportée dans les bois et déposée sur les branches d’un arbre. À cette liste déjà longue, il faudrait ajouter, selon Odette Menesson-Rigaud, les Marassa blancs et les Marassa Giro qui seraient des jumeaux morts sans baptême.

Les possessions attribuées aux Marassa sont rares. Ceux dont ils s’emparent se conduisent en petits enfants “autoritaires et capricieux”. Ils se roulent à terre, se relèvent, marchent d’un pas hésitant et réclament de la nourriture.

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marassa

L’enfant qui dans l’ordre des naissances, suit immédiatement les jumeaux – le Dossou si c’est un garçon, la Dossa si c’est une fille – unit en sa seule personne la puissance des deux et possède donc un pouvoir plus étendu que le leur. “Le Dossou est plus fort que les Marassa, plus fort que les Lwa”.

C’est pourquoi il est traité avec le plus grand respect et, lors de la présentation des offrandes, passe avant les jumeaux. Par contre, l’enfant qui est né avant ces derniers – le Choukèt ou Dossou avant – jouit de peu de considération. On dit cependant de lui qu’il a “entrainé les jumeaux derrière lui” (Dosu dévâ ralé marasa dévâ)

La présence de jumeaux dans un famille oblige ses membres à des égards constants et mille précautions. Il suffit de peu de choses pour qu’un jumeau se tourne contre ses parents et que, selon son habitude, il les “saisisse” au ventre, c’est à dire leur inflige des troubles intestinaux graves. Il est vrai que les jumeaux acceptent d’être punis pour une faute qu’ils ont réellement commise, mais ils se vengent cruellement s’ils se croient injustement traités.

Une fois par an, le jour des Rois, le samedi Saint ou à la Noël, la famille qui compte des Marassa vivants ou morts est obligée, sous peine de “châtiment”, de leur offrir un “manger marassa”. Ce sacrifice est du type habituel, aussi n’en retiendrons-nous que les particularités saillantes. Quand un Houmfô de quelques importance rend hommage à tous les jumeaux qui y sont vénérés, le nombre des plats Marassa groupés par nanchon sous le peristyle peut atteindre facilement une cinquantaine. On y dépose le sang des victimes et les offrandes de nourriture. On sacrifie aux Marassa un cabri de robe brune et des poules “peintelées”. La distribution des offrandes, confiée à une mambo, doit être rigoureusement équitable pour ne pas exciter les jalousies de ce petit peuple susceptible. Les tabous propres à chaque catégorie de jumeaux sont scrupuleusement observés. Ils sont de diverses sortes: certains jumeaux ne mangent pas de tels mets, d’autres veulent que leur plat repose sur une feuille de bananier ou sur une natte. ILs ne peuvent souffrir la vue de couteaux, de fourchettes ou de cuillers. Tout manquement à un interdit risque de les offenser et, dans leur légèreté enfantine, ils exercent des vengeances cruelles et souvent disproportionnées à la faute. Les légumes leur sont interdits par crainte, paraît-il, qu’ils ne “gâtent leur puissance”. Les offrandes de nourriture sont enterrées dans trois trous creusés à proximité du sanctuaire – ou de la maison familiale, si la fête y a été célébrée.

img_0525Le repas des jumeaux se termine par le même rite que celui qui, parfois, clôt les fêtes pour les morts. Le reste des offrandes sont mélangés dans une grande calebasse ou une bassine de bois. Un hounsi fait trois fois le tour du péristyle, puis, après avoir à trois reprises montré aux enfants présents le récipient  qu’elle porte sur la tête et leur avoir demandé s’ils étaient contents, l’abandonne à leur gourmandise.  Ceux-ci se jettent sur cette pitance comme une volée d’oiseaux et s’en disputent le contenu. On leur enjoint cependant de ne pas briser les os avec les dents.

Si le repas est préparé pour des jumeaux vivants, ceux-ci sont naturellement les premiers à manger et c’est seulement lorsqu’ils sont rassasiés qu’ils offrent les restes aux invités; on les acclame et on ne cesse de leur demander qu’ils sont satisfaits. Cette inquiétude relative aux sentiments des jumeaux se fait jour dans un chant entonné à cette occasion.

Alfred Métraux

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Le vodouisant qui souhaite s’assurer le concours d’un Lwa pour atteindre un but précis ou pour se mettre sous protection mystique peut demander auprès d’une autorité Vodou un Mariage Mystique.

La même initiative peut être prise par une entité qui souhaite s’attacher à un mortel pour une raison précise.

Lorsque l’initiative découle d’une essence tels que les Lwas, l’entité peut dans l’éther s’unir avec le mortel, mais si c’est le fidèle qui décide de se lier, ce dernier devra avoir recours à un canal tel qu’un houngan, une Mambo ou un Bòkò.

Car il est difficile pour un fidèle même initié au premiers degrés de capter l’attention d’un esprit afin de l’inviter à s’unir et il est de toutes façons de rigueur qu’un haut gradé du Vodou se charge de la cérémonie.

Lorsque un Lwa et son conjoint mortel ont prononcés les paroles rituelles et échangés les anneaux en signe de foi promise, ils savent que dorénavant ils auront un destin commun et pourront compter l’un sur l’autre. Qui dit mariage dit aussi obligations et responsabilités. Si le Lwa protège et garde un œil attentif sur le mortel, ce dernier doit recevoir de la part de son fidèle compagnon des présents et des attentions toutes particulières. Chaque semaine, une nuit sera dédiée à l’essence épousée, cette nuit sera déterminée par le Lwa choisit. Durant cette nuit, le fidèle devra réaliser un service Vodou pour l’entité, et ne devra se réserver qu’à son époux mystique jusqu’à l’aube.

Accorder la dite nuit à un mortel équivaudrait à un adultère et certain lwas savent se montrer très jaloux! Les conséquences peuvent être dramatiques pour l’époux terrestre.

Beaucoup de Vodouisants ne franchissent pas le cap et ne s’unissent pas en raison des frais élevés de la cérémonie. Car c’est au fidèle de fournir les offrandes et apparats et nombreux également prennent peur vis à vis de l’importance de l’engagement.

Dans de nombreux Houmfors le Mariage Mystique est réalisé sous les apparats d’un mariage traditionnel , avec témoin et dignitaires religieux, un contrat en bonne et dues formes et rédigé et signé de la main de l’époux terrestre.

Le père Savane du Houmfor prononce les formules rituelles.

Les deux anneaux sont passés au doigt de l’époux terrestre, l’entité est invoquée selon le protocole qui lui est rattaché.

Mariage Mystique avec Ezili Dantor par Mambo la belle Déesse. (Montréal)

Mariage Mystique avec Ezili Dantor par Mambo la belle Déesse. (Montréal)

Libations, tambours, apport d’offrandes, le marié terrestre in fine, devient le chwal et tombe en transe, possédé par l’entité rattaché à lui. Les transes cessent souvent brusquement et la fête se termine par la série des danses en l’honneur des principales divinités Ginen.

Le mariage mystique n’est donc pas un vulgaire rituel à ajouter à la liste des services et actions du Vodou. Ce dernier n’est pas non plus le fer de lance du Vodou Haïtien. Il remonte à de vieilles traditions de l’Afrique.

Chez les Ashanti de la Côte d’or, lorsqu’une essence souhaite s’unir à un mortel, elle se jette sur lui et le fait tomber en transe.

Chez certaines tribu d’Amazonie, de nombreux sorciers se lient d’un pacte avec ce qu’ils appellent un Yoshi afin de pouvoir sceller un partenariat mystique. Et le protocole ressemble fortement à un mariage.

Donc réfléchissez bien les amis avant de vous engager, car le Mariage Mystique est une démarche sérieuse. Il est de toutes façons de rigueur à mon sens que l’époux ait déjà connaissance de l’essence à laquelle il devra s’unir pour le meilleur… Et pour le pire.

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