Pour bien asseoir leurs arguties, d’autres analystes évoquent avec impertinence le sacrifice d’animaux pratiqué par les vodouisants, lui administrant in fine une connotation diabolique. Il est curieux de constater qu’ils ne disent mot de la fameuse substitution du bélier à Isaac lors du sacrifice d’Abraham que les chrétiens célèbrent. Ils passent en outre sous silence l’aid el-Kébir, la commémoration annuelle chez les musulmans du sacrifice d’Ibrahim, au cours de laquelle chaque famille doit immoler un mouton. Pourquoi le christianisme et l’islamisme seraient des religions, le vaudou, pas?
On est donc forcé de croire que les diatribes contre le vaudou haïtien viennent de tenants d’une certaine thèse comparative et discriminante qui prône sinon une hiérarchisation, du moins une catégorisation des religions où le christianisme serait l’instrument de mesure de perfectibilité des autres religions.
Oh non! Il n’y a pas de religion supérieure à une autre. Malgré toutes les considérations déformées, déformantes et déformatrices émises à l’encontre du vaudou haïtien, il reste foncièrement une religion. Selon le théoricien Emile Durkheim, chaque religion est tributaire de sa propre société. Marx, de son coté, y voit un élément fondamental autour duquel s’organise cette société. Aussitôt on comprend aisément pourquoi le protestantisme est associé au développement du capitalisme. Pourquoi le confucianisme a la réputation d’avoir formaté l’idéal politique, la vertu et l’éducation typiques de la Chine. Pourquoi l’arabisme, l’idéologie du nationalisme arabe, doit son fondement à l’islam. Enfin, pourquoi le vaudou représente le symbole de la résistance des esclaves à la traite négrière, de la lutte pour l’émancipation des noirs et l’un des jalons du noirisme.
Nous résistons à l’envie d’aborder ici le domaine des pratiques religieuses du vaudou et de leur signification. A notre avis, elles sont impénétrables, intouchables même, comme celles de toutes les autres religions, et insaisissables comme l’explication du choix religieux d’une personne. Tout cela relève du mythe, ce labyrinthe entretenu par l’origine des temps et la fertilité de l’imagination.
La bible dit que les choses révélées sont aux hommes, les choses cachées sont à Dieu. Les créoles le reprennent à leur façon en stipulant: «pa fouye zo nan kalalou». À celui qui se croit doté d’un esprit fort pour percer les secrets de la nature et s’élever au-dessus des superstitions, nous répondrons sagement comme Jesus: «Que celui qui n’a jamais péché, jette la première pierre».