La pleine lune se levait sur le fleuve; une légère brume lui donnait une couleur rouge et de la fumée montait des cheminées des villages, car il faisait froid. Il n’y avait pas une ride sur le fleuve; le courant très fort et très profond était caché au fond de l’eau. Les hirondelles volaient bas, et quelques pointes d’ailes effleurèrent l’eau, troublant à peine la surface paisible. L’étoile du soir apparaissait au-dessus du minaret, très loin au-delà du fleuve, dans la ville lointaine et surpeuplée. Les perroquets revenaient pour être à nouveau près des humains; et leur vol n’était jamais droit, comme à l’accoutumée. Ils plongeaient avec un cri pour picorer une graine et reprenaient leur vol latéralement, finissant toujours par se diriger vers un arbre feuillu, où ils se rassemblaient par centaines. Puis il s’envolaient à nouveau vers un arbre offrant encore davantage de protection, et avec la nuit le silence apparaissait. La lune était maintenant bien au-dessus de la cime des arbres et traçait un chemin d’argent sur les eaux tranquilles.
– Je suis persuadé qu’il est très important d’écouter, mais je me demande si je vous ai jamais réellement écouté, déclara-t-il. Pour une raison ou pour une autre, je dois faire un effort pour écouter.
Est-ce écouter que de faire un effort pour y parvenir? Cet effort n’est-il pas en soi une distraction qui empêche d’écouter? Avez-vous besoin de faire un effort lorsque vous écoutez quelque chose qui vous enchante? Il est évident que cet effort afin d’écouter est une forme de contrainte. Et la contrainte est résistance , n’est-ce pas? Et de la résistance naissent les problèmes, dont l’un est le fait d’écouter. Mais le fait d’écouter n’est jamais un problème en soi.
– Mais pour moi, c’en est un. Je veux écouter correctement car je sais que ce que vous dites est de la plus haute importance, mais je ne peux en dépasser le contenu verbal.
Je me permettrai de vous faire remarquer que vous n’écoutez pas non plus ce qui est dit en ce moment. Vous avez fait un problème du fait d’écouter, et c’est ce problème qui vous empêche d’écouter. Tout ce que nous touchons devient un problème, d’une chose découlent beaucoup d’autres choses. Mais si nous percevons cela, n’est-il pas possible que cela n’engendre plus de problèmes?
– Ce serait merveilleux, mais comment parvenir à cet état de bonheur?
Encore une fois, voyez-vous, la question du “comment”, la manière d’accéder à un certain état, suscite à nouveau un autre problème. Or nous essayons de voir comment il serait possible de ne pas créer d’autres problèmes. La première chose à souligner, c’est que vous devez avoir conscience de la façon dont l’esprit fabrique le problème. Vous voulez atteindre un état d’écoute parfaite, en d’autres termes, vous n’écoutez pas, mais vous voulez arriver à cet état et il faut du temps et de l’interêt pour arriver à ce stade ou à n’importe quel autre. C’est le besoin de temps et d’interêt qui est générateur de problèmes. Vous n’avez pas simplement conscience de ne pas écouter. Lorsque vous en avez conscience, ce simple fait de ne pas écouter suscite sa propre action; c’est la vérité de ce fait qui est agissante et non pas vous qui agissez sur le fait. Mais vous voulez avoir une action, changer cela, cultiver son contraire, donner naissance à l’état auquel vous aspirez et ainsi de suite. C’est l’effort que vous faites pour agir sur ce fait donné qui suscite le problème, tandis que percevoir la vérité de ce même fait engendre sa propre action libératrice. Vous n’êtes pas conscient de la vérité, pas plus que vous ne voyez le faux tel qu’il est, tant que votre esprit est occupé d’une façon ou d’une autre par l’effort, la comparaison, la justification ou la condamnation.
– C’est fort possible, mais avec tout les conflits et les contradictions que nous connaissons intérieurement, je continue de penser qu’il est presque impossible d’écouter.
Écouter est en soi un acte complet. Cet acte porte en lui même sa propre liberté. Mais cherchez-vous à écouter, ou bien à apaiser votre tumulte intérieur? Si vous écoutiez vraiment, en ce sens que vous seriez conscient de vos conflits et de vos contradictions sans tenter de les faire entrer dans une forme de pensée particulière, cela suffirait peut-être à les faire cesser. C’est que, voyez vous, nous essayons sans cesse d’être ceci ou cela, d’atteindre à un état particulier, de s’accaparer un certain type d’expérience et d’en éviter d’autres, de sorte que l’esprit est sans cesse pris par quelque chose et n’est jamais en état de silence nécessaire à l’écoute du bruit de ses propres luttes. Essayez d’être simple, et de ne pas tenter de devenir quelque chose ou de figer une expérience.